La question de savoir si la police est raciste ou pas (et discriminante d’une manière générale) est une vraie bonne question (comme peut l’être celle de savoir si elle tue ou pas). A ce sujet, il y a querelle d’opinions – pas de chiffres puisqu’il n’y en a pas : il est seulement question, au mieux, de majorité ou de minorité. Les uns – plutôt défenseurs de l’institution-police – disent que, dans leur grande majorité, les policiers ne sont pas racistes, qu’il n’y a que quelques brebis galeuses qui déshonorent une profession qui, dans l’ensemble, accomplit bien son travail. Les autres – plutôt adversaires de l’institution jugée répressive et souvent abusive – disent finalement (bizarrement ?) à peu près la même chose à savoir que la majorité des policiers se comporte correctement.
C’est donc bien, sur la question du racisme policier, opinion contre opinion, idéologie contre idéologie, car, répétons-le, faute d’études précises sur le sujet, nous n’avons aucune réponse assurée à présenter au lecteur.
Il y a bien, certes, quelques travaux menés depuis une dizaine d’années (notamment par Sébastien Roché) qui montrent l’importance des pratiques discriminatoires au sein des forces de l’ordre, mais rien de vraiment concluant sur le racisme proprement dit.
Il y a bien encore cette étude scientifique ancienne sur le contrôle au faciès qui montre qu’une personne noire ou d’origine maghrébine a six ou sept fois plus de « chances » d’être contrôlée qu’une personne blanche ou bien cette autre étude sur le même sujet réalisée pour le Défenseur des droits, Jacques Toubon, en 2017 qui parle de vingt fois plus de contrôles pour ces personnes. Mais, malgré tout, les travaux sont trop peu nombreux pour conclure avec assurance sur le racisme ou non de la police française.
Rappelons ici que la police est une institution que l’on n’étudie pas ou fort peu (les autorisations d’enquête sont rares, sinon devenues inexistantes depuis une quinzaine-vingtaine d’années). Ce que l’on « sait » donc de l’activité policière « dérapante » émane presque exclusivement de l’IGPN (Inspection générale de la Police nationale) qui, comme chacun sait encore, n’est pas une organisation indépendante du corps policier.
Ainsi y aurait-il beaucoup à apprendre d’une observation discrète des conduites quotidiennes des policiers, du langage tenu, des molestations, provocations, menaces, etc., proférées à l’encontre des citoyens, que ces conduites soient tenues, dans l’espace public, dans les commissariats – notamment au moment des interrogatoires en garde à vue -, dans les fougons de police ou dans tout autre endroit.
Une chose n’est pas contestable, les victimes de « bavures » policières sont souvent noires ou d’origine maghrébine (il y a quelques semaines, dans la nuit du 1er au 2 juillet, lors des dernières émeutes, deux jeunes éborgnés, tous deux victimes de tirs de flashball, l’un à Marseille, l’autre à Chilly-Mazarin (Essonne) – Jalil âgé de 15 ans – étaient bel et bien d’origine maghrébine). Simple coïncidence ?
Deuxième question : si racisme policier il y a [dans une proportion qui ici importe peu], s’inscrit-il dans une sorte de « tradition » de l’institution ?
Prenons deux exemples relativement récents : la période d’Occupation et la Guerre d’Algérie. On sait qu’entre 1940 et 1944, nombre de policiers français ont participé à la répression contre les Juifs, faisant preuve à cette occasion d’un antisémitisme plutôt virulent. Mais, c’est surtout, durant les « événements d’Algérie », aussi bien sur le territoire algérien qu’en métropole, que les forces de l’ordre se sont particulièrement illustrées dans la chasse au « bicot », au « bougnoule » [la persistance de ces injures dans la bouche de certains policiers en 2023 en dit long sur l’apparente difficile cicatrisation d’un conflit pourtant vieux de soixante ans. Ainsi, en mai 2022, sept policiers de la BAC de Nancy ont-ils été condamnés pour avoir traité de « bougnoule » l’un de leur ancien collègue].
Encore dans les années soixante-dix, de nombreux observateurs, à l’image de Roger Errera (cf. Les Libertés à l’abandon, Le Seuil, 1975), signalaient ces mauvais agissements policiers. « Une personne (passant, manifestant, personne interpellée, arrêtée, suspectée), écrit alors Errera, fait l’objet de brutalités, soit sur place, soit dans les locaux de police. Celles-ci peuvent aller de « simples » injures et brutalités à des sévices proches de la torture. »
A signaler l’existence d’un racisme entre collègues policiers eux-mêmes. Ainsi, en 2019, huit policiers en poste au Palais de justice de Rouen seront -ils sanctionnés pour avoir tenu des injures racistes envers deux ex-collègues d’origine africaine, les traitant notamment de « putes à nègre ».
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Précisons notre propos. Une première histoire nous vient à l’esprit. C’est l’histoire de madame Madouni. Un soir, vers 21 heures, cette dame assiste à un contrôle d’identité effectué par trois policiers : deux hommes et une femme, à la station de métro Nation, à Paris. Se voyant observés par la dame en question – qui garde pourtant silence devant la scène -, les agents lui demandent de leur présenter une pièce d’identité. Son nom, Madouni, déclenche aussitôt de leur part sarcasmes et injures divers. Plaquée au sol, fouillée, la dame élève des protestations très vives et se débat autant qu’elle peut. Dès cet instant, madame Madouni est traînée, menottes aux poignets, jusqu’au commissariat et placée immédiatement en garde à vue. Pendant vingt-quatre heures, cette femme sera molestée, injuriée et, malgré son opposition, fouillée à corps. Durant tout ce temps, elle ne sera pas non plus autorisée à téléphoner à sa fille de neuf ans restée seule à la maison. Déférée au Parquet, elle sera finalement relâchée mais poursuivie pour outrage et coups et blessures à agents.
Récente cette histoire ? Eh bien non !
Elle s’est produite en décembre 1992, il y a donc plus de trente ans. Exceptionnelle ? Eh bien non encore, si l’on en croit les conclusions du rapport de la Fédération internationale des Droits de l’Homme de mai 1991 faisant état d’un « racisme latent dans la police française ». Les rapporteurs écrivent alors : « Les contrôles d’identité tels qu’ils sont actuellement régis par la loi permettent des abus intolérables. En effet, non seulement elle autorise les policiers à interpeller des personnes contre qui ne pèse aucun soupçon (…) mais elle incite à cibler des populations spécifiques caractérisées par la couleur de leur peau et leur prétendue origine.
Une telle solution est contraire au principe de la présomption d’innocence de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales de 1950. »
Trente ans ont passé et la France est toujours « épinglée » pour les comportements discriminants de sa police. En décembre 2022, le comité de l’ONU pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD) se disait ainsi, d’une part « préoccupé par la persistance et l’ampleur des discours à caractère raciste et discriminatoire en France, notamment dans les médias et sur internet » et d’autre part attristé de voir chez les policiers français « le recours fréquent aux contrôles d’identité, à des interpellations discriminatoires, ainsi qu’à l’application des amendes forfaitaires délictuelles imposées par la police ou les forces de l’ordre, ciblant de manière disproportionnée certaines minorités », le comité, pour finir, se disant inquiet de contrôles « souvent accompagnés de propos et d’actes racistes et discriminatoires. » Quelques mois plus tard, en mai 2023, le Haut-Commissariat des Nations Unies, dans son rapport sur les Droits de l’Homme, reprenait presque mot pour mot les conclusions du CERD.
Ces rapports, dont la tonalité semble invariable depuis plusieurs décennies, s’appuient naturellement sur des faits dont on peut penser qu’ils sont en recrudescence depuis quelques années [mais peut-être sont-ils aussi plus visibles en raison des nombreuses caméras de surveillance dans les espaces publics et donc d’une forte médiatisation].
Une explication n’exclut pas l’autre.
Faits discriminatoires donc s’accompagnant de plus en plus souvent de violences physiques. On se souvient, après la mort du jeune Nahel (d’origine maghrébine), âgé de dix-sept ans, à Nanterre, du tabassage à Marseille, en marge des émeutes urbaines, dans la nuit du 1er au 2 juillet dernier, du jeune Hedi, âgé de vingt et un ans, par quatre policiers de la BAC de la ville. L’un est aujourd’hui placé en détention provisoire (mesure rarissime pour un policier mais pas illégale selon l’article 144 du CPP), les trois autres sous contrôle judiciaire.
A signaler que l’appartenance de nombreux policiers à la mouvance de l’extrême-droite, avec un discours anti-immigré très fort, peut expliquer pour partie un racisme policier réel ou latent. On se souvient qu’en juin 2020 un groupe Facebook accueillant 8 000 policiers et quelques gendarmes avait défrayé la chronique. Plusieurs propos racistes, sexistes et homophobes avaient été tenus par des membres de ce groupe. Plusieurs sanctions s’en étaient suivies. Enfin, il faut préciser qu’une formation policière insuffisante (le ministre Darmanin reconnaissait lui-même récemment le faible niveau d’études des agents de police) peut contribuer à faire que la police actuelle, à force de mauvaises conduites, devienne elle-même un trouble à l’ordre social.
Sans doute est-il temps de sortir la police d’une « logique du soupçon ».
Réfléchissons un instant (en forçant un peu le trait) : les policiers n’ont-ils pas tendance à considérer a priori les citoyens comme des coupables (au moins potentiels), leurs déclarations comme des mensonges le plus souvent et leurs comportements comme des menaces à leur encontre ?
Ouvrons donc, avant de terminer, quelques pistes en rappelant quelques principes pour la « refabrication » d’une police authentiquement républicaine :
- La police n’est pas un pouvoir mais un service public dont le rôle est avant tout de protéger les citoyens. C’est tout le sens contenu dans la vieille expression de « police-secours ». Le policier est à cet égard à la fois un citoyen comme les autres qui n’a ni plus ni moins de droits que les autres citoyens, et un citoyen différent des autres, qui, de par ses missions régaliennes, a un devoir d’exemplarité, devant nécessairement le placer au-dessus de tout soupçon. Ce qui autorise ici à dire qu’en cas de dérapage un policier devrait, non pas être sanctionné moins durement qu’un citoyen ordinaire, mais au contraire plus lourdement.
- La police, comme toutes les institutions, est critiquable : hier, aujourd’hui et demain. Elle doit donc être soumise à un contrôle permanent et indépendant (Cf. notre papier « Contrôler la police, une évidence démocratique » sur le site de la Revue politique et parlementaire). C’est la garantie d’une véritable protection des citoyens.
- La police doit mieux affirmer son indépendance des partis politiques.
- La police doit traiter également les citoyens. Or, ce n’est toujours pas le cas. Même si un arrêt de la Cour de cassation de novembre 2016 a rappelé qu’un contrôle fondé sur l’apparence physique était discriminatoire et constituait une faute lourde, les policiers continuent d’effectuer ce type de contrôles – avec tutoiement dans la majorité des cas. Pour mettre fin à une telle pratique qui dégrade les relations des jeunes avec la police, diverses solutions existent comme la remise d’un récépissé après vérification d’identité.
Michel FIZE
Sociologue
Politologue
Auteur de Colères (Independently published, 2023)