Le monde vient de commémorer le 80e anniversaire de la libération des camps d’extermination d’Auschwitz et Birkenau par les soldats russes de l’armée soviétique dans la gravité et une émotion poignante à l’écoute du témoignage des derniers survivants. Le 27 janvier 1945, par un hiver glacial dans le champ de ruines d’une Europe ravagée par les combats acharnés et les bombardements apocalyptiques de la Seconde Guerre mondiale, la confirmation de la réalité et de la monstruosité des crimes de génocide nazis allait commencer à se répandre partout sur la planète.
En 2025, on peut lire que, dans notre « cher et vieux pays », 46% des jeunes de 18 ans à 29 ans ne savent pas ce que recouvre le terme de Shoah ! Depuis le pogrom abominable perpétré par les terroristes du Hamas le 7 octobre 2023 à la lisière de la bande de Gaza, l’antisémitisme véhiculé par une fraction des partis de la gauche acquise à la cause de l’islamisme totalitaire a refait surface en Occident, souvent tristement sur des campus universitaires et autres lieux d’éducation ou de formation des pseudo-élites du futur. Comment est-il possible qu’on en soit arrivé là dans nos sociétés où aucun pouvoir ne peut dissimuler longtemps la moindre turpitude de quelque ampleur soit-elle et aujourd’hui lorsque la lumière a été faite sur tous les crimes commis dans l’horreur dantesque de l’univers concentrationnaire ? Au plus profond des tunnels de Gaza, des bourreaux et non des combattants ont délibérément voulu rouvrir les plaies de l’Holocauste dans la mémoire des otages israéliens capturés lors de leur attaque sans préavis, après avoir sidéré tout un pays par les atrocités et supplices meurtriers commis à travers les Kibboutzs du sud d’Israël. 80 ans après le 27 janvier 1945,
il se trouve en Occident des complices pour oblitérer l’infamie de ces crimes du Hamas : l’horreur a pu recommencer avec pour caution immorale et unique justification fallacieuse le souhait des Palestiniens de disposer d’un Etat viable, au prix de la vie de milliers de civils gazaouis piégés dans les griffes de l’hydre terroriste et pour quelle perspective à l’issue de la précaire trêve en cours marquée par la glaçante théatralisation de la libération des otages ?
C’est avec effroi que l’on peut se poser la question de l’évolution de notre monde lorsque la voix des derniers témoins et victimes rescapés de la géhenne de la Shoah se sera éteinte. Les faussaires de l’histoire à l’œuvre aujourd’hui, qui parlent de « remplacement de population légitime » dans le débat nécessaire sur la maîtrise des flux migratoires pour ne pas replonger dans l’irrationalité de haines destructrices, font peu de cas de la transmission mémorielle intergénérationnelle des souffrances indicibles occasionnées à travers les siècles par toutes les formes d’oppression à partir du moment où celle-ci ne sert pas leurs objectifs de conquête du pouvoir. L’indifférence parfois mais plus souvent la peur d’être dérangé dans un confort de pensée illusoire feront le reste en ouvrant la porte au retour du mal…
La descente aux enfers, qui prend en France la forme d’une résurgence des temps barbares, revêt des proportions de plus en plus visibles et inquiétantes. Pas un jour, pas une semaine sans que l’actualité ne relate l’installation dans le quotidien d’agressions et de meurtres à l’arme blanche – couteaux ou machettes- délibérés, répétitifs, à la sortie d’un entraînement sportif pour Elias assassiné à 14 ans afin de lui voler un téléphone, sur les quais du métro à Lyon et à Lille, dans la rue à Livry-Gargan, comme un cauchemar récurrent débouchant chaque fois sur des marches blanches, minutes de silence et déclarations tonitruantes des pouvoirs publics sans aucun effet d’atténuation ou amorce d’un début d’inversion de cette spirale mortifère… Dans le cas survenu sur un quai du métro de Lyon, les images de vidéo surveillance montrent l’agresseur repartir d’un pas dégagé, sans courir une fois son agression au couteau commise. Symbole terrifiant d’une inversion des valeurs où la vie d’autrui n’a pas plus d’importance que celle d’une mouche qu’on écraserait d’un revers de la main…
Dans un petit village breton en ce début du mois de février, une vieille dame aux yeux bleus usés, couleur de fleur de lin, commente l’actualité avec une de ses amies, sur le seuil de la boulangerie du bourg, toutes deux le regard forcément tourné vers le passé quand rien dans le présent n’est de nature à les réconcilier avec la sombre tonalité des temps nouveaux ni à les rassurer sur l’avenir.
Cette succession de crimes commis à l’aide d’armes blanches les inquiète et c’est le terme de sauvagerie qui leur vient naturellement aux lèvres pour l’évoquer et c’est celui de honte qu’elles emploient lorsqu’elles en viennent à parler de l’acte de vandalisme commis sur la tombe de Jean-Marie Le Pen au cimetière de la Trinité- sur-mer. Honte mais aussi barbarie, le mot employé dans un deuxième temps de leur conversation, car pour cette génération-là qui a connu la Deuxième Guerre mondiale,
on n’attente pas au repos des morts sans toucher à quelque chose de sacré en sortant du champ de l’humanité.
L’amie est native d’un petit village des monts d’Arrée où un jour de 1942, la Gestapo est venue à l’aube arrêter un médecin et toute sa famille originaires de Roumanie, réfugiés dans un des hameaux de la commune pour fuir les persécutions contre les Juifs. Ce docteur soignait souvent gratuitement les malades en remerciement pour l’abri offert par la population. Elle se souvient encore du fils du gendarme, envoyé à vélo par son père pour prévenir la famille de l’arrivée des Allemands, mais en vain car, égaré dans le brouillard sur ces petites routes où la légende veut que la charrette de l’Ankou – la personnification spectrale de la communauté des morts dans ce terroir breton- passe au cœur des nuits, l’adolescent est arrivé trop tard. De cette famille, personne n’est revenue de la déportation vers l’Est, et des contrées de Pologne ou d’Ukraine où les nazis détruisaient et saccageaient les cimetières juifs, allant dans leur barbarie jusqu’à paver l’allée principale du camp de Plaszow-Cracovie avec les débris de pierres tombales sur lesquelles passaient leurs victimes quotidiennement dans leur marche vers la mort… Père, mère, enfants, déshumanisés de leur vivant et brûlés comme les millions de déportés disparus dans les camps nazis, sans autre sépulture que le cœur et la mémoire de celle qui évoque leur passage sur terre à la porte d’une boulangerie… Les deux aïeules se rendent souvent au cimetière de leur village pour garder le lien avec leurs disparus, famille ou amis. Saccager une tombe n’est pas de leur univers ni de leur entendement, c’est synonyme de barbarie et honte à ceux qui pourraient se glorifier et justifier de tels actes. Leur indignation est sincère et en l’occurrence transcende toute considération d’ordre politique. Elle est en lien avec leur rapport à la mort et avec leur conception de ce que signifie appartenir à la communauté des humains et des vivants.
Le respect de la vie est consubstantiel avec celui de la mort.
Cela n’a rien à voir non plus avec les notions de tradition et d’appartenance à un monde finissant voué à être remplacé par une autre population. On ne poignarde pas impunément autrui, on ne danse pas à l’annonce de la mort même celle d’un adversaire, on ne saccage pas une tombe, sans sortir du périmètre commun de l’humanité et du respect de soi. C’est quelque chose d’intangible et partie intégrante de ce qui distingue la civilisation de la barbarie.
Mais dans la France à la dérive de 2025, est on encore à même de prendre conscience de cette résurgence ni plus ni moins des temps barbares ? Elle recouvre une forme de haine de soi acceptée collectivement dans une démission généralisée et le refus de regarder la réalité en occultant la profondeur des maux qui gangrènent la société depuis des décennies. Le déni règne en maître absolu, alimenté dans les médias officiels par ceux dans la classe politique tous bords confondus qui partagent et portent largement la responsabilité du naufrage actuel, ayant été « en responsabilité et de gouvernement » pour reprendre un de leurs sempiternels refrains. Force est de constater que notre « cher et vieux pays » s’enfonce dans l’immobilisme d’une proie devant ses prédateurs internes et externes. Dans l’attente de l’après-règne de sa tête de gondole, la macronie entrée en phase de péremption crépusculaire se délite inexorablement, penchant tantôt à droite, tantôt à gauche, sous la conduite d’un Premier ministre, centriste originel ressuscitant la 4e République avec tous ses défauts, dont la seule politique possible en l’absence de majorité à l’Assemblée nationale et de réelle coalition de gouvernement, se limite à calculer au jour le jour ses chances de durer en invoquant une stabilité indispensable pour la survie du pays. Mais une stabilité au juste pour quoi faire ? Accoucher d’un budget orienté plus à gauche que celui proposé par son éphémère prédécesseur, qui ne réduira aucune des dépenses inutiles grevant la latitude à investir plus dans les domaines régaliens ou l de préparation de l’avenir mais augmentera la dette, sans envoyer aucun signal tangible d’inversion des pratiques antérieures ayant conduit le pays au bord du gouffre ? 49.3, motions de censure, la mécanique génératrice d’impuissance est à nouveau enclenchée et c’est en termes de sursis qu’il faut raisonner, mitonner une absence de politique, envisager un avenir sans réelle ambition ni vision prospective.
En l’absence de cap politique sérieux, l’affichage de velléités de réformes et de redressement de tout ce qui est défaillant aujourd’hui en France ne peut plus convaincre personne. La parole publique est totalement décrédibilisée quand elle ne frôle pas l’indécence ou l’irresponsabilité. On a pu entendre une sommité nationale en matière de démographie ni plus ni moins préconiser de « rendre » Mayotte aux Comores en rapatriant les « Mayottiens » vers la métropole, eux « qui pour la plupart ont des parents à Anjouan ou en Grande Comore » – l’ONU réclamant la décolonisation de l’archipel mahorais -, au mépris des Français peuplant le 101e département de France, ravagé par un cyclone meurtrier dont le bilan en termes de victimes n’est toujours pas établi. On a eu également le loisir d’entendre un de nos grands entrepreneurs nationaux créateur de richesses mises à contribution par une taxe additionnelle pour réduire la dette abyssale creusée par notre caste politique se faire traiter de rat par une des participantes syndicales au conclave en charge de corriger la réforme mère sur les retraites, « phare » des deux quinquennats supposés remettre la France en marche…
Ainsi vogue la galère vers quel destin ? Un horizon où la réponse de l’exécutif aux élucubrations d’un « influenceur » sur une prétendue impossibilité de payer avec son téléphone portable un péage d’autoroute revêtirait visiblement plus d’importance et d’urgence que celle à apporter aux provocations grandissantes du pouvoir algérien qui entend littéralement se venger d’une position prise par la France sur la question du Sahara occidental en retenant en otage Boualem Sansal ? Est-on revenu à l’époque du coup d’éventail du Dey d’Alger sur le nez du Consul Deval en 1827 mais en sens inverse pour l’absurdité de la situation actuelle dans la très complexe relation entre deux pays aux destins naguère entrecroisés des deux côtés de la Méditerranée pour le meilleur et pour le pire ?
Mieux vaut arrêter là l’énumération des défaillances de tout un système politique français arrivé en fin de course, incapable sans réveil et sursaut urgents de corriger l’affaissement sociétal auquel on assiste aujourd’hui ni de contrecarrer cette résurgence des temps barbares, si on tourne le dos à un passé terrible en l’oubliant volontairement pour le réécrire dans un sens dévoyé.
De même un édile ne devrait pas s’autoriser en conscience à parler de recherche de « modus vivendi » avec des « dealers » dans un pays où sévit une guerre de la drogue de manière de plus en plus visible, sans s’interroger sur la portée des mots et leur résonance, pendant que ses alliés politiques feignent de s’offusquer de l’emploi du terme de sentiment de submersion migratoire par le Premier ministre devant le drame d’une immigration hors de contrôle et d’une intégration ratée parce qu’il n’y a plus de modèle digne de ce nom à proposer à une jeunesse en perte de repères et en proie elle aussi à la résurgence des temps barbares…
Le monde de 2025 en pleine bascule dans lequel plus que jamais il importe de ne pas se tromper d’adversaires à combattre, ne permet plus ni résignation ni acceptation de cette résurgence au sein de nos sociétés où la démocratie a encore marge de manœuvre et de progrès, faute de quoi la barbarie finira par s’imposer en maîtresse de nos destinées partout où nous aurons accepté des compromissions avec la lâcheté et le déshonneur…
Eric Cerf-Mayer