Il y a quelques jours, le ministre du Budget, M. Darmanin, déclarait sur les ondes d’Europe 1 : « L’heure n’est pas à la polémique. Ce n’est pas quand nous sommes en guerre qu’il faut faire des polémiques ou poser des questions ». Mais pour Alain Tranchant, la parole doit demeurer libre.
Heureusement que le Général de Gaulle n’a pas suivi ce genre de précepte en juin 1940, alors que la France était véritablement en guerre, et pour de longues années. Car non seulement il n’y aurait pas eu de résistance française, mais la France n’aurait pas été présente à la table de la victoire en 1945 et elle ne disposerait pas aujourd’hui d’un siège de membre permanent du Conseil de Sécurité de l’Organisation des Nations Unies.
A l’évidence, le pouvoir supporte d’autant moins la contradiction qu’il est loin d’avoir été exemplaire dans sa communication comme dans la gestion de la crise, et les Français ne s’y trompent d’ailleurs pas en manifestant, sondage après sondage, leur défiance à son endroit.
Convoquer 46 millions d’électeurs aux urnes le dimanche 15 mars pour confiner 66 millions de Français le 17 mars à 12 heures, voilà qui dépasse déjà l’entendement.
Mais quand, à la sortie du bureau de vote du Touquet, le Chef de l’Etat ne résiste pas au micro qui lui est tendu et demande aux Français de rester « des citoyens dignes, libres » en allant voter dans le respect des « précautions d’usage », il y a là une attitude qui interpelle. Surtout lorsque l’on apprend maintenant que des membres de bureaux de vote ont été contaminés, comme le simple bon sens le laissait prévoir, lors des opérations électorales.
Jamais, je n’ai vu un président de la Ve République prendre la parole le jour d’un scrutin. A leur façon, les Français ont d’ailleurs répondu à son appel en pratiquant le confinement anticipé et en s’abstenant pour 55 % d’entre eux. Il est des moments où il faut savoir dire : non. Pour la première fois de ma vie, je ne me suis pas rendu aux urnes, et pour autant je ne me considère pas comme un citoyen indigne.
De la même manière, quand M. Macron déclare à des journaux italiens le 27 mars qu’il a « abordé la crise avec sérieux et gravité », il est difficile de ne pas lui faire remarquer qu’il réécrit l’histoire sans vergogne.
Il doit tout de même être autorisé de faire observer au Chef de l’Etat qu’en se rendant dans un théâtre parisien le 6 mars, il ne prépare absolument pas les Français à la « guerre ». Surtout quand il laisse rapporter ses propos : « La vie continue. Il n’y a aucune raison, mis à part pour les populations fragilisées, de modifier nos habitudes de sortie ».
Dix jours plus tard, la France est assignée à résidence, et pour de longues semaines. Non seulement la vie ne continue pas, mais pour un trop grand nombre de nos concitoyens, elle s’arrête même définitivement.
Il aurait été infiniment préférable d’organiser le combat contre le coronavirus plutôt que de battre la campagne pour les élections municipales, enjeu subalterne alors qu’une terrifiante crise sanitaire avançait à grands pas.
Comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, le président de la République se tresse lui-même des couronnes de lauriers. Mais si « gravité » il y a eu de la part du pouvoir, les Français ne peuvent que constater que c’est après beaucoup de légèreté, et même de légèreté coupable.
Dernier avatar de la communication compliquée d’un pouvoir en difficulté, parce qu’il n’a pas pris suffisamment tôt la mesure du violent choc sanitaire en provenance d’extrême-orient : samedi soir, le Premier ministre s’insurge contre quiconque ne penserait pas comme lui : « Je ne laisserai personne dire qu’il y a eu du retard sur la prise de décision du confinement ». Il est vrai qu’il lui était difficile de dire autre chose , puisque le confinement a été décidé le 16 mars, alors qu’il avait appelé à voter pour lui au Havre le 15 mars…
Quelques heures plus tard, sur une chaine de télévision française, BFM, le Professeur Pittet, exerçant dans un hôpital de Genève, venait détruire l’affirmation d’Edouard Philippe en indiquant que la Chine avait décidé le confinement à partir de 500 cas avérés de contamination au coronavirus, alors que la France avait attendu les 3 000 cas.
Quant à la gestion de la crise, il est chaque jour plus évident que notre pays a abordé la guerre-éclair contre le coronavirus dans un état d’impréparation qui devrait amener les « princes qui nous gouvernent » à moins de certitudes et davantage d’interrogations.
Reprenant le titre d’un autre ouvrage de Michel Debré, il est du reste permis de se demander si l’on n’assiste pas, en direct, à « la mort de l’Etat républicain » dans un domaine essentiel, celui de la santé.
Sans être démenti, le journal L’Opinion a publié, le 20 mars, un article consacré à une note de cinq pages du Professeur Jérôme Salomon au candidat Macron, datée de septembre 2016, d’où il ressortait que « la France n’est pas prête pour une épidémie ».
Le conseiller Santé du candidat Macron est devenu Directeur général de la Santé en janvier 2018. Sans la permission de M. Darmanin, est-il possible de lui demander, sans être accusé de porter atteinte au moral de la nation, ce qu’il a fait pour mettre la France en ordre de bataille sanitaire au cours des deux dernières années ?
Il n’est que trop clair que ce qui est en cause, c’est la vie – ou la mort – de milliers de Françaises et de Français, de soignants (déjà cinq médecins sont tombés !), de policiers et de toutes celles et tous ceux qui sont en première ligne pour assurer notamment le ravitaillement de la population.
Le 24 mars, sur une chaîne d’information en continu, le Professeur Christian Perronne qui, selon ses dires, « a géré les précédentes crises sanitaires », se demandait « pourquoi on n’a pas anticipé dès décembre ».
Et Gianluca di Feo, rédacteur en chef adjoint du quotidien italien La Repubblica, écrivait dans Le Figaro du 16 mars : masques, gants, appareils respiratoires et vêtements de protection, « la puissance industrielle de l’Union européenne aurait pu permettre de produire tous ces stocks vitaux en un mois. Pour l’Italie, pour tout le monde. Mais elle n’a rien fait ». Et notre gouvernement non plus !
Faute de disposer de ces « armes », nos gouvernants n’ont pu que gérer la pénurie.
Pénurie de tests, pénurie de masques, pénurie de vêtements de protection, nous sommes partis en guerre avec des lance-pierres et des arbalètes.
Cette situation rappelle tragiquement l’incurie de 1940. Hitler avait fait siennes les théories du Colonel de Gaulle sur les chars et la guerre de mouvement, et nous attendions l’ennemi derrière la ligne Maginot…
Comment le pouvoir politique, comment la haute Administration ont-ils pu être assez aveugles pour ne pas voir qu’au XXIe siècle, à une époque où tant de biens et de personnes circulent en permanence d’un bout à l’autre de la planète, il était envisageable que l’épidémie du coronavirus ne s’arrête pas aux frontières de la Chine ou de… l’Italie ? Surtout quand l’on professait que « la France n’est pas prête pour une épidémie » !
On reste confondu devant tant d’imprévoyance, pour ne pas dire d’irresponsabilité à tous les étages.
Alors, oui, la parole doit demeurer libre, et en haut lieu on commet une grave erreur en voulant culpabiliser les auteurs de propos contraires à la vérité officielle. Quand des voix autorisées s’élèvent du monde médical pour crier la colère des soignants, dénoncer l’inertie totale des autorités, stigmatiser l’arrogance de l’Administration, l’effet est redoutable pour le pouvoir : la parole des médecins et des combattants du terrain pèse en effet lourd, et même très lourd, dans l’opinion.
Alain Tranchant,
Ancien Délégué départemental de mouvements gaullistes en Vendée et Loire-Atlantique,
Président-fondateur de l’Association pour un référendum sur la loi électorale
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