Un jour avant l’échéance fatidique du 31 août 2021, l’image du dernier soldat américain s’apprêtant à quitter l’aéroport international Hamid Karzai restera gravée dans la mémoire universelle comme le symbole d’une déroute complète, tout comme les tirs de kalachnikov et le feu d’artifice tiré par les Talibans dans le ciel de Kaboul pour célébrer leur retour à la tête de l’Afghanistan, 20 ans après avoir été chassés du pouvoir dans une atmosphère de libération, quand tous les possibles semblaient alors s’ouvrir pour des populations épuisées par des décennies de combats sur fond de ruines et de dévastation…
La silhouette calcinée du Palais de Darulaman édifié dans un style classique sous le règne du Souverain réformateur, Amanullah Khan dans les années 20 du siècle dernier, Roi qui avait accordé dès 1919 le droit de vote aux Afghanes alors qu’en France il allait falloir aux Françaises attendre la fin de la Seconde Guerre Mondiale pour l’obtenir, se dressait à la lisière d’un Kaboul ravagé. La décision prise en 2005 de le reconstruire, pour en faire le siège du Parlement afghan – restauration achevée en 2018- marquait un tournant symbolique dans l’histoire d’un pays meurtri, plus que jamais cimetière des empires en cette fin du mois d’août 2021… Que va-t-il advenir de ce Palais aux mains des Talibans qui contrôlent désormais pleinement Kaboul, en savourant dans l’allégresse leur victoire si improbable il y a quelques mois encore ? Qui saurait le dire aujourd’hui ?
Autre image glaçante circulant sur nos réseaux sociaux depuis dimanche, celle d’un journaliste en costume cravate, l’air terrorisé, encadré par de jeunes soldats barbus et porteurs de turbans, l’arme au poing, qui débite d’une voix monocorde un probable appel au calme sur une chaîne de télévision de la capitale afghane…
Alors oui, le contraste est saisissant et emblématique de la fin du monde d’illusions dans lequel les Occidentaux se sont abîmés sans même s’en rendre compte, quand on observe l’allégresse des Talibans qui patrouillent en maîtres absolus aux abords de l’aéroport de Kaboul, jonché de pathétiques bagages abandonnés et de sinistres carcasses de véhicules ou de matériel militaire démoli par ceux qui ont tourné le dos à l’enfer, aux termes de leur ultime mission… Quelques jours à peine après les attentats meurtriers du 26 août 2021 perpétrés par Daech pour tuer délibérément les civils afghans fuyant le piège mortel dans lequel la chute de Kaboul les précipitait, ainsi que 13 soldats américains, le Conseil de sécurité de l’ONU n’a accordé aucune attention à la proposition de créer une zone franche –safe zone– pour la poursuite des évacuations, rejetée d’emblée par un simple porte-parole des Talibans, la réduisant à un exercice inutile de communication ratée dans le contexte actuel… Comme un lointain écho des stériles et mortifères débats de la Société des Nations à la veille du naufrage de 1939, le rejet au néant de cette proposition marque l’ultime impuissance des partants face à ceux qui reviennent 20 ans après sur les devants de la scène afghane, et le calice amer sera bu jusqu’à la dernière goutte semble-t-il, pour les dirigeants de la coalition défaite.
Malheur aux vaincus et à celles et ceux qui resteront pris au piège en Afghanistan car déjà l’actualité a repris sa course inexorable et s’éloigne du tarmac de l’aéroport de Kaboul, très vite… Bilan du cyclone Ida sur la Louisiane, moins meurtrier que Katrina il y a 16 ans pour les États-Unis, consternation en France devant les quartiers nord de Marseille contrôlés non par des Talibans mais par des jeunes en perdition au service de l’empire de la drogue ou devant la détresse des habitants du quartier de Stalingrad à Paris, annonces de plan Marshall pour la cité phocéenne, hypothétique amélioration de la situation sanitaire pour les uns, cauchemar sanitaire pour les autres outre-mer, extension du pass sanitaire, etc… ; ce ne sont pas les sujets qui manqueront en ce début du mois de septembre pour détourner les yeux, toute honte bue, du cimetière des empires où les Talibans vont pouvoir laisser libre cours à leur allégresse sinistre, sans avoir à craindre nos dérisoires leçons de morale ou à dénoncer notre ingérence dans leur prise de contrôle du destin de 39 millions d’Afghanes et d’Afghans…
Eric Cerf-Mayer