A chaque fait divers sa loi. Depuis plusieurs décennies, le législateur français a cédé aux différents groupes d’intérêts catégoriels pour faire de la loi un instrument au service d’une certaine propagande idéologique. Féminisme, état d’urgence sanitaire, réforme du système des retraites sont autant de sujets qui animent les passions de nos parlementaires. Plus que des règles qui régissent la vie dans la cité, les lois sont devenues le prisme d’une vision de la société. Loin de favoriser l’intérêt général, notre système juridique devient une consécration victimaire des auto-proclamés “opprimés” et par conséquent, la cible des lobbys en tout genre.
Le pouvoir exécutif s’est désormais associé à ce jeu de dupe. A chaque nouveau sujet sociétal, un projet de loi est rédigé dans le feutre des cabinets ministériels ou de leur succursale privée, les cabinets de conseil. Votées au pas de course par des députés parfois perdus dans cette effusion de normes, ces lois témoignent toutes de l’idéologie du pouvoir exécutif, à tel point que le quinquennat de nos derniers présidents peut se résumer à une loi symbolique : la mandature 2012-2017 de François Hollande restera, dans la mémoire collective, celle du mariage homosexuel tandis que le premier quinquennat Macron sera celui de la saga des lois d’urgences relatives à la lutte contre la pandémie de Covid 19.
Toutefois, nos différents dirigeants se contentent de cette fonction législative, qui est à l’origine d’une certaine confusion des genres. Le gouvernement ayant pris une place majeure dans la procédure normative, le Parlement est relégué à une fonction de contrôle du pouvoir exécutif, d’où la multiplication des commissions d’enquêtes parlementaires. Pourtant, nos constituants avaient pris le soin d’instituer des pouvoirs séparés, l’un dévolu à l’adoption des lois et l’autre à leur exécution.
Ce glissement des compétences jette un réel brouillard sur l’action du gouvernement.
Pis encore, l’illusion que le gouvernement agit lorsqu’il rédige un projet de loi est devenu monnaie courante dans la communication politique et fonctionne auprès des médias, qui s’en font le porte-parole. Le gouvernement, dans un souci de conquête électorale, préférera désormais produire un nouveau projet de loi plutôt que de faire appliquer le corpus existant. Or, le règne de la quantité se fait toujours au détriment de celui de la qualité.
Le droit pénal et la procédure qui l’encadre n’a pas été épargné par cette multiplication des textes : la France est le pays qui a le plus apporté de modifications à son Code pénal au sein de l’Union Européenne1. Pourtant, la délinquance prospère et les délits d’atteintes aux personnes sont en constante augmentation depuis maintenant 30 ans, preuve ici qu’inflation normative n’est pas synonyme d’efficacité. Grande cause du dernier quinquennat, l’égalité Homme-Femme a donné lieu à l’adoption de six textes contenant des dispositions pénales. Là encore, toute cette agitation législative – et surtout médiatique – n’a accouché que d’une souris : l’outrage sexiste, présenté comme la figure de proue des moyens de lutte contre les violences faites aux femmes, n’a été utilisé comme fondement d’une condamnation qu’à 332 reprises entre 2018 et 20192. Force est de constater que de trop nombreuses lois sont restées lettres mortes, faute d’une réelle volonté politique de les mettre en œuvre.
L’utilisation du droit comme outil de communication politique pourrait se borner à mettre en lumière la stérilité de l’action gouvernementale, sans pour autant emporter d’autres conséquences néfastes. Toutefois, c’est sans compter le zèle de nos dirigeants qui considèrent que désormais, la Constitution de la Vème République devient un canal idoine de communication politique.
Perfusé à l’actualité américaine, à la manière d’une mauvaise série Netflix, le pouvoir exécutif a décidé d’utiliser la norme suprême de notre ordre juridique, la manifestation même du Souverain, pour se refaire le teint politique. Car en réalité, il ne s’agit que de cosmétique.
Après la tentative d’insertion du “climat” dans notre texte constitutionnel, le personnel politique français s’accorde maintenant pour y faire entrer le droit à l’avortement, en réaction à l’arrêt de la Cour Suprême des Etats-Unis du 24 juin dernier3 Alors que le délai de l’interruption volontaire de grossesse a été allongé récemment4, passant de 12 à 14 semaines, des parlementaires ont saisi cette opportunité pour se dresser en défenseur de la cause féminine, face à une hypothétique remise en cause de l’avortement en France (83% des français sont favorables à l’avortement5). Cette posture, adoptée à la fois par la nouvelle majorité présidentielle et son opposante de la NUPES afin de protéger à tout prix ce “droit fondamental que nul ne peut entraver6” produira cette fois un effet nocif par l’altération de la Constitution. En effet, notre texte suprême a pour unique vocation de définir nos institutions et les relations qui les lient. Il ne s’agit en aucun cas d’un catalogue de droits, aussi fondamentaux soient-ils, ou d’une version actualisée de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, ce que n’ignorent pas nos parlementaires par ailleurs.
Y insérer des contenus exogènes reviendrait à changer la nature même de notre texte suprême et créerait un précédent dangereux quant à sa stabilité.
L’unanimité de la doctrine constitutionnelle française considère que la loi constitutionnelle doit être stable et ne doit être modifiée que d’une “main tremblante”, selon la formule de Montesquieu. Cette recherche de stabilité se retrouve d’ailleurs dans le texte même de la Constitution de la Vème République. Outre la procédure très lourde de modification constitutionnelle7, cette norme se voit affublée d’un gardien, en l’espèce le Président de la République8. Trahissant son devoir de protection, Emmanuel Macron met en péril, avec le soutien affiché à des textes cosmétiques, notre contrat social, adopté par le peuple il y a plus de 60 ans.
Afin d’assurer l’avenir de notre démocratie, dont les fondements restent fragiles, il convient de s’opposer à ce détournement constitutionnel à visée purement communicationnelle. Et si la solution à l’instabilité démocratique était en chacun de nous : dans une plus grande sobriété à user du droit ?9
Guillaume Leroy
Doctorant en droit pénal des affaires
Chargé d’enseignement à l’Université Paris II Panthéon-Assas
Responsable droit public du Cercle Droit et Liberté
- François Sureau, Sans la liberté, Edition Tract, 2019. ↩
- Communiqué de presse du Ministère chargé de l’égalité, 6 mars 2019. ↩
- Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization, Supreme Court of the United States of America, 24 juin 2020. ↩
- Loi du 2 mars 2022 visant à renforcer le droit à l’avortement. ↩
- Sondage IFOP du 5 juin 2022. ↩
- Proposition de loi constitutionnelle déposée par la NUPES. ↩
- Article 89 de la Constitution du 4 octobre 1958. ↩
- Article 5 de la Constitution du 4 octobre 1958. ↩
- J. Carbonnier, Droit et passion du droit sous la Ve République, Editions Flammarion, 1996, p°114. ↩