Depuis la sortie de son livre Le génie lesbien, Alice Coffin est la cible de menaces et d’insultes. Réaction de Virginie Martin, politiste et sociologue.
C’est une semaine bizarre, je lis Coffin, je scrolle Coffin, je m’endors avec elle et, comme je ne regarde plus que des films/séries féministes depuis des années, du coup, je pense à elle devant ma télé.
Je suis rassurée. Le livre d’Alice me rassure. Ses propos aussi.
Ce qui ne me rassure pas, ce sont ces folies sexistes à l’égard de son corps. Là j’avoue ma déroute.
Encore une fois, le corps des femmes me direz vous…
La semaine dernière il était trop dénudé à l’école, la semaine d’avant il était trop voilé, puis trop maigre, et trop gros aussi, et voici que cette semaine ce corps n’est plus assez féminin.
Le corps des femmes n’est jamais à sa place visiblement, toujours dérangeant.
Autorisé nu et suggestif dans des abris-bus, se tortillant dans n’importe quelle boite avec barre de lap dance, ou pornéisé à tout va… mais interdit d’être mis en short ou sans soutien gorge selon les questions de ce sondage Ifop pour Marianne. Ce même journal qui aurait condamné tout aussi violemment le voilement de telle ou telle. Trop de pudeur, pas assez de pudeur. Trop de féminin, pas assez, trop de sexitude, pas assez… que faire, que faire de ce corps sous injonctions contradictoires ?
Alice, elle, s’est détachée. Elle vit le monde sans regard direct du patriarcat ambiant. Alice, elle, a décidé que son corps était son affaire. Une affaire entre elle et elle.
Et ça, et bien, ce n’est pas du goût de tout le monde non plus…
La critique revient : elle ressemble à un homme. Alice perd son « statut » de femme. Trop de sexe, pas assez, trop de féminin, pas assez… Alice est conspuée comme jamais sur son physique.
Un ami politologue – connu et respectable – a même osé l’écrire sur mon mur Facebook… un monsieur plutôt gentil, intelligent, plutôt abimé par la vie a osé écrire « physiquement, elle est arrivée à son rêve, elle est presque un garçon ».
Les déferlantes sur son physique sont à peine croyables : « j’imagine qu’elle doit en vouloir à ses géniteurs », « aucun homme n’a dû vouloir d’elle, du coup elle est lesbienne », « adieu Ines de la Fressange ».
Je ne vois pas les choses comme cela, bien sûr, c’est juste une femme qui joue peut-être un peu les tomboy, qui n’a pas envie d’aller chausser des Louboutin, de se laisser pousser les cheveux et de jouer le jeu de la séduction codifiée par les hommes. C’est juste cela.
Le jeu de séduction aux règles masculines n’est pas difficile. Imaginez Alice comme les hommes ont envie de voir les femmes : yeux bleus rieurs soulignés a l’eye liner, mèches en bataille sur le front, poitrine siliconée en avant, pose boudeuse et ça y est… le tour serait joué. Un artefact si facile à atteindre ; juste un peu de temps devant le miroir. Juste des réponses dociles aux L’Oreal et autres Chanel.
Sur Twitter j’ai d’ailleurs pu lire que le style des filles russes était quand même largement préférable à celui de Coffin… je n’ose imaginer le sous-texte de cette phrase.
Le traitement des femmes dans ce pays témoigne de notre archaïsme, de notre retard, de notre violence, de notre intolérance.
Le traitement qui est accordé aux femmes en France aujourd’hui est indigne. Au lieu de célébrer les mille et une façons d’être femme, d’être humains et humaines, on casse, on détruit, on pousse au fond du puits.
Voilà, c’est une France pourrie qui se dévoile, une France rance, une France qui s’éloigne du mot Démocratie. Pire, tout cela est maintenant acté par les institutions ; elles ont parié sur Darmanin, et ça marche. Les lynchages semblent être acceptés, les anti-metoo de même, les Zemmour au quotidien face à un CSA dormant…
Parfois, je me plais à croire que ce n’est qu’un mauvais rêve… je sais, elle est facile mais je vais la faire : Alice dis moi où est passé notre pays des merveilles ?
Pr Virginie Martin
Politiste, sociologue, Kedge Business School