La descente aux enfers de notre société se poursuit, à une vitesse exponentielle. Jour après jour, le rajeunissement et la radicalisation des auteurs d’infractions se confirment. Diagnostic que nous avions posé il y a près de dix-sept ans dans un livre resté, hélas ! trop confidentiel : Les Bandes (2ème éd. DDB, 2008).
Par définition, la sauvagerie est sans limites car sans repères. Elle se nourrit de ses propres méfaits, donc elle grossit à vue d’œil. La sauvagerie est boulimique.
Policiers, magistrats, responsables d’associations (de terrain) – sans compter les pseudo-experts et autres communicants qui pullulent sur les plateaux-télés (devenus pour eux de véritables « plateaux-repas ») – nous présentent des « explications », dont la naïveté ou la démagogie sont sans égal ! Ces explications en effet, le plus souvent, ne tiennent pas debout, sont totalement « à côté de la plaque ».
Quelles sont-elles ? Laxisme des juges, manque d’autorité (de qui au juste ?), et – j’ai gardé le meilleur pour la fin – « sentiment d’impunité » des agresseurs.
Alors, après plus de trente ans d’analyse de la délinquance et de la violence des jeunes, je dois rappeler aux « expliquaillons » ceci : un agresseur – qu’il soit jeune ou pas – ne se promène pas un code pénal à la main, lui indiquant que la commission de telle ou telle infraction l’exposera à telle ou telle sanction. Impunité, sanction ne sont donc pas des idées qu’il prend en compte avant de commettre une infraction donnée [une seule exception à ce principe : dans le milieu très structuré des narcotrafics, les « caïds » informent les jeunes guetteurs de leur impunité en cas d’arrestation].
Avant d’examiner les nécessaires (car elles sont nécessaires) réponses pénales aux crimes et délits commis, il convient de faire une brève description de la sauvagerie sociale formant ce que Norbert Elias aurait sûrement appelé la « dé-civilisation des mœurs ». Les auteurs (et les victimes), comme nous l’avons dit plus haut, sont de plus en plus jeunes. Ils se recrutent désormais à l’école primaire. L’actualité nous fournit nombre d’exemples d’écoliers-agresseurs physiques – et même sexuels. Car, dans ces soi-disant « petites » écoles, la circulation d’armes blanches est devenue une réalité. Pour la seule année scolaire 2023-2024, et pour la seule Capitale, ce ne sont pas moins de 18 agressions avec couteau qui ont été enregistrées dans les écoles primaires, 38 dans les lycées et 74 dans les collèges. Durant le premier trimestre de cette année scolaire, ce sont 40 attaques à l’arme blanche qui ont été recensées, si l’on en croit Laurent Paris, responsable de la sécurité au rectorat. Il s’agit là très vraisemblablement de chiffres minima quand l’on sait l’importance du « chiffre noir » de la délinquance. Faits méconnus (mais bien réels) ou non-enregistrés en raison de leur supposée faible gravité doivent être englobés dans un bilan général. Le chiffre réel est donc supérieur au chiffre officiel.
Pourquoi cette facilité de passages à l’acte ? « Rituel de virilité », nous disent certains psychologues qui continuent de développer une analyse classique de la question, c’est-à-dire archaïque. Non, il ne s’agit, en aucun cas, pour les jeunes agresseurs de démontrer leur force aux victimes.
L’explication (qui, répétons-le, n’a, dans mon esprit, aucune valeur d’« excuse sociologique), est bien ailleurs. C’est par instinct, par pulsion, impulsion, par désinhibition, que ces jeunes agissent [par parenthèse, écartons aussi l’explication religieuse avancée en nombre d’affaires. Les deux agresseurs du jeune Elias ne connaissaient pas le jeune garçon, ne savaient donc pas qu’il était juif – l’enquête semble à ce sujet avoir déjà confirmé le caractère non-antisémite de l’agression].
Les actes commis par ces agresseurs sont des « actes-réflexe », non-réfléchis. L’on convoite et s’empare de l’objet désiré : un portable, un vêtement…, parce que l’on en a envie, tout simplement. La convoitise de biens matériels demeure en effet un puissant levier d’action dans notre société. Le méfait est, en résumé, commis sans discernement, dans l’ignorance de la responsabilité engagée [l’individu-roi, dont nous parlons dans nos travaux, ne connaît ni règles ni valeurs, n’a aucune notion du bien et du mal : il agit par « bon plaisir ». Plus que de « désinhibition », il faudrait donc plutôt parler ici de méconnaissance de la loi]. Il faut ajouter que, dans la commission de l’acte, l’idée de mort (de l’autre) est impensable ou, pire encore, négligeable. Policiers et magistrats nous répètent, à longueur d’interviewes – et à juste titre – que les jeunes malfaiteurs n’ont conscience ni de la gravité de leur geste, ni de ses conséquences. Faudra-t-il apprendre à nos enfants que l’on peut blesser avec un canif, tuer avec un Opinel 13 (lame de 13 centimètres) ? Oui, il le faudra.
Alors quelles réponses pénales à ces actes illicites qui se multiplient, se banalisent, s’extrêmisent [soyons en certains, le jour viendra où l’on n’attaquera plus les commissariats de police avec des mortiers, mais avec des armes lourdes, des armes à feu – comme c’est déjà le cas dans les quartiers où sévissent les règlements de compte entre narcotrafiquants]. Incarcérer davantage, plus vite, pour de très courtes peines ? C’est la thèse à la mode. Mais je doute que, sauf en quelques rares cas, cette « solution » soit efficace : si la prison était rédemptrice, cela se saurait ! Alors, recruter davantage d’éducateurs spécialisés (de la PJJ ou pas), de psychologues et autres thérapeutes ? Cette idée est intéressante puisqu’elle permettrait évidemment de développer une action en amont, préventive, auprès de jeunes repérés comme potentiellement dangereux ou en danger. On sait combien les moyens humains d’encadrement et d’accompagnement sont insuffisants. Qui sait par exemple qu’il n’existe plus que 32 pédopsychiatres en France ? Que l’on manque partout de travailleurs sociaux, d’infirmières et de médecins scolaires, de policiers et de magistrats, de médiateurs ?
Un professionnel de la Justice – reprenant ici une proposition de Gabriel Attal – suggère la tenue d’« Etats généraux sur la violence des mineurs ». Pourquoi pas, même si l’on sait la faible efficacité sociale de ces « grand-messes ».
Une chose est certaine : le mineur-agresseur de 2025 (qui, soi dit en passant, se recrute dans tous les milieux sociaux, et pas dans les seuls « quartiers » sensibles) ne ressemble pas au mineur d’il y a cinquante ans. Faut-il en conclure qu’il faut faire « sauter » l’Ordonnance de 1945 (révisée en 2021) ? Je ne suis pas certain qu’il s’agisse là de la « bonne » question à se poser.
C’est toute la chaîne du traitement pénal qu’il faut revoir, la gamme des sanctions qu’il faut revisiter avec, peut-être, l’idée sous-jacente de mettre l’accent sur la fonction primordiale de réinsertion et remettre ainsi « dans le droit chemin » une jeunesse qui n’est perdue que pour ceux qui ne l’aiment pas.
Pour le reste, comme je l’explique dans mon dernier livre Fils de p… ! Pareil !, pour un réarmement moral (Ed. Amazon, 2025), il nous faut rétablir au plus vite une « atmosphère morale » dans ce pays, réapprendre, en commençant par les plus jeunes, les valeurs et les conduites appropriées au vivre-ensemble, rejeter la haine, le mépris, l’intolérance et toutes les « valeurs » négatives régantes. Etablissons par exemple dans nos écoles un grand « cours d’éducation civile, pénale et morale »… oui, pénale aussi, en ressortant le tableau noir, sur lequel, chaque matin, à la première heure du cours, les élèves feraient la connaissance d’un article du code pénal, leur indiquant que tel ou tel de leur comportement est une infraction passible d’une sanction pénale.
Michel Fize
Sociologue, politologue
Auteur de Fils de p… ! Pareil !, pour une réarmement moral (Ed. Amazon, 2025)