Pour le Président du think tank Etienne Marcel, la gauche responsable devrait saisir l’opportunité des prochains projets de loi du Gouvernement pour sceller sa réconciliation avec une entreprise devenue plus “citoyenne” à mesure qu’elle adopte une démarche RSE.
En dépit d’une distance ancienne et durable, de la pensée de MARX et ENGELS, la gauche et l’entreprise ne sont pas irréconciliables. La “responsabilité sociétale des entreprises” (RSE) est l’axe qui devrait contribuer à retisser ce lien de confiance distendu. A condition que les parlementaires les plus responsables de la nouvelle union de la gauche rompent enfin avec l’imposture démagogique cultivée depuis le début de la XVIe législature.
Une distance qui a la vie dure
Imprégnée de la pensée marxiste du capitalisme et de la lutte des classes pour la propriété des moyens de production, la gauche a longtemps entretenu une relation distante, voire franchement mauvaise, avec l’entreprise. A l’instar d’autres institutions du reste, par exemple l’armée…
De Max THÉRET à Claude PERDRIEL, d’Antoine RIBOUD à Mathieu PIGASSE en passant par Jean-Charles NAOURI, Louis SCHWEITZER ou encore Pierre-Alain WEILL, même les “patrons sociaux”, les “patrons engagés” pourtant soucieux de développer un projet de progrès économique et social, ont entretenu avec elle une relation “pudique”, pour ainsi dire comme… “hors mariage” !
La déclaration « j’aime l’entreprise » du Premier ministre socialiste Manuel VALLS en août 2014 avait un temps laissé espérer le franchissement d’une étape par la gauche sociale-démocrate et réformiste. Mais l’avènement de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (NUPES) en juin 2022 et du “wokisme économique” a semblé refermer ce qui n’aurait alors été, rétrospectivement, qu’une parenthèse.
Retour vers le futur
Sous l’influence de La France insoumise, du Parti communiste français et d’une majorité du Pôle écologiste, le “surmoi” révolutionnaire de l’extrême gauche tend à éclipser le “moi” réformiste jusqu’au sein du Parti socialiste, lequel tourne ainsi le dos à une partie de son histoire…
“L’extrême-gauchisation” de la nouvelle union de la gauche se traduit par la promotion de la grève, comme probable amorce de la révolution escomptée, et une attitude critique vis-à-vis de l’entreprise, perçue par défaut comme le faux-nez d’un capitalisme qui serait systématiquement synonyme de régression sociale et environnementale. Evidemment, dès l’instant où sont volontairement confondus capital productif et capital spéculatif…
Vis-à-vis du monde économique, cette nouvelle gauche qui a perdu sa culture de gouvernement donne dans le sensationnel, l’anathème, l’expertise toujours partisane et parfois douteuse.
Pour elle, l’entreprise serait à nouveau une organisation institutionnalisant l’asservissement social et les inégalités salariales. Aux dernières élections, les professions de foi proposaient ainsi pêle-mêle l’augmentation autoritaire des salaires, le refus catégorique de la défiscalisation des heures supplémentaires ou encore la taxation tous azimuts des dividendes !
L’entreprise vecteur de progrès
Pourtant, “l’entreprise citoyenne” est de plus en plus la solution pour remettre efficacement au cœur de la société des valeurs de responsabilité, de partage, de solidarité. Elle est un levier indispensable pour renouer du lien social dans les territoires. Les mentalités évoluent vite. Nulle entreprise n’est désormais considérée comme durable dans une société et avec des collaborateurs qui ne le seraient pas aussi.
L’objectif d’une démarche RSE est alors de conjuguer les performances économique, environnementale, sociale et de gouvernance (ESG) de sorte de rester économiquement viable tout en ayant un impact positif et durable sur les parties prenantes et sur la société.
Les entrepreneurs sociaux vont encore plus loin pour domestiquer et “humaniser” le capitalisme, en priorisant la finalité sociale ou environnementale de leur activité économique, à l’écart (et donc à l’abri) de l’actionnariat de marché, et en réinvestissant dans cette mission la majorité de leurs bénéfices. Ils partagent la gestion et le capital de l’entreprise avec leurs collaborateurs, ils favorisent leur rémunération et s’alignent sur celle-ci, privilégient les financements responsables et éthiques, etc.
Ainsi l’entreprise est-elle souvent positionnée à l’avant-garde des enjeux de justice sociale et environnementale : féminisation des équipes dirigeantes, inclusion des personnes en situation de handicap, formation des jeunes via l’alternance, investissement dans des data centers moins énergivores, développement d’usages d’éco-conception, consommation plus frugale des données afin de réduire l’impact carbone…
Être ou ne pas être un parti de gouvernement
Les formations de la nouvelle union de la gauche auront dans les prochaines semaines l’occasion de montrer qu’ils peuvent se comporter en “parti de gouvernement”, c’est-à-dire en parti qui agit dans l’opposition comme il agirait aux responsabilités : en soutenant ce qu’il ferait et en ne proposant pas ce qu’il ne ferait pas.
La sortie du “yakafokonisme” est un enjeu particulièrement prégnant pour une partie des députés socialistes et écologistes de la nouvelle législature. Ils devront agir de façon responsable dans le cadre des discussions des projets de loi -ô combien décisifs- sur le budget, les réformes de l’allocation-chômage et des retraites, les énergies renouvelables… Soutiendront-ils les réformes gouvernementales opportunément pro-emploi et pro-entreprise ? Combattront-ils les propositions démagogiques qui minent le dialogue social, sapent la confiance et l’activité économique? Et qui, ce faisant, fragilisent la création de richesses, le rendement des impôts, l’équilibre des finances publiques et in fine la redistribution des revenus et l’attrait de la France pour les investisseurs étrangers ? Ou bien préféreront-ils ajouter au silence des urnes le bruit stérile de l’hémicycle et de la rue ?
Qu’ils soient “patrons de gauche” ou “patrons de droite”, tous les entrepreneurs de France espèrent.
Bernard Cohen-Hadad
Président du think tank Etienne Marcel