La petite histoire gardera le mot creux et dépourvu d’ambition politique de Madame Borne : » Nous devons donner un budget à la France « . Même un adolescent aurait compris qu’un pays ne peut fonctionner sans budget et a une perception de la notion de » shut down « .
Beaucoup se focalisent sur le recours à l’article 49-3 qui n’est qu’un frêle arbre qui masque la forêt d’un budget caduc à plusieurs titres.
La configuration parlementaire qui est issue du dernier scrutin législatif amène à une impasse dès qu’il s’agit de scrutins d’importance. Cette constatation factuelle n’a aucune raison d’évoluer sauf hypothèse d’une dissolution toujours possible quoiqu’inscrite dans un exercice de haute voltige encore plus marqué que l’épisode de 1997 monitoré par le président Jacques Chirac.
Pour la Loi de finances 2023, il y a donc passage en force et recours au 49-3.
Au strict plan légal, tout est conforme et la brutalité de la mesure est atténuée par le fait qu’elle était annoncée depuis des semaines. Il y a clairement l’expression tangible du » parlementarisme rationalisé » décrit par Messieurs Debré et Capitant qui voit l’Exécutif investir le domaine du Législatif au moyen d’un vote cadenassé.
Rien n’est inconstitutionnel sur le recours aux dispositions de l’article 49-3 préalablement autorisé par une délibération prise en Conseil des ministres.
Ce recours appelle néanmoins plusieurs questions.
Tout d’abord, le Gouvernement aurait-il agi de la même façon si la perspective d’une motion de censure victorieuse avait été crédible ?
Puis, il n’est pas certain que le groupe L.R (Les Républicains) ne pouvait pas être convaincu et que son vote était intangiblement négatif. Nous le verrons lors des débats au Sénat qui s’annoncent poivrés.
Enfin, ce texte (PLF 2023) va contribuer à aggraver notre situation financière avec un déficit de 155 milliards d’€uros, un total de dépenses de près de 500 Mds à rapporter des 350 Mds de recettes.
La France, via l’Agence France Trésor va emprunter 273 Mds en 2023 soit près de deux fois son déficit ce qui, en période de hausse des taux, va rendre encore un peu plus complexe notre trajectoire des Finances publiques qui n’a pas été approuvée par le Parlement.
Il manque à notre pays une voix comme celle du regretté député Olivier Ferrand (Terra nova) qui aurait été un lanceur d’alerte pointu face aux discours à géométrie variable du ministre Le Maire.
Ce n’est pas son col qui est roulé, ce sont les contribuables qui le seront.
Les scientifiques, dans la lignée de Claude Bernard, utilise la séquence dite OHERIC : Observation, Hypothèse, Expérience, Résultat, Interprétation, Conclusion.
En matière d’observation, je suggère de se reporter à l’analyse idoine du HCFP (Haut-Conseil des Finances Publiques) qui relativise lourdement les voies et moyens qui ont présidé, depuis Bercy, à l’élaboration du PLF 2023.
Une inflation minorée, une croissance généreuse au point de ne pas être sincère, etc.
En matière d’hypothèse, le PLF 2023 relève de l’encre sympathique : on n’écrit pas tout ce qui va se passer notamment en terme de vigueur de la désormais proche récession. Et cela change tout.
En matière d’expérience, l’appétence de notre pays pour les déficits budgétaires depuis 40 ans est un fait. Chat échaudé craint l’eau froide ! Ainsi j’affirme ici que le déficit d’exécution de ce PLF dépassera les 155 Mds. Nous, contribuables, avons l’expérience du premier quinquennat du président Macron.
En matière de résultat des débats parlementaires, il y a une discussion juridique pointue à mener. Dans la version finale du PLF 2023 frappé du sceau du 49-3, le Gouvernement a retenu une centaine d’amendements adoptés. Mais, sauf erreur d’information, le Gouvernement n’a pas été exhaustif et a balayé d’un revers de main certains amendements pourtant soumis à approbation des député (e) s.
Que pensera le Conseil constitutionnel de cette pratique de pioche sélective au sein d’amendements validés ? En la matière, nous ne sommes pas en gestion boursière avec une pratique de » stock-picking « . Non, je ne pense pas que cette méthode soit conforme au droit parlementaire budgétaire tel que l’entendent les Sages de la rue Montpensier.
Tout ceci démontre de manière cuisante que le 49-3 n’est qu’un frêle saule au regard des massifs frênes qui forment la forêt de » l’interprétation » du PLF 2023.
» L’interprétation » commande de noter que l’inflation à 5,3% est une fadaise. Fin Décembre, le score sera plus lourd. Hélas pour les catégories populaires placées ici en première ligne.
La croissance ne sera pas de 1% en 2023 et même les économistes fort proches de Bercy (versant politique et non versant technique) commencent à en convenir.
En récession, les rentrées fiscales seront moindres.
Par ailleurs, le jump des coûts énergétiques pour les industriels va générer des faillites et des délocalisations dont l’ampleur sera fort significative.
Le Gouvernement risque d’être contraint d’imiter l’Allemagne et son plan de 200 Mds panachés entre les particuliers et les entreprises.
Le bouclier rendu nécessaire par la conjoncture du premier trimestre 2023 à destination des industriels sera très vraisemblablement incontournable.
Certains évoquent un montant de 40 Mds. Sans compter les entités qui ne parviennent pas à honorer les échéances de leurs PGE (prêts garantis par l’État).
Autrement dit, ce PLF 2023 est un DRIP (Data Rich, Information Poor) pour reprendre le terme d’un ancien patron emblématique de General Electric, en la personne de Jack Welch.
Ce PLF dénué de créativité s’inscrit dans un corset analytique que la conjoncture va démentir et qui justifiera un nouveau 49-3 lors de l’examen du projet de Loi de finances rectificatif à tenir avant fin mars 2023.
Jean-Yves Archer
Economiste
Membre de la Société d’Économie Politique