François Bayrou a, comme attendu, fait usage de l’article 49.3 de la Constitution pour que le budget de l’Etat et celui de la Sécurité sociale soient adoptés sans vote du Parlement. Sans plus de suspens, la France insoumise a déposé deux motions de censure. Ce qu’on nomme désormais « l’esprit de responsabilité » et « le besoin de stabilité » protègeront très probablement l’exécutif. Soyons clair : Toute volonté de censure n’est pas louable, car on peut censurer pour de mauvaises raisons. Mais en l’espèce, c’est le choix de ne pas censurer qui repose sur de mauvaises raisons. Explications.
De l’avis de tous, cette affaire comporte deux volets. L’un est économique. L’autre est politique. Sur un plan strictement économique, ce budget est catastrophique. N’importe quel économiste reconnaîtrait aisément qu’un budget à ce point déficitaire, dont les « efforts » sont presque exclusivement financés par l’impôt et non par une réduction des dépenses publiques, pose un sérieux problème. Si à cela on ajoute que nos perspectives de croissances sont misérables, que notre pays croule sous plus de 3 000 milliards de dette, que la France est le pays de l’OCDE où le taux d’imposition est le plus élevé, que notre balance commerciale est dans le rouge, que les destructions d’emploi et les faillites d’entreprises vont probablement encore s’accélérer, que la désindustrialisation est massive et que l’exil de certaines grandes entreprises menace, il ne reste aucun argument proprement économique pour sauver un budget pareil. L’esprit de responsabilité convoqué par les parlementaires ayant renoncé à la censure est donc exclusivement politique. Soit ! Faire primer le politique sur l’économique est tout à fait légitime. Reste à déterminer à quel niveau politique cet esprit de responsabilité se situe, et de quelle stabilité ils se veulent les garants.
Derrière l’apparente stabilité du système politique dans son ensemble, la non-censure ne garantit en réalité qu’une seule stabilité : celle du bloc central, et plus encore celle du Président de la République. Au-delà de François Bayrou et de son gouvernement, c’est la présidence d’Emmanuel Macron et sa ligne politique sociale-libérale qui sont en jeu – une ligne qui a échoué à redresser le pays durant les huit dernières années ; pire, qui est responsable de l’accélération de l’effondrement économique, sécuritaire, éducatif, migratoire… de la France. La censure n’est donc pas simplement un rejet du budget, mais plus largement un rejet, appuyé sur un mauvais budget, du système macroniste dans son ensemble. L’objectif est effectivement politique : Affaiblir, encore et encore, le pouvoir exécutif. Bousculer Emmanuel Macron et sa ligne sociale-libérale. Les renvoyer dans leurs cordes. Pourquoi ?
Parce que lorsque le pays est en proie à une crise, ce n’est pas faire preuve de responsabilité que de conforter le système qui est responsable de cette crise. Il est possible qu’une partie de l’électorat, bercé par une brise optimiste, se dise qu’une fois le budget voté, tout ira mieux ; et que permettre à ce gouvernement de durer jusqu’aux prochaines échéances électorales vaut mieux que de plonger à nouveau le pays dans l’incertitude politique. Ils se trompent ! La fameuse antienne selon laquelle, en cas de crise, il faut faire bloc autour de ceux qui gouvernent – le fameux esprit d’unité nationale – n’est vraie que si la crise vient de l’extérieur. Pas lorsque ce sont ceux qui gouvernent qui en sont la cause. L’esprit de responsabilité commande aujourd’hui de blesser pour guérir. Non pas que le bloc central n’ait aucun rôle à jouer désormais au sein de la vie politique française ; mais il ne doit plus avoir le premier rôle auquel il s’accroche désespérément. Non pas que le NFP ou le RN disposent des solutions à même de redresser la situation. Mais la sclérose intellectuelle et idéologique dont souffre notre pays, empêche tout renouvellement programmatique. Les personnalités changent, mais la même politique est reconduite indéfiniment. Seul varie le saupoudrage – un peu plus social ici, un peu plus libéral là. L’esprit de responsabilité qui devrait commander au PS comme au RN est celui de la rupture avec les compromis mous de l’alliance tacite centre droit-centre gauche. Ceci suppose d’avoir le courage – et peut-être aussi l’intelligence – de la censure.
Frédéric Saint Clair
Politiste, auteur de L’extrême droite expliquée à Marie-Chantal (Editions de la Nouvelle Librairie)
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