Sur le fond, les économistes lucides et sincères ont parfaitement assimilé que la réforme des retraites est un échec en gestation. Non elle n’est pas un succès financier et dès la clause de revoyure de 2027, alliée à la fureur de la future élection présidentielle concomitante, le pays découvrira que les équations de l’exposé des motifs de la loi de 2023 étaient tronquées autant que trompeuses comme l’a explicitement mentionné le Conseil constitutionnel.
L’équation budgétaire du système des retraites sera à repenser y compris dans les fondamentaux contributifs qui abondent les pensions servies.
D’ici à 2030, il est hautement probable que les robots et autres automates seront inclus, pour partie, dans l’assiette des cotisations. Que ne l’a-t-on tenté en 2023 ?
La France est dotée d’une carence en qualité rédactionnelle des textes soumis au Parlement par un État souvent fruit sec.
Pour l’heure, il faut être choqué des inégalités persistantes entre les femmes et les hommes : cette réforme est absurde tant elle cultive l’inégalité entre les sexes. Tout le monde convient qu’il aurait fallu proposer au pays ( et donc au Parlement ) une loi sur le travail érigeant enfin en réalités les principes d’égalité définis par la loi Roudy de 1983.
Je suis convaincu qu’une vraie loi Travail aurait, au préalable, déminé une section du dossier Retraites.
Par ailleurs, nombre de salariés ne pourront tenir jusqu’à 64 ans. Qui n’est pas convaincu par cette affirmation n’a qu’à se reporter à l’analyse des pics d’ALD ( Affection longue durée ) et aux travaux d’actuariat ( tables de mortalité ) des mutuelles.
Une fois de plus, le Gouvernement a voulu traiter une question microéconomique avec des pinces à métaux d’ordre macroéconomique. La solution devait venir de l’analyse du terrain pas d’une démarche dogmatique et partiellement solitaire.
Pour l’heure, le président de la République veut passer à autre chose et tourner la page ce qui est illusoire et révèle un calcul politicien incompatible avec sa charge. La scarification, en matière sociétale, a dépassé la simple brouille sociale. Tous les sondages révèlent que les salariés et les indépendants ne veulent pas faire un travail de deuil au regard de leurs acquis sociaux.
A ceux qui se croient brillants en indiquant que nos partenaires européens voient leurs salariés partir plus tard que le seuil de 64 ans, je suggère de croiser ce fait avec le nombre d’annuités requis pour partir à taux plein.
En France, les 43 annuités issues de la réforme Touraine ( mise en vigueur sous la présidence de François Hollande ) seront un couperet qui priveront bien des travailleurs de la faculté de liquider, à taux plein, leurs droits à la retraite.
Pour l’heure, l’Exécutif qui a déjà montré sa capacité à générer du mépris et une approche policière de certains évènements se cache derrière des dossiers paravents. Quand un président va chercher le mot » décivilisation » pour agiter le débat public, Chloé Morin est effectivement fondée à souligner le côté diversion de l’usage frontal de ce mot à pseudo-valeur de concept bancal.
Les » gens » très intelligents pensent effectuer de la triangulation pour le microcosme politique et oublient ainsi que Jean-Pierre, Solange ou Salma sont cantonnés devant leurs ordinateurs et effectuent avec angoisse des simulations de calculs d’âge et de modalités de fin de carrière.
Chaque personne qui va partir en retraite prendra une sorte de claque face à ses espoirs initiaux et aura, en tant qu’électeur, envie de générer un effet-boomerang.
En simplifiant, comment gommer le fait que deux blocs ( Nupes et RN ) vont continuer de proposer un départ à 60 ans ce qui est un mot d’ordre simple à assimiler et un attrape-tout électoral.
Voilà le cœur de la rémanence fatale. En horlogerie, Emmanuel Macron a créé un cartel qui sonnera dangereusement aux oreilles de nos valeurs républicaines et démocratiques. Le moment venu, la macronie comprendra son erreur et verra se dresser un Cartel digne du cartel des gauches de la IIIème République.
Cette réforme de 2023 est une réforme de nénuphars sur un étang dont on voit la surface faute de consistance systémique.
Pour les afficionados de droit parlementaire, je rappelle qu’il était loisible de reprendre la réforme version pré-Covid et déjà adoptée sous l’égide de l’article 49-3.
Seule une réforme systémique loyalement négociée sera notre planche de salut. Le paramétrique donne une illusion d’euphorie à Bruxelles, Bercy et autres. Loin des exigences de respect sociétal.
Sophie Binet ( CGT ) a posé un diagnostic quant à la mémoire des travailleurs qui rejoint, dans une autre dimension idéologique, des propos de Bernard Vivier au nom de l’Institut Supérieur du Travail.
Mon analyse économique se résume par une exclamation à l’adresse de cette réforme de 2023 : tout çà pour çà !
Mon analyse sociale est contenue dans un cri : que de souffrances sociales pour ses futures retraites brutalement tronquées.
Un étudiant bac + 4 qui entre sur le marché du travail à 25 ans devra présenter 43 annuités soit un départ à 68 ans.
Le seuil de 64 ans ne correspondra pas à la réalité pour des millions de travailleurs. C’est un leurre.
Mon analyse politique considère que le corps social a été lourdement bousculé et que cette scarification sera durable. Les entourages ministériels que la vie me donne l’occasion de fréquenter sont loin d’avoir mesuré l’ampleur de cette lame de fond.
Quant à mon analyse citoyenne, éloignée des extrêmes, elle redoute la rémanence. Nous ne sommes pas un peuple sans mémoire, pire nous sommes un peuple avec une mémoire sélective.
Et en tant qu’analyste, je vous soumets une phrase puissante de Montaigne : » Il se voit par expérience que les mémoires excellentes se joignent volontiers aux jugements débiles « . ( Essais ).
Emmanuel Macron devra rendre compte, devant l’Histoire de notre pays de cette rémanence fatale si elle débouche sur un vote extrême conquérant porteur de mémoire et de » jugements débiles « .
Jean-Yves Archer
Economiste et membre de la Société d’Economie Politique