La zone Euro vient de fêter ses 20 ans. Stop ou encore est une interrogation qui parcourt les opinions publiques comme l’univers de certains décideurs qui hurlent au loup sans énoncer de plan B qui puisse être qualifié de crédible.
La monnaie commune, ou plus exactement la monnaie unique, est une élaboration ancienne : déjà Aristide Briand l’évoquait, en 1928, comme une priorité au regard de l’œuvre de paix. A la même époque et en cohérence avec le pacte Briand-Kellogg un ingénieur pro-européen créait une monnaie baptisée l’Europa. Tel fût en effet un des rêves de Joseph Archer, député1.
2022 et la tragédie subie par l’Ukraine viennent brutalement nous rappeler que la notion de paix ne s’inscrit pas dans le marbre éternel et dès lors il n’est pas superflu de considérer qu’une once de perte de souveraineté économique peut se justifier à l’aune de l’harmonie entre les nations de notre Continent. Renforcer l’Europe par la monnaie n’est pas un pari de Pascal, c’est un sésame vers plus de grandeurs continentales.
L’Euro suppose un approfondissement qui, pour l’heure, ne semble pas surgir des discussions marathons de Bruxelles. Nous ne formons pas une zone monétaire optimale pour reprendre la démonstration judicieuse de l’économiste Robert Mundell énoncée dès les années 1960.
Le parlementarisme se définit, notamment, par l’acte cardinal qu’est le vote du budget. La loi de finances demeure une forte prérogative de notre souveraineté économique mais, en corollaire, sa quasi-universalité bloque l’expansion des politiques communautaires. Autrement dit, la monnaie commune ne remet pas en cause la souveraineté économique des États-membres car nos parlementaires assurent le fardeau budgétaire sans toutefois assumer électoralement, depuis 40 ans, la dérive inexorable de notre déficit budgétaire.
Un vote sans contrepartie explicite en circonscription est une bizarrerie de notre pratique constitutionnelle que n’avait pas manqué de souligner le regretté professeur Guy Carcassonne.
Le budget de l’UE va en s’étoffant mais demeure limité au point que l’on ne peut pas affirmer que ses montants portent atteinte à la souveraineté économique des États. Concernant la période 2021-2027, le montant a été déterminé à hauteur de 1074,3 Mds d’Euros et se trouve renforcé par une innovation d’inspiration franco-allemande : le plan de relance de 750 Mds nommé EU Next Generation.
Si le budget de l’Union devait opportunément enregistrer un essor qualifiable de significatif afin d’épauler des politiques communes revisitées vers le haut (Europe de la défense), alors la question primordiale du pouvoir budgétaire national serait posée.
Pour l’heure, l’intangibilité du droit budgétaire national est, au plan formel et pécuniaire, une réalité incontournable. De manière durablement probable mais possiblement modifiable à l’avenir via une fiscalité européenne indépendante.
Cela étant, ce lourd principe d’adoption de la loi de finances sur la rive gauche de la Seine ne doit pas masquer un point fort qui marque une vive atteinte à la souveraineté économique. J’invite en effet à considérer l’impact des règles budgétaires énoncées par le Traité de Maastricht (3% du PIB comme déficit budgétaire maximal et 60% de dette) et la règle d’or issue du pacte budgétaire de 2013.
C’est bel et bien à Bruxelles que se définit le cadre budgétaire dans lequel doit évoluer la loi de finances. Le HCFP (Haut-conseil des finances publiques) fait référence à la trajectoire des finances publiques que notre pays transmet à ce que d’aucuns nomment la tutelle communautaire. Pour l’économiste, ce méta-cadre budgétaire est indispensable à la cohésion que la monnaie unique requiert.
Oui, la monnaie unique est un carcan qui nous contraint à honorer notre signature apposée sur des traités mûrement réfléchis afin de garantir la qualité internationale de notre monnaie. Si l’on dit que la règle d’or nous bride, c’est objectivement vrai mais en contrepartie cela nous assure la valeur de notre monnaie unique dont des charlatans de l’économie politique auraient tôt fait de transformer son cours en piécettes de cuivre.
S’agissant de la monnaie unique, il faut être lucide. Sa dépréciation et ses fluctuations haussières sont restées plus qu’honorables depuis 20 ans comme l’a démontré encore récemment Jean-Claude Trichet.
Si nous avions été dépourvus de monnaie unique pendant le long épisode de la crise sociale dite des gilets jaunes, il est probable que la France eût été attaquée sur les marchés et contrainte à la dévaluation.
La dévaluation a été longtemps une maladie (un palliatif ?) française car nous ne pouvions pas nous offrir un « déficit sans pleurs » pour reprendre le mot de Jacques Rueff visant la situation des États-Unis. Il est essentiel de comprendre que la doxa budgétaire de Bruxelles est un garde-fou pour nos patrimoines. J’en suis totalement convaincu à l’instar de certains amis économistes. Sans cette atteinte à notre souveraineté économique, nous aurions vu – et été dans l’obligation de subir – les affres budgétaires accrus d’un pays qui a déjà 2.900 milliards de dette soit des années de pression fiscale.
La France est malade de ses finances publiques et les récurrentes analyses de Jacques de Larosière se soucient à bon escient de notre marge de manœuvre à moyen terme alors que nous sommes désormais assimilés, par les pays de l’Europe du Nord, à un pays du « Club med ». Si le FMI devait, à la lecture de nos états financiers nationaux recourir à la même classification, là notre souveraineté serait en cause du fait de l’occurrence d’un programme d’ajustement, de conditionnalité.
Le découplage économique entre l’évolution allemande et celle de notre pays sur les 15 dernières années devient préoccupant. C’est donc notre laxisme budgétaire, notre capacité à faire habilement admettre par nos partenaires de la zone Euro notre non-respect des traités qui forment le creuset d’un risque de fortes tensions pour la monnaie unique.
Pour paraphraser J F Kennedy : si l’Euro écorne notre souveraineté économique, demandons-nous ce que nous faisons pour asseoir sa force ! Les récents débats sur la réindustrialisation française et sur notre compétitivité partiellement évanouie sont des vraies atteintes à notre souveraineté.
Clairement, la monnaie commune a permis l’expansion des échanges et l’approfondissement de l’Acte unique de 1992. C’est un actif à la fois fondamentalement tangible et immatériel en ce qu’il porte la notion sacrée de confiance.
Alain Peyrefitte, et son célèbre ouvrage sur la société de confiance, est là pour nous rappeler que la confiance est le fondement de l’économie libérale.
Dans un pays qui a Kiev pour capitale en péril, on se bat pour l’économie de liberté et ainsi pour la démocratie. En zone Euro où le centre de décision glisse vers le pays de Goethe, notre souveraineté économique n’est pas celle d’un croupion de bécasse et les quelques frictions rapportées par le présent texte ne doivent pas gommer l’adhésion des peuples à la monnaie unique.
Ne pas oublier l’opinion publique est le meilleur moyen de compréhension du niveau acceptable d’entailles à notre souveraineté économique. Pour un célèbre roi, Paris valait bien une messe. Alors pour l’avenir dynamique des générations qui nous suivent, l’Euro mérite plus de rigueur ce qui n’est pas, dans mon esprit, synonyme d’austérité mais d’efforts collectifs.
Jean-Yves Archer
Economiste et membre de la Société d’Economie Politique
Article paru dans la revue ENA hors les murs n°514
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Europa_(monnaie). ↩