Des relations franco-africaines désormais contestées et affaiblies.
Aujourd’hui, les Africains s’attendent à ce que la France agisse, ils ne la critiquent pas tant pour sa présence que par son inaction géoéconomique structurelle.
Les dures réalités de l’Afrique
Aujourd’hui, non seulement les situations au Mali, au Gabon sont devenues le symbole d’une politique étrangère brouillonne qui met en péril l’idée de la France.
À regarder les choses sans préjugé, l’isolement non relatif de la France ne serait qu’une longue liste de difficultés rencontrées et il semble bien qu’il va falloir faire preuve d’audace pour éviter à la fois en Afrique, s’il n’est pas encore trop tard, la tourmente stratégique à l’international et des choix cruels. Rien de nouveau sous le soleil, dira-t-on. Certes, mais si nous nous sentions tous Américains au lendemain du 11 septembre 2001, la sympathie de nos alliés en Afrique en 2023 s’étiole et la faute en revient aux notions d’alliances et aux intérêts nationaux. La question commence par les États-Unis, préoccupés par la situation politique des pays, mais pour ces derniers la priorité est la stabilité de la région. Ce qui est en train de se passer au Niger en est le parfait exemple. Personne ne peut reprocher aux Américains de faire passer les intérêts stratégiques de leurs bases militaires dans la bande sahélo-saharienne par rapport à leurs relations avec la France. Sur l’un et l’autre sujet, le rapprochement des positions américaines et des putschistes suffit à comprendre que l’objectif stratégique principal pour Washington sera de conserver leur base de surveillance et leur capacité dans le nord du pays. Dans le désarroi de ce contexte, on pourrait même soutenir que la situation du renversement militaire du 26 juillet, mené par le général Abdourahamane Tiani, ne remet pas en question les accords de défense américains par les autorités nigériennes indiquant que s’il ne faut jamais cesser de penser à l’unité d’action, il faut savoir montrer autrement sa force et sa capacité de réaction.
Tournés vers un dialogue politique et géoéconomique, délimité de fait par une rivalité d’influence sur tous les plans, ces pôles s’affrontent avec fermeté, avec une unité différenciée dans leur quête de leadership.
L’Afrique est désormais liée au monde.
Pour différents qu’ils soient, l’un dans les intérêts géopolitiques, l’autre dans la géographie, la Turquie est du même ordre que l’Inde un acteur stratégique en Afrique.
On voit bien ce qu’il y a de commun : des velléités à affaiblir l’image de la France et une ferveur à un changement de puissance, le drapeau bleu blanc rouge conspué, le drapeau noir de Wagner brandé, c’est un retour en fanfare sur l’humiliation coloniale et ses griefs anciens.
Le plus remarquable est évidemment la tenue du sommet russo-africain à Moscou en 2023, tandis que l’actualité internationale est dominée par la guerre en Ukraine. Une Afrique décomplexée où le réalisme est à la mode dans ce monde stratégique au motif essentiel du rééquilibre des intérêts pour le développement économique de l’Afrique. Voilà une leçon de réalisme pour les stratèges français, c’est que quarante-neuf pays africains, dont dix-sept Chefs d’État, ont répondu à l’invitation de Vladimir Poutine. L’autre leçon de ce sommet est l’annonce d’un effacement de dette pour les pays africains à hauteur de vingt-trois milliards de dollars ainsi que l’assurance d’un approvisionnement en denrée alimentaire. Un an et demi après le début de l’opération spéciale, la Russie bénéficie d’une popularité qui ne semble pas se démentir avec une ligne simple : l’absolue exigence dans ce nouvel ordre de parler à tout le monde et de ne pas oublier qu’actuellement vingt-sept affrontements armés ou guerre sont en cours.
Dans ce grand Jeu, cela peut signifier de simples alliances temporaires pour faire avancer une initiative diplomatique, des coopérations humanitaires ou géoéconomiques : les États-Unis ont ainsi réuni, quarante-trois (en 2014), puis quarante-cinq Chefs d’État africains à l’hiver 2022, pour que soit convenu une aide financière de 55 milliards de dollars. Ces initiatives peuvent aussi impliquer des coopérations plus durables et stratégiques, qui traversent les transformations géopolitiques profondes d’un pays comme l’Angleterre. Suivant un paradoxe d’apparence, l’hostilité qui, de toute part, en Afrique et ailleurs, entoure la France sur la constance des reproches qui l’empoisonne sur son colonialisme, ne semble pas dramatiser l’Angleterre dans les mêmes proportions dans ses relations avec l’association volontaire d’une cinquantaine d’États souverains du Commonwealth. Ce constat unique ne devrait-il pas permettre à nos stratèges de trouver des explications justes et efficaces, dans l’attente de solutions pragmatiques pour nous permettre d’avancer et de tourner la page ?
Sur deux principes essentiels de la politique étrangère de l’Angleterre, ne pas laisser une puissance dominer le continent européen, préserver l’union des îles britanniques, la question du Commonwealth en 2023, paradoxalement lui offre une clé de voûte pour un renouveau diplomatique qu’incarne la nouvelle vision de « Global Britain ». En pratique se dessinent, à travers la nouvelle approche de coopération entre l’Angleterre et l’Afrique, un rehaussement des ambitions diplomatiques anglaises dans plusieurs domaines, notamment par le biais d’investissements financiers internationaux avec un éventail de puissances dites moyennes. Les principes détaillés de cette nouvelle diplomatie, « Patient Diplomacy » c’est la coopération pragmatique qui prédomine, avec des projets qui privilégie un engagement stratégique à plus long terme par Londres sur la base d’intérêts communs avec les vingt-quatre nations africaines présentes lors du sommet investissement en Afrique de 2023.
Pour mener ces objectifs, l’Europe s’est engagée de façon pavlovienne sur un engagement financier de 168 milliards de dollars auprès du continent africain.
Quant à nous, ce n’est pas assez dire que les relations de la France avec l’Afrique vacillent sur ses bases ou son existence diplomatique et son influence sont en jeu.
La francophonie a été et reste une chance pour gagner les cœurs pour notre pays.
Le style du Japon
Les Japonais ont, apparemment, avec la Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (TICAD), un but clair : jouer un rôle prépondérant dans la politique internationale et faire des affaires en Afrique.
L’histoire de la TICAD nous apprend que c’est en 1993 sous les auspices du gouvernement japonais que s’est tenu la première conférence. Au moment même où la chute de l’Union soviétique et son éclatement intervenait, ce forum international quadriennal était en quête des espoirs de réforme des Nations unies. Dans cet élan onusien, une coalition d’institutions spécialisées se constituait avec ce forum qui est organisé en collaboration avec le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), la Commission de l’Union africaine (CUA) et la Banque mondiale.
Dès son départ, il demeure important de rappeler que la TICAD est conçue en matière de diplomatie économique sur l’aide au développement comme moyen de mettre en œuvre les priorités stratégiques du gouvernement japonais dans le cadre de sa politique africaine. C’est dans cet esprit que doivent être abordés les objectifs des huit TICAD successives de 1993 à 2023. Avec des apparences de raison, le Japon a aussi vu l’occasion de positionner la coopération nippo-africaine sur un dialogue Japon et Chine teint d’un début de rivalité dans sa dimension géopolitique. La première conviction est que l’initiative japonaise constitue un outil diplomatique, économique, scientifique et politique indépendant qui promeut sa puissance économique et laquelle donne du poids politique dans les affaires du monde. Dit autrement, deux convictions fondamentales des intérêts nationaux nippons pour l’appropriation africaine et le partenariat international.
Dans la compétition en cours, il est intéressant d’observer la similitude des propos des leaders africains pour essayer de comprendre, je crois, comment l’avenir se dessine sous le présent.
Mezza voce, il y a une évidence qui s’installe : celle d’une tentative de roman sentimental telle que le rêvaient les Pères fondateurs de l’OUA, défunte Organisation de l’unité africaine devenue Union africaine en 2002. On entre dans un autre monde qui à l’échelle d’un seul continent en fait le douloureux apprentissage dans ses efforts d’unité et de stabilité intra-africaine. Après tout, un changement des mentalités en Europe a porté le rêve de l’intégration continentale voulue dès sa création. Le projet d’un destin commun avec de grands domaines de coopération, le fondement des communautés européennes dès 1950, la création du Marché unique avec l’accompagnement d’une politique de solidarité pour les régions les plus pauvres, la logique d’un vaste marché intérieur et d’une monnaie commune.
Dans l’esprit des promoteurs de l’agenda, ce modèle consiste prioritairement à renoncer à toute forme de diplomatie coercitive analogue à la diplomatie de la carotte et du bâton du vieil héritage du colonialisme européen.
Pour le Japon, la plus grande nouveauté consiste à passer d’une politique centrée sur l’aide publique au développement (APD), dont le budget ne cesse de se contracter, à une approche basée sur les investissements privés.
Inventer l’avenir
Au moment où, pour toutes les illustrations que l’on sait, sur la compétition accrue entre nouvelles puissances, l’Afrique s’ouvre à de nouveaux partenaires, n’ont-ils pas raison de le faire ? De ce point de vue le Japon comme la France n’ont aucune prétention à l’exclusivité des liens avec les pays africains et surtout francophones pour nous. Même dans les pires situations, restons toujours optimiste et confiant dans l’avenir de relations plus ouvertes avec ce continent et faisons le choix de l’ingénierie diplomatique pour moderniser en profondeur nos relations : relation équilibrée, respectueuse, fondée sur l’exigence de bonnes gouvernances et de transparence avec nos partenaires africains.
Je crois dans l’opportunité entre le Japon et la France d’échanger sur leurs intérêts communs à mettre en place un nouveau partenariat de dialogue par le biais de la TICAD IX de 2025, moment de consécration de la volonté de dialogue avec le Sud global et qui tire sa force dans son visage humain, dans l’engouement des jeunes qu’appuient les activités de l’Agence japonaise de coopération internationale (JICA). D’une certaine manière se dresse un Japon fort des dispositions naturelles du peuple japonais, de son humanisme et de sa conviction à œuvrer pour un monde en paix. Autrement dit, la volonté de rendre un peu d’espérance et de croire en quelque chose dans l’esprit de la mission civilisatrice de Seizaburo Sato au XXe, un parallèle un peu daté de l’inspiration française dont René Cassin dirigeait la commission fondatrice du document universel de la Déclaration des droits de l’homme.
L’avenir de notre diplomatie en Afrique s’assombrit et l’avènement de nouvelles puissances comme la Chine accélère cette baisse de notre influence régionale, mais surtout mondiale. il faut le réinventer.
On peut imaginer toute une série de projets pour encourager les secteurs privés franco-japonais à coopérer en Afrique.
On voit bien ce qu’il y a de commun : l’appel à des réponses multilatérales et à des coopérations plus inclusives.
Sur trois grands dossiers internationaux essentiels, le Japon et la France ont acté ensemble. Un premier acte, lors de la réunion du Groupe des sept (G7) d’Hiroshima en 2023, le Japon a montré sa capacité d’attractivité mondiale parvenant à entraîner les autres acteurs à la cause de traiter les vulnérabilités de la dette des pays à revenu intermédiaire comme dans le cas du Sri Lanka : l’annonce de la nouvelle plateforme initiée par le Japon, la France et l’Inde (présidence du G20 en 2023), afin de coordonner la restructuration de la dette sri lankaise. D’où vient le mal dont souffre cette île située au large de l’Inde ? Du choix du gouvernement de Colombo de faire défaut sur sa dette extérieure en raison d’insuffisance de ses réserves en devises étrangères. Fragile économiquement, le Sri Lanka ne pouvait plus rembourser ses créanciers étrangers, prioritairement le principal d’entre eux : la Chine. C’est un succès puisque la Chine a accepté de rééchelonner le remboursement de ses prêts sur la question de la dette sri lankaise. L’intéressant, et voilà encore une direction pour le partenariat mondial franco-japonais, c’est le rappel de leur vision commune d’une région Indopacifique libre et inclusive respectueuse des droits et des souverainetés sur fond de rivalités à l’œuvre en Indopacifique. À mi-parcours de l’Agenda 2050 des Nations unies alors que nous constatons que les objectifs du développement durable (ODD) de 2030 ont pris du retard, en raison de la complexité et l’accélération des crises mondiales, nouvelle chance à saisir. Comme en atteste le second acte qui a conduit sous le leadership de la France au Sommet pour un nouveau pacte financier mondial vers plus d’engagements pour l’atteinte des objectifs de l’Agenda 2030. C’est précisément les enjeux cités conséquemment aux répercussions des crises climatique, énergétique, économique qui ont été mis en lumière dans les contours d’un agenda détaillé sur les financements nécessaires.
C’est pour cette raison que je pense que nous devrions approfondir le champ des possibles sur ces convergences franco-japonaises en évoquant la palette d’outils diplomatiques dont nous disposons dans ce rendez-vous d’alternative souveraine et de puissance collective tournée vers l’Afrique et au-delà le Sud global.
La confiance et le respect, deux mots-clés en faveur des règles de la gouvernance des espaces stratégiques, matériels et immatériels comme nouveau terrain de rapports de force.
Ensemble, nous pouvons être ambitieux, stratégiques et affirmés notre vision d’agir dans le monde.
Élaborons une feuille de route sur nos priorités et mobilisons les outils d’aujourd’hui : ce ne sont pas les sommets qui manquent, citons ceux du nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), du Sommet Asie-Afrique fondé sur l’esprit de la conférence de Bandung, avec le Japon comme acteur principal de ce dialogue. Conjuguons nos forces, affrontons nos concurrents dans le respect souverain et renforçons la légitimité des peuples dans leurs initiatives à s’approprier ou instaurer des standards de référence internationaux sous notre impulsion stratégique et point à la ligne, ni plus ni moins.
Un sursaut de solidarité exigeant en termes de projet collectif à l’instar d’un plan Marshall -bisinscrit dans la réalité géographique de l’évolution de la crise démographique de l’Afrique. Un chantier prioritaire sur la nécessité d’aménagement des infrastructures africaines pour offrir aux populations une prospérité économique et trouver un subtil équilibre entre inclusion et responsabilisation des gouvernements africains. Il faut que ces projets soient aussi ancrés dans un réalisme diplomatique et conforme à nos intérêts nationaux. L’enseignement majeur de ce sursaut vient de l’Indopacifique et le processus pour y parvenir se nomme la « voie d’Osaka » en matière de gouvernance pour bâtir la prospérité économique à travers notamment des infrastructures de haute qualité répondant aux normes internationales. Grâce à ces efforts lors de ce sommet du G20 à Osaka, le Japon a souligné que les infrastructures étaient un moteur de la croissance économique et de la prospérité mondiale, en parvenant à la fois à la réduction des disparités, et en contribuant à l’agenda des objectifs du développement durable pour la promotion d’une société future libre et ouverte, inclusive et durable, « centrée sur l’homme ».
Certaines cassandres nous diront que ce programme qui n’existe encore qu’en pointillé risque de se révéler difficile à réaliser dans l’avenir, suivant le constat de comment faire coexister la divergence entre un principe de solidarité réservé à certains et les difficultés financières qui vont en résulter pour répondre à ce ferment d’espérance. Qu’est-il permis d’espérer ? Que dans le contexte actuel chacun de nos deux pays fasse un choix « inclusif » ou « clivant » vis-à-vis de l’Afrique.
Face aux défis écrasants de l’Afrique, l’aide au développement dans le cadre d’une action collective franco-japonaise comme un symbole de coopération entre nos deux pays afin de démontrer que les démocraties peuvent encore tenir leurs promesses et s’assurer qu’au-delà des montants des aides, il s’agit de l’efficacité des engagements qui doivent être plus efficients, tant au niveau national que multilatéral.
Voyons grand pour ce partenariat diplomatique qui pourrait s’inspirer de bonne coopération entre la France et le Japon qui existe déjà, ainsi qu’avec d’autres partenaires institutionnels stratégiques partageant les mêmes idées. Le drame de l’Irak en 2003 a au moins le mérite de rappeler le partenariat franco-japonais lors de la Conférence internationale des donateurs pour l’Irak d’octobre 2003 et leurs promesses d’aide financière pour la reconstruction du pays. L’autre impératif de ce partenariat était le sujet essentiel de la coopération en matière de sécurité internationale et de lutte contre le terrorisme.
Proposons des financements innovants dans plusieurs domaines clés : la lutte contre le réchauffement climatique, les énergies vertes, les chaînes d’approvisionnement, l’éducation autour de l’économie numérique.
Convaincre avec le Japon les pays africains de s’associer à la mise en place de cette plateforme de répartition de coopération grâce à la puissance inclusive de l’engagement TICAD, ce qui enverrait un message au monde sur l’avenir de l’Afrique en plein essor sur l’autel de la compétition des pôles.
En tant que plateforme ouverte, ce projet pourrait accueillir d’autres pays africains à terme. Un partenariat avec une vision inclusive de l’Afrique fondée sur la responsabilisation au sein d’un espace libre et ouvert et un engagement multilatéral pour travailler sur des défis qui importent le plus pour assurer la prospérité économique de l’Afrique au XXIe siècle. Une vision multilatérale de l’Afrique partagée par les stratégies françaises et japonaises et une initiative qui serait bien vue par les milieux d’affaires en Europe et en Indopacifique. Pour tirer les bonnes leçons du moment présent et définir librement nos choix à venir pour un virage géopolitique caractérisé par de nouvelles règles dans nos relations (symbolique, économique, militaire) avec l’Afrique au regards des enjeux exposés plus haut. Il s’agit maintenant d’agir et toute la question est de savoir aujourd’hui, ou demain si nous en avons la volonté. À l’idée de l’avenir du rayonnement de chacune de nos puissances, « quand les gros maigrissent, dit un proverbe chinois, les maigres meurent ». Grand bien fait !