Pour améliorer le pouvoir d’achat des Français dans une conjoncture économique et politique contraignante, Bernard COHEN-HADAD préconise de creuser des pistes de rémunérations alternatives et de refaire de la valeur travail une valeur plus consensuelle.
La question du pouvoir d’achat malmène le travail ainsi que le rôle fédérateur et structurant qu’il a toujours joué pour l’individu et la société. Elle reste la première préoccupation des Français depuis la crise de l’inflation post-pandémie, exacerbée par les dépenses indispensables et pré-engagées. Que faire ?
Tenir compte des contraintes
Il est difficile d’augmenter à nouveau les salaires dans la conjoncture économique actuelle. Les chefs d’entreprise qui en avaient la capacité ont déjà procédé à des revalorisations salariales. Ceux qui n’avaient pas cette capacité hier ne sont pas aidés par les circonstances aujourd’hui. Toute hausse des salaires augmente les coûts de production, réduit les marges, souvent fragiles chez les PME, freine l’emploi des moins qualifiés et aboutit à une hausse du prix de vente aux dépens de la compétitivité… Il est aussi difficile de compter sur une baisse des impôts de production dans la situation politique et parlementaire actuelle. Ce serait bien sûr l’idéal pour enfin réduire l’écart entre le salaire chargé, trop lourd, et le salaire net, trop léger. Tous les entrepreneurs l’appellent à terme de leurs vœux. Mais soyons réalistes. Sauf à dégrader un peu plus l’endettement public, toute baisse des recettes de l’État devrait être précédée par une diminution significative de ses dépenses. C’était déjà difficile en temps normal. C’est « mission impossible » dans la période d’instabilité politique que nous connaissons—laquelle fait d’ailleurs peser le risque d’une crise économique aux conséquences sociales.
Développer les rémunérations alternatives
En attendant, il faut creuser les pistes de rémunérations alternatives. Nous avons encore du mal à réconcilier le capital et le travail. Le « partage des fruits des efforts communs« , pour reprendre la formule gaullienne de 1967, est pourtant dans l’intérêt durable de tous : le salarié mais aussi l’entreprise, l’économie et la société. L’entreprise peut d’abord utiliser plus largement les leviers dont elle dispose pour récompenser ponctuellement les salariés. Seuls 7,5 des 20 millions de salariés profitent aujourd’hui des dispositifs d’épargne salariale. L’État pourrait aussi relever certains plafonds limitant leur portée et continuer à simplifier les dispositifs existants. L’actionnariat salarié mérite enfin d’être développé. Il est possible d’aller plus loin, notamment dans les TPE-PME, avec par exemple des actions sans droit de vote qui donnent un droit à des dividendes et peuvent être revendues.
Pas de valeur du travail sans valeur travail.
Pour rehausser durablement la « valeur du travail » et le pouvoir d’achat, « la valeur travail » doit redevenir une valeur plus consensuelle au sein de la société. À cette fin, il est nécessaire de se positionner et d’agir sur le nouveau sens du travail, la qualité de vie au travail et le nouvel engagement au travail dans une société, tout à la fois de plus en plus complexe et éduquée, où « l’individu citoyen » ne se contente plus de satisfaire ses besoins élémentaires au travail mais veut satisfaire, à raison, son besoin de s’accomplir pleinement. Cette piste de progrès se fonde sur une vision plus sociale et humaniste de l’entreprise : former, qualifier les salariés tout au long de leur parcours dans l’entreprise, améliorer leurs conditions de travail et leurs perspectives d’évolution, redonner plus de sens à un travail qui est parfois ressorti “désacralisé” de la crise sanitaire. Il faut sortir des discours sur la diminution du temps de travail et appeler au contraire à travailler davantage au cours de la vie.
Dans les territoires, les TPE et les PME ont toujours accordé une grande valeur au travail. Car c’est le travail qui apporte aux individus considération et reconnaissance, qui articule les rôles sociaux et qui organise le vouloir vivre ensemble. Car c’est finalement le travail qui permet de faire société dans tous les sens du terme, économique avec l’entreprise et citoyen avec la collectivité.
Bernard COHEN-HADAD, Président fondateur du think tank Étienne Marcel (et Président de la CPME Paris Île-de-France), auteur de « L’avenir appartient aux PME » (Dunod, 2024)