La Vème République serait essoufflée, inadaptée aux évolutions du corps social ; elle serait trop « présidentialiste » jusqu’à se faire aujourd’hui anti-démocratique ! Il en faudrait donc une VIème. Quand on ne sait pas faire avec les Institutions, c’est comme quand on est devant un meuble IKEA que l’on ne sait assembler : on accuse les concepteurs, il manque toujours une pièce alors que, se faisant fort de savoir, on a négligé de lire la notice.
Si elle s’essouffle c’est parce qu’on a accéléré son rythme cardiaque, celui du mandat présidentiel passé de 7 à 5 ans. Si elle n’est plus adaptée au corps social c’est que l’on a oublié un instrument majeur, pleinement démocratique, le référendum, et négligé aussi les corps intermédiaires. Le résultat c’est, inévitablement, l’accentuation de son caractère présidentiel sans voir que l’action présidentielle s’est, peu à peu, recroquevillée sur l’administration de court terme. Les successeurs du fondateur de cette Vème République ne sont plus ce monarque républicain qui avait la double légitimité du suffrage universel et, en même temps (!), celle de la stature que lui donnait l’Histoire. Ils ont remisé l’esprit de la Vème pour s’attacher à sa lettre. C’est la victoire des ni-ni, c’est l’abandon d’une certaine idée de la France.
Ceux qui réclament une VIème dénoncent l’hyperprésidentialisation, le mépris de la représentation nationale et une crise démocratique. Ils oublient qu’après avoir dénoncé le coup d’État permanent celui qui arrivait aux plus hautes fonctions se laissait aller à trouver que si les institutions n’étaient pas faites à mon intention… elles sont bien faites pour moi.Tellement faites pour lui qu’en 1986 il trouvait dans le texte que « La Constitution attribue au chef de l’État des pouvoirs que ne peut en rien affecter une consultation électorale où sa fonction n’est pas en cause ».
Le costume institutionnel a cela de remarquable qu’il est ajustable à souhait !
Les promoteurs d’une VIème république la réclament en cachant leur égo derrière l’opinion publique qui serait Raison. L’opinion publique doit faire entendre, par la voix de ses hérauts,raison aux gouvernants. Ne peut-on voir qu’ils promeuvent, en fait, le règne de l’opinion sur laquelle ils règnent par l’affirmation d’approximations, de contre-vérités, pointant ce qui selon eux ne marche pas pour eux et qui, forcément, ne convient pas au peuple ! Les gouvernants jouent le même jeu en s’attachant à la lettre de la Constitution, ignorant l’esprit et incapables, le moment venu, de jouer pleinement le jeu de la responsabilité devant le corps électoral ou d’oser un parlementarisme rationnalisé.
Les uns comme les autres s’accordent sur leur irresponsabilité, chacun au nom du Bien.
Noam Chomsky et Walter Lippmann avant lui, alertaient sur cette fabrique du consentement à laquelle s’emploient les élites, gouvernantes tout autant que celles qui aspirent à le devenir, pour gagner l’opinion publique à leurs buts : ce ne sont plus des idées qui alimentent le débat mais une propagande.
Le jeu politique est devenu vicieux et non plus seulement politicien ou politicard. Habillés de la vertu de l’opinion publique qu’ils manipulent, des extrémistes républicains mettent en jeu la paix civile.
Les gouvernants s’efforcent, sans trop forcer leur talent, à répondre à des urgences sans réussir à renouer vraiment le lien social.
Le jeu politique est brouillé, il n’y a plus ni de Droite, ni de Gauche. Le front républicain a disparu dans l’hémicycle : il n’y a plus cette bouée cardinale qui, en mer, avertit des dangers. Les majorités qui se succèdent s’effritent à force de ni-ni ou de en même temps, des frondeurs ou des déçus (!) viennent ajouter au brouillage. Une majorité relative pouvait faire retrouver un jeu parlementaire raisonné et un exécutif raisonnable mais la lettre a prévalu sur l’esprit de la Constitution. Le débat politique se focalise entre les extrêmes jusqu’à la caricature, la conduite de la nation tout autant. Le débat social lui se focalise sur les « 1% » et le premier décile. Débat politique et question sociale donnent à l’opinion publique à occuper son « temps de cerveau disponible » avec un marketing politique.
C’est certainement faire vieux jeu, faire boomer, que de revenir au discours de Bayeux mais, ne pas y revenir ce serait faire peu de cas du personnel politique en ignorant que pas un d’entre eux n’omet de s’attribuer quelque chose de l’héritage de De Gaulle quand il s’agit de se présenter à l’élection suprême.
L’esprit de la constitution est là, dans ce discours du 16 juin 1946 : « il est de l’essence même de la démocratie que les opinions s’expriment et qu’elles s’efforcent par le suffrage d’orienter suivant leur conception l’action publique et la législation. Mais aussi tous les principes et toutes les expériences exigent que les pouvoirs publics : législatif, exécutif, judiciaire, soient nettement séparés et fortement équilibrés, et qu’au-dessus des contingences politiques soit établi un arbitrage national qui fasse valoir la continuité au milieu des combinaisons. »
Une république, soucieuse de l’équilibre des pouvoirs, à l’écoute de l’opinion ( et non pas fabriquant l’opinion) ne se trouve-t-elle pas dans le retour aux fondamentaux, dans des Institutions qui « compensent, par elles-mêmes, les effets de notre perpétuelle effervescence politique » bien davantage que dans l’aventure d’une nouvelle constituante alimentée de critiques qui, aveugles aux insuffisances et manœuvres des acteurs politiques, mettent sur le compte des Institutions leurs échecs ou leur incapacité.
Michel Monier
Membre du Cercle de recherche et d’analyse de la protection sociale
Think tank CRAPS
Ancien DGA de l’Unedic