Il arrive qu’un ancien Premier ministre, avec une assurance désarmante, énonce des absurdités avec un aplomb qui force l’étonnement. Ainsi, affirmer sans ciller que « la laïcité, c’est la liberté de croire ou de ne pas croire », c’est méconnaître profondément son essence. S’agit-il d’une lacune historique ou d’une précaution calculée pour éviter de heurter certains milieux islamo-conservateurs ?
En réalité, la liberté de conscience précède la laïcité. Dès le Concordat de 1801 qui est un traité signé durant le Consulat entre la France, dirigée alors par le Premier consul Napoléon Bonaparte, et l’Église catholique, dirigée par le pape Pie VII, on avait mis un terme à la première séparation des Églises et de l’État en 1795 et on a instauré la liberté de culte. Par la suite, tout au long du XIXe siècle, sous un régime où l’Église dominait largement tous les compartiments de la vie publique, nul n’a été persécuté pour incroyance. Ce n’est donc pas cette liberté que la laïcité est venue établir avec la loi de 1905.
La laïcité est bien plus qu’un simple droit à croire ou non. C’est un processus de libération intellectuelle, une rupture nette avec toute emprise religieuse sur la sphère publique.
C’est Henri Pena-Ruiz qui précise dans la revue Cités en 2004/2 n°18 « sa portée positive universelle. La laïcité n’est pas une option spirituelle parmi d’autres, mais le plan où les options spirituelles apprennent à se transcender pour que puisse advenir un horizon d’universalité. » Ce principe n’a jamais eu pour objectif d’imposer une doctrine athée. La loi de 1905, fondatrice de la laïcité républicaine, protège aussi la liberté de culte, mais dans des cadres bien définis. D’ailleurs, dans son premier article, elle distingue nettement la liberté de conscience du libre exercice des cultes par un point, marquant une frontière essentielle entre ces deux notions. Henri Pena-Ruiz, dans le même numéro de Cités, va plus loin en partant de cette définition : « La laïcité réside dans l’affirmation simultanée de trois valeurs qui sont aussi des principes d’organisation politique : la liberté de conscience fondée sur l’autonomie de la personne et de sa sphère privée, la pleine égalité des hommes quelles que soient leurs options spirituelles (qu’ils soient athées, agnostiques ou croyants) et le souci d’universalité de la sphère publique, la loi commune ne devant promouvoir que ce qui est conforme à l’intérêt de tous. »
Il n’est pas inutile de rappeler qu’en Belgique où la laïcité n’est pas inscrite dans la loi, l’État défend la liberté de croyance ou d’incroyance.
Ceux qui prétendent que la loi de 1905 ne serait qu’une reconnaissance de la liberté religieuse oublient qu’il s’agit d’une loi qui impose des limites et qui ne se borne pas à consacrer des droits individuels. Elle fixe un cadre pour préserver un équilibre collectif.
Tant que l’on refusera d’appliquer à l’islam et à ses dérives les mêmes exigences qui furent imposées jadis au catholicisme et à ses égarements, tant que l’on continuera à tergiverser sous prétexte de ne froisser personne, la laïcité restera une promesse trahie.
Kamel Bencheikh,
écrivain
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