Il a fallu que revienne la revendication du droit à la paresse, mal compris, pour que la « relation au travail » devienne le centre de débats qui occupent les plateaux télé, les cercles de réflexion, motive des colloques et qu’elle vienne nourrir les politiques publiques de courte vue.
Évidemment, de toutes parts, on affirme que la perte de sens du travail n’a rien à voir avec une préférence pour la flemme, ce serait trop simple que de se satisfaire de l’explication d’un Français flemmard, soucieux de ses RTT, jours chômés et semaines de congés payés. Ce serait se faire mal.
Viennent alors au débat la pénibilité du travail et l’usure au travail, une évidente réalité pour certains emplois que des discours font généralité. D’autres avancent que les prestations monétaires diverses, trop généreuses, n’incitent pas au travail, c’est là aussi une réalité pour certains dont on fait une généralité.
S’ajoute l’explication générationnelle. Les générations X, Y, Z, les millenium qui ne croient plus au travail. Ils ont, dans leur relation au travail, des circonstances atténuantes. Ils sont nombreux à avoir grandi avec le chômage de masse comme image (!) du travail, ils sont nombreux à avoir grandi avec la perspective des « petits jobs » et ils ont entendu que le système social n’avait plus d’avenir. Ils sont nombreux aussi à avoir compris que l’Éducation nationale n’avait pas pour but de les préparer à l’emploi. Les autres circonstances atténuantes sont le confort offert par le progrès économique soutenu par une consommation de masse low-cost. Ils ont, évidemment, une autre relation au travail que celle des boomers.
Flemme, pénibilité, confort des prestations sociales, éducation : le diagnostic est insuffisant.
La nouvelle relation au travail n’a pas pour cause première le refus du travail mais l’échec du modèle économique à tenir la promesse d’une vie meilleure, d’une ascension sociale, d’un plus grand confort.
Le droit à la paresse ? Il s’est de fait, peu à peu, réalisé grâce aux gains de productivité permis par le progrès technique et investis dans du temps de congés. Les gains de productivité ont permis la diminution du temps de travail inscrite dans une tendance lourde. La recherche d’un meilleur équilibre entre vie domestique et vie professionnelle est légitime et le télétravail apporte une réponse pour ceux qui en bénéficient.
La question du sens du travail n’est pas nouvelle : progrès technique et désindustrialisation au profit (!) d’une économie de service – emplois à bas salaires qui n’offrent pas de perspective d’évolution sociale – ont fait poser la question du sens du travail bien avant que ne revienne la revendication du droit à la paresse.
Lorsque le chômage de masse s’est installé comme une « préférence », on a inventé les pré-retraites et ressorti aussi une solution directement issue de la Commission du Luxembourg de 1848 : les emplois aidés ou subventionnés sous des formes diverses, constamment enrichies par des politiques publiques de courte vue. Le mal vient de loin !
Le diagnostic invite, alors, à s’interroger non pas sur le confort offert par les prestations sociales compensatrices mais sur la perte de valeur du travail qu’elles induisent. La valeur du travail s’est réduite à celle des aides qui le subventionnent. Il faut voir que si l’individu se satisfait des aides, l’employeur, qui n’est trop souvent plus schumpétérien, s’est fait, lui, « chasseur d’aides ». S’il n’y a plus d’incitation à « bosser » la cause n’en est-elle pas tout autant le « confort » des aides que les effets structurants qu’elles ont sur la nature des emplois offerts et sur l’austérité salariale ? Les politiques publiques pour l’emploi ont socialisé la question de la juste rémunération, elles l’ont externalisée de l’entreprise. Tout le monde s’en satisfait : les entrepreneurs subventionnés, les salariés aidés et l’Administration qui trouvait là à étendre encore le champ de l’action publique ! Nous sommes au point où les questions économiques sont, aujourd’hui, traitées comme des questions sociales. Une science administrative a supplanté l’analyse économique. La « préférence française » n’est pas pour le chômage mais pour l’intervention publique !
Sur la base du constat erroné que l’on n’aimerait plus le travail les politiques publiques se focalisent sur des incitations au travail et oublient qu’il faudrait aussi des incitations à l’emploi.
Á ce moment du quiet quit et des emplois non pourvus, dont on parle comme d’un stock alors qu’il s’agit d’un flux, font à nouveau l’actualité ne faut-il pas changer de politique ? Faut-il encore aider l’emploi ou au contraire le libérer ? Les diverses aides à l’employeur n’ont-elles pas pour conséquence de faire oublier ce qu’est le vrai prix du travail ? L’incitation à employer n’est-elle pas dans la suppression des aides et subventions, qui ne sont pas de l’argent magique mais financées par des impôts et taxes… Rien ne se perd, rien ne se créé, tout se… finance ! Est-il raisonnable de payer le coût des prélèvements obligatoires pour ne pas payer le vrai prix du travail ? La compétitivité-coût y gagne-t-elle ?
Il n’est pas vrai que l’on a tout essayé : on n’a pas essayé de renverser le paradigme ! Ce n’est pas l’ascenseur social qui est en panne : il n’a jamais fonctionné !
C’est l’ascenseur économique qui fonctionnait et qui, aujourd’hui, ne fonctionne plus.
Ce n’est pas le « social » qui épuise l’économie, c’est l’atonie de l’économie trop administrée qui a épuisé la protection sociale (qui n’avait pas pour but de supplanter l’insuffisance d’un modèle économique administré).
La perte de sens du travail n’est pas le fait d’une génération, ni ne résulte d’une démagogie populiste : elle résulte d’un long mouvement de politiques publiques qui ont fait prendre des mesures d’assistance pour mesures de politique économique. L’individu autant que l’entrepreneur y ont cru. Biberonnés aux aides et à l’assistance nous ne savons plus ce qu’est le vrai prix du travail et ne savons pas encore celui des prélèvements obligatoires.
Michel Monier
Membre du Cercle de recherche et d’analyse de la protection sociale – Think tank CRAPS
Ancien DGA de l’Unédic