A l’occasion des 150 ans de la proclamation de la République, l’Observatoire de la vie politique et parlementaire et le Comité Carnot, avec la participation de l’Observatoire des institutions, administrations et collectivités, ont rédigé un « cahier républicain ». La Revue Politique et Parlementaire a décidé d’en publier les contributions. Aujourd’hui “La République nous appelle” par Natacha Loupan.
La « République nous appelle » : le mot magique
« Nation », « démocratie, « Révolution », « République » : des mots voyageurs …La République est donc, dans le vocabulaire même, tout à la fois une réalité institutionnelle…et une doctrine ou un « esprit » qui n’est en quelque sorte jamais réalisé, toujours en devenir » Claude Nicolet, L’idée républicaine en France – Editions Gallimard 1982
En à peine cent ans, le pays a connu deux Républiques, l’une de douze ans (1792-1804), sur laquelle le Premier Empire napoléonien a bâti son esprit de conquête et sa conception autoritaire de mettre « fin à la Révolution » ; une seconde d’à peine quatre ans (1848-1852) née de journées révolutionnaires ayant abouti à un régime présidentiel pour finir par un coup d’État qui lui-même allait mettre hors-jeu, de manière violente – et pour longtemps – une part importante du renouvellement de la classe politique, les Républicains.
Ces deux séquences, bien que courtes, ont marqué profondément des générations, dans la mesure où elles ont bouleversé l’organisation millénaire du fonctionnement de l’État et les rapports entre les gouvernants et le peuple et les modes de représentation. Le pouvoir qui était autrefois une prérogative de la noblesse et des rois – ou des empereurs -, a été transféré à la bourgeoisie ; celle-ci partageait, néanmoins, avec une certaine aristocratie le pouvoir financier et les échanges ; le « peuple » demeurait encore loin du contrôle et de l’exercice du pouvoir. En 1848, comme en 1830, c’est le peuple parisien, qui se révolte poussé par les libéraux et les républicains, héritiers de 1789. Il « proclame la république », ce mot magique.
En septembre 1870, la situation est bien différente. La proclamation de la République ne se fait pas dans un contexte insurrectionnel (bien que les événements de janvier et août 1870 en aient préfiguré une potentialité) mais dans le contexte bien particulier d‘une défaite militaire et de l’Empereur se constituant prisonnier…mais sans abdication, ni transmission de pouvoir, ni pouvoir ou autorité réelle de substitution. En quelque sorte une absence, une « vacance ».
C’est dans cette situation institutionnelle confuse que le mot magique ressurgit ce 4 septembre : la République, criée par les « envahisseurs » du Palais Bourbon et que Léon Gambetta va reprendre sur les lieux mêmes de la représentation nationale, entraînant à sa suite, avec Jules Favre, vers l’Hôtel-de-Ville cette foule qui réclame aussi la déchéance. Il emploie le mot magique dans un lieu magique qui symbolise l’unité et la fraternité.
Mais en 1870, hormis les républicains historiques, sait-on exactement, après vingt ans de régime répressif durant lequel le seul prononcé du mot « République » est interdit, ce que représente ce mot. Un espoir, une libération, la paix, un droit d’expression ? Quelle réalité, quel idéal associe-t-il à cette notion ?
Dans le très distingué Dictionnaire de la conversation et de la lecture, inventaire raisonné des notions générales les plus indispensables à tous par une société de savants et de gens de lettres, le parti républicain est ainsi décrit : « Ennemi déclaré de tout gouvernement qui ne lui semble pas conforme à ses vues, brave les lois et la volonté nationale, va droit à son but, et, en cas de non-succès, accepterait le supplice comme une couronne civique. Sa conduite décèle trop l’aveuglement du fanatisme pour qu’on ne le reconnaisse point. Malheureusement des écarts des âmes fortes et pures égarées par de fausses notions du juste, du bon et de l’utile, passeront longtemps encore pour des actes d’une vertu de l’ordre le plus élevé (…) ».
La République, fait peur ! Elle est, pour certains, synonyme de désordre, voire d’anarchie.
La dureté et la sévérité de ces mots révèle bien que les contemporains de l’époque étaient loin de voir tous en la République une voie vers « le salut public »
La « république » est comme le «temps » ou l’«espace», c’est une notion que tout le monde saisit intuitivement, mais que personne ne saurait définir de manière claire, précise et incontestable. Pourquoi ? Principalement parce qu’elle s’est matérialisée dans des civilisations et des histoires extrêmement diverses, qu’elle a organisé la vie politique de populations de taille plus ou moins importantes et sur des temporalités plus ou moins longues. Ainsi, il va de soi que la République romaine n’a que peu de points communs avec la Ière République française. Pourtant, grâce à l’éclairage de la philosophie, nous pouvons esquisser le portrait de ce que l’on entend par république en 1870.
Commençons par l’explication du mot. La « république » est une traduction de la « res publica » littéralement, la chose publique. Par définition, la respublica est ce qui n’est pas la res privata, la « chose privée ». C’est lorsque que nous tâchons de définir « res » que les difficultés surgissent. « Res » en latin est un « mot-valise » qui renvoie à de nombreuses et diverses réalités. Mais dans cette expression, elle prend le sens plus précis « d’affaire », au sens de « sujet » ou « occupation ». La « république » est donc « l’affaire du peuple ». Cicéron, dans son De Republica précise que le peuple est « un groupe nombreux d’hommes associés les uns aux autres par leur adhésion à une même loi et par une certaine communauté d’intérêts ». Par conséquent, le peuple n’est pas seulement une somme d’individus et l’affaire publique ne se règle pas comme l’affaire privée. Pourtant, Cicéron ne se préoccupe pas de la question du pouvoir. Que le peuple gouverne ou non, on parle de république dès lors que l’intérêt public constitue la fin de l’action politique.
Cette position, assez loin de notre conception de la république, est également partagée par Rousseau, qui rappelle dans son Contrat Social que la république est le régime politique dans lequel s’accomplit la «volonté générale», par l’intermédiaire des lois. Ainsi, elle est liée aux notions connexes du droit : la justice, l’égalité et la liberté. Cette dernière, telle que la conçoit Rousseau, a le sens précis de « volonté de respect des lois », parce que celles-ci sont le fruit de la « volonté générale ». Ce concept, propre à la philosophie de Rousseau, est la condition sine qua non à tout État.
C’est parce que le droit émane de la volonté générale et donc de sa propre volonté, que chaque citoyen veut respecter la loi. C’est parce que chaque citoyen recherche son bien et celui des autres, que chacun y trouve son compte et est libre de respecter les lois.
Pourtant il faut attendre Montesquieu pour voir apparaître un lien explicite entre la « res publica » régie par les lois et le demos kratos (le pouvoir au peuple), qui relève, lui, de la gouvernance.
Montesquieu, attentif à la relation unissant la loi et la liberté politique, a ainsi distingué trois formes de gouvernement : le despotisme, où le Prince, le seul au pouvoir établit les lois à sa convenance ; la monarchie, où le Prince se réfère aux lois ; et à la république, qu’il subdivise selon que le pouvoir appartient à une partie du peuple, on parle alors d’aristocratie, ou qu’il appartient à tout le peuple, on parle alors de démocratie. Le philosophe des Lumières est alors l’un des premiers à sceller un lien durable entre la démocratie et la république. C’est à cet instant, que la république se décrit comme la « gouvernance du peuple par le peuple et pour le peuple ». Elle se porte garante de la justice, de l’égalité, de la liberté et du droit.
Alors, il s’opère un formidable bouleversement : elle passe de simple organisation politique à idéal.
En 1870, le peuple humilié par la défaite des armes et humilié par une carence de la gouvernance remet tous ses espoirs dans cet idéal, cette « utopie », ce chemin par lequel il faut passer pour espérer atteindre « le salut public ». Ceux qui proclament et soutiennent la République le 4 septembre la présentent comme la voie vers la victoire. Le peuple devient le « vengeur de la Patrie » qui a été foulée par l’ennemi.
La République est « combattante », symbole de ralliement à la « Défense nationale » et rappelle le chant guerrier qu’est « le Chant du départ » : « La République nous appelle » Marie-Joseph Chénier en 1794 prolongeait l’exaltation vers le « salut public » : « la liberté guide nos pas…le peuple souverain s’avance…les républicains sont des hommes…les citoyens beaux de gloire et de liberté…à nos représentants…les Français donneront au monde et la paix et la liberté ». Tant de mots que l’on ne retrouve pas dans l’hymne national, la Marseillaise, où d’ailleurs n’apparaît non plus le mot République !
Mais revenons à l’organisation politique : la République s’impose en faisant de la justice, de la démocratie, de la liberté, et de l’égalité en principe, sa raison d’être. Le mot magique relie l’idéal à cette raison. Qu’est-ce l’idéal de la République, ce que les républicains nomment « l’idéal républicain » et qui servira à la consolidation d’une « politique républicaine » ?
« Se dire républicain et en même temps s’opposer, ouvertement ou sournoisement aux réformes que demande la justice sociale, c’est une contradiction flagrante, ou un mensonge », écrit Lévy-Bruhl ; « du même coup, l’idéal républicain est démocratique. Car la justice exclut toute organisation politique où le peuple ne disposerait pas de lui-même, où sa destinée dépendrait soit d’un individu, soit d’une oligarchie…Il s’agit, en un mot, d’exprimer en termes concrets cette justice qui est l’essence même de l’idéal républicain, de montrer en quoi elle consiste, et par quels moyens elle doit se réaliser », poursuit Lévy-Bruhl.
La République s’impose mais le mot magique progresse en milieu doublement hostile : les campagnes en 1871 demeurent encore conservatrices, leur vote envoie une majorité qui met le mot République en attente et qui tient encore ce mot suspect ; les grandes villes sont « républicaines » certes mais aspirent à une République qui ne tombe pas au-dessous d’un standard of life, d’un niveau de vie minimum, une République qui renouvelle le serment de l’abolition des privilèges, une République qui redéfinisse les droits dans les principes d’égalité et de liberté.
Son message, ses valeurs et la voie d’expression qu’elle a offert lui ont permis de conquérir les foules.
La magie doit faire passer cette République consentie (que l’on a nommé la « République conservatrice », ou la « République sans républicains » !) à une mise en application de l’idéal. Encore Lévy-Bruhl : « A l’homme politique la tâche de dresser un programme qui puisse être mis tout de suite à exécution, et qui doit donc tenir compte des circonstances de temps et de lieu. L’idéal engendre les principes sur lesquels le programme repose : il est l’âme qui l’inspire, mais il ne le dicte pas »
Un idéal ne dicte pas ! La magie serait-elle finie ? Allons plus loin et interrogeons-nous alors sur les raisons qui ont depuis cent cinquante ans permis à cet idéal de résister aux épreuves, aux haines, aux guerres dévastatrices, aux démembrements des territoires, aux conséquences aujourd’hui centenaires du démembrement des Empires…
Contrairement à la monarchie, la République n’est pas tournée vers le passé et la tradition mais vers l’avenir et le progrès. Il y a un « plus » que s’accorde la République, celui de la flexibilité, de l’adaptabilité, de la mobilité…à condition que les instruments de gouvernance le lui permettent. La IIIème République a prêté souvent le flanc à des déstabilisations, voire des tentatives de renversement. Le mot perdait quelque fois de sa magie lorsque réapparaissait « la Gueuse » dans le vocabulaire de ses détracteurs. Si en 1870, la République n’est encore qu’une notion floue, une « construction » à réaliser, son ambition et les outils philosophiques et institutionnels, dont elle va se doter, sont, quant à eux, puissants et mis à la disposition des novateurs et des promoteurs de l’Instruction publique, de la Laïcité, de la Liberté d’Association ; des outils qui vont lui permettre de s’imposer comme un régime politique moderne, de s’adapter à l’évolution de la société ; à entendre les revendications populaires, à évoluer vers des formes nouvelles de solidarité.
La République a su faire face à la modernité, à l’évolution des mœurs, aux libertés nouvelles, en trouvant régulièrement la justesse des mots et des actes pour contenir les affrontements et assurer l’unité de la nation ; elle a relevé trois fois les défis de la reconstruction physique et morale du pays ; elle a en revanche faibli sur la solidité de ses « instruments » constitutionnels.
Trop généreuse, trop aveuglée par l’idéal, elle a quand même adouci la rigidité de ses doctrinaires, les faisant tendre à plus d’écoute et de libéralisme.
La magie du mot n’est-elle pas de regarder à l’infini, de scruter les dysfonctionnements possibles, les failles, de demeurer aux aguets, de découvrir les « niches » d’innovation, de révolution des idées, d’être moderne, d’être nouveau. « Moderne », c’est précisément l’adjectif donné à la République que souhaitait Pierre Mendes France. « Nouvelle », c’est l’adjectif que donnait le général de Gaulle à la République en 1958. Entre le 4 septembre 1870 et aujourd’hui, il y a le 25 août 1944 – à huit jours près – exactement à mi-distance de la proclamation par Gambetta et de la célébration de son 150ème anniversaire ; rien de plus fort que cette réplique du chef de la « France combattante » puis de la « France libre », à l’Hôtel-de-Ville au président du CNR : « la République n’a jamais cessé d’exister ». Magie du mot, magie de l’Histoire…la politique se conduit souvent avec des mots magiques et c’est souvent le peuple qui l’y contraint.
Natacha LOUPAN
Étudiante en Histoire à Paris-Sorbonne
« La République nous appelle »
Chant du départ de Marie-Joseph Chénier
Le chœur des guerriers
Refrain
La République nous appelle ;
Sachons vaincre ou sachons périr ;
Un Français doit vivre pour elle ;
Pour elle un Français doit mourir.
Un représentant du peuple
La Victoire, en chantant, nous ouvre la barrière ;
La liberté guide nos pas ;
Et, du nord au midi, la trompette guerrière
A sonné l’heure des combats.
Tremblez, ennemis de la France,
Rois ivres de sang et d’orgueil ;
Le peuple souverain s’avance :
Tyrans, descendez au cercueil.
La République nous appelle ;
Sachons vaincre ou sachons périr ;
Un Français doit vivre pour elle ;
Pour elle un Français doit mourir.
Refrain
Une mère de famille
De nos yeux maternels ne craignez point les larmes ;
Loin de nous les lâches douleurs !
Nous devons triompher quand vous prenez les armes ;
C’est aux rois à verser des pleurs.
Nous vous avons donné la vie ;
Guerriers, elle n’est plus à vous :
Tous vos jours sont à la patrie ;
Elle est votre mère avant nous.
Refrain
Deux vieillards
Que le fer paternel arme la main des braves ;
Songez à nous aux champs de Mars :
Consacrez dans le sang des rois et des esclaves
Le fer béni par vos vieillards ;
Et, rapportant sous la chaumière,
Des blessures et des vertus,
Venez fermer notre paupière
Quand les tyrans ne seront plus.
Refrain
Un enfant
De Bara, de Viala, le sort nous fait envie ;
Ils sont morts mais ils ont vaincu :
Le lâche accablé d’ans n’a point connu la vie ;
Qui meurt pour le peuple a vécu.
Vous êtes vaillants, nous le sommes ;
Guidez-nous contre les tyrans :
Les républicains sont des hommes ;
Les esclaves sont des enfants.
Refrain
Une épouse
Partez, vaillants époux, les combats sont vos fêtes ;
Partez, modèles des guerriers ;
Nous cueillerons des fleurs pour en ceindre vos têtes ;
Nos mains tresseront vos lauriers ;
Et si le temple de mémoire
S’ouvrait à vos mânes vainqueurs,
Nos voix chanteront votre gloire
Et nos flancs portent vos vengeurs.
Le chœur des guerriers
Refrain
Une jeune fille
Et nous, sœurs des héros, nous qui de l’hyménée
Ignorons les aimables nœuds.
Si pour s’unir un jour à notre destinée
Les citoyens forment des vœux,
Qu’ils reviennent dans nos murailles
Beaux de gloire et de liberté,
Et que leur sang dans les batailles
Ait coulé pour l’égalité !
Le chœur des guerriers
Refrain
Trois guerriers
Sur le fer, devant dieu, nous jurons à nos pères,
À nos épouses, à nos sœurs,
À nos représentants, à nos fils, à nos mères,
D’anéantir les oppresseurs.
En tous lieux, dans la nuit profonde
Plongeant la féodalité,
Les Français donneront au monde
Et la paix et la liberté.
Chœur général
L’élite dans l’« Idéal républicain »
« …De même si l’égalité doit être autre chose qu’un mot, il ne suffit pas d’en proclamer le principe. Il faut qu’aux inégalités que la nature produit entre les individus, il ne s’en ajoute pas d’autres plus écrasantes, du fait des institutions sociales. En d’autres termes, ces institutions doivent assurer à chaque personne humaine la possibilité de se développer autant qu’elle en est capable, et de lutter contre les autres à armes égales. Faut-il entendre par là que l’idéal républicain est un idéal niveleur, que la démocratie comme il a été de mode de le lui reprocher, est envieuse et jalouse de tout ce qui s’élève au- dessus de la médiocrité, qu’elle a la peur et la haine des élites ? Conception basse, gratuitement prêtée à la démocratie par ses adversaires et incompatible au contraire avec l’idéal républicain. Loin d’être l’ennemi des élites, ce régime ne peut subsister que par elles. Il sait fort bien que c’est aux efforts séculaires d’une élite, d’abord faible et petite, puis gagnant peu à peu en nombre et en influence que sont dus la chute de l’ancien régime et l’affranchissement du peuple. Si, par impossible, l’élite de notre société était sacrifiée et disparaissait, tout ce qui a été péniblement gagné sur les puissances d’oppression périrait avec elle. La démocratie n’est donc pas si aveugle pour croire qu’elle peut se passer d’une élite. Mais ce qui la distingue des régimes antérieurs, c’est qu’elle ne veut pas que cette élite lui soit imposée toute faite, ni qu’elle se recrute, exclusivement ou de préférence, dans une seule classe sociale. Il faut avouer, d’ailleurs, que sur ce point aussi, nous sommes encore loin de l’idéal… ». L. Lévy-Bruhl : l’idéal républicain dans La politique républicaine – Librairie Félix Alcan 1924
République : « Le 4 septembre 1870, au lendemain de Sedan, on la vit s’offrir au pays pour réparer le désastre… »
Discours du général de Gaulle, le 4 septembre 1958, place de la République à Paris
« C’est en un temps où il lui fallait se réformer ou se briser que notre peuple, pour la première fois, recourut à la République. Jusqu’alors, au long des siècles, l’Ancien Régime avait réalisé l’unité et maintenu l’intégrité de la France. Mais, tandis qu’une immense vague de fond se formait dans les profondeurs, il se montrait hors d’état de s’adapter à un monde nouveau. C’est alors qu’au milieu de la tourmente nationale et de la guerre étrangère apparut la République ! Elle était la souveraineté du peuple, l’appel de la liberté, l’espérance de la justice. Elle devait rester cela à travers les péripéties agitées de son histoire. Aujourd’hui, autant que jamais, nous voulons qu’elle le demeure.
Certes la République a revêtu des formes diverses au cours de ses règnes successifs. En 1792 on la vit, révolutionnaire et guerrière, renverser trônes et privilèges, pour succomber, huit ans plus tard dans les abus et les troubles qu’elle n’avait pu maîtriser. En 1848, on la vit s’élever au-dessus des barricades, se refuser à l’anarchie, se montrer sociale au-dedans et fraternelle au-dehors, mais bientôt s’effacer encore, faute d’avoir accordé l’ordre avec l’élan du renouveau. Le 4 septembre 1870, au lendemain de Sedan, on la vit s’offrir au pays pour réparer le désastre. De fait, la République sut relever la France, reconstituer les armées, recréer un vaste empire renouer des alliances solides, faire de bonnes lois sociales, développer l’instruction. Si bien qu’elle eut la gloire d’assurer pendant la Première Guerre mondiale notre salut et notre victoire. Le 11 novembre, quand le peuple s’assemble et que les drapeaux s’inclinent pour la commémoration, l’hommage, que la patrie décerne à ceux qui l’ont bien servie, s’adresse aussi à la République.
Cependant, le régime comportait des vices de fonctionnement qui avaient pu sembler supportables à une époque assez statique, mais qui n’étaient plus compatibles avec les mouvements humains, les changements économiques, les périls extérieurs qui précédaient la Deuxième Guerre mondiale. Faute qu’on y eût remédié, les événements terribles de 1940 emportèrent tout. Mais quand, le 18 juin, commença le combat pour la libération de la France, il fut aussitôt proclamé que la République à refaire serait une République nouvelle. La Résistance tout entière ne cessa pas de l’affirmer.
On sait, on ne sait que trop, ce qu’il advint de ces espoirs. On sait, on ne sait que trop, qu’une fois le péril passé, tout fut livré et confondu à la discrétion des partis. On sait, on ne sait que trop, quelles en furent les conséquences. À force d’inconsistance et d’instabilité et quelles que puissent être les intentions, souvent la valeur des hommes, le régime se trouve privé de l’autorité intérieure et de l’assurance extérieure sans lesquelles il ne pouvait agir. Il était inévitable que la paralysie de l’État amenât une grave crise nationale et qu’aussitôt la République fût menacée d’effondrement.
Le nécessaire a été fait pour obvier à l’irrémédiable à l’instant même où il était sur le point de se produire. Le déchirement de la nation fut de justesse empêchée. On a pu sauvegarder la chance ultime de la République ».