Oui, la reprise arrive alors qu’on ne l’attendait pas. Inflation, remontée des taux, annonce d’un plan d’économie de dépenses publiques, perspectives de croissance, qui d’avis d’experts, ne seront pas celles de l’Exécutif et aussi les défaillances d’entreprises : autant de faits et de signaux qui n’annoncent pas, loin de là, une reprise économique. Et pourtant elle se profile, elle approche, elle arrive.
Les économistes y perdent leur latin (le pratiquant assez peu, ils ne perdent pas grand-chose). Bercy, toujours soucieux de la trajectoire des finances publiques et contraint, cette fois, par le « pas d’impôts supplémentaires » de son ministre montrera son art du dérapage (que dis-je : du drift). De leur côté, spectateurs engagés, les classes moyennes attendent, fébriles, les mesures du plan du ministre de l’action et des comptes publics qui leur promet de « mieux vivre de leur travail ».
Alors, d’où vient-elle cette reprise ? De la réindustrialisation, du futur établissement public France travail, des investissements dans la transition énergétique ? Que nenni !
Il y aura bien l’effet vacances qui va faire consommer un peu des livrets A gonflés par le quoi qu’il en coûte des confinements. Mais ce n’est là que conjoncturel ! La reprise qui s’annonce sera structurelle, cousue main peut-on même dire.
C’est une nouvelle illustration de ce qu’est le modèle français qui va relancer la croissance !
Il faut bien sûr que l’Etat intervienne et, cette fois, il le fait intelligemment. Il le fait, par le moyen d’incitations. Gageons que l’Administration et les conseillers ministériels ont revu, même rapidement, la littérature sur la théorie des incitations et retenu des Professeurs Jean Jacques Laffont et Jean Tirole que le principal (celui qui incite) dispose d’informations sûres et suffisantes sur les agents (les incités).
La reprise qui s’annonce, j’y viens, a pour moteur l’incitation à … faire rapiécer ses vêtements ou ressemeler ses chaussures plutôt que d’en racheter des neufs ! Du cousu main disais-je ! Après le quoi qu’il en coûte voilà le quoi qu’il en coud !
Face à cet enjeu macroéconomique il n’est pas inutile de s’interroger sur le niveau de maîtrise de la théorie des incitations par les promoteurs de cette nouvelle aide publique : ont-ils intégré que nombreux des agents qu’il s’agit d’inciter à faire repriser ses vêtements, ou ressemeler ses chaussures, ont une préférence marquée pour les jeans déchirés aux genoux et, s’agissant de la chaussure, pour le sneaker qui se prête mal au ressemelage ?
Ont-ils anticipé que certains des agents-incités joueront l’effet d’aubaine ? Ont-ils anticipé une éventuelle pétition des fabricants de chandelles qui seraient, en l’espèce, celle des fabricants de fast fashion.
Ce billet ne se veut ni critique, ni cynique : je souhaite vivement que cette incitation à faire rapiécer ses vêtements soit un succès et si ce billet peut participer à la définition des politiques publiques je propose que Pôle emploi, en relation avec l’U2P, anticipe la formation de couturières et des cordonniers, dont nous manquons cruellement. Il ne faudrait pas que l’accès au droit au rapiéçage et au ressemelage ne soit pas entravé par un manque de compétences disponibles (le programme de formation pourrait être « Papa pique et Maman coud »).
Cette aide au rapiéçage doit être une réussite car ce dont il s’agit dépasse les vêtements usés et les semelles trouées. Cette aide porte une réelle ambition : celle du rapiéçage de l’économie nationale attentive aux enjeux écologiques !
Après avoir cité les professeurs Laffont et Tirole c’est un autre toulousain qui s’impose pour la conclusion de ce billet « la France, ce merveilleux pays soviétique qui vote à droite pour le rester ».
Michel Monier
Ancien DGA de l’Unédic
Membre du Cercle de recherche et d’analyse de la protection sociale
Think tank CRAPS.