La réforme constitutionnelle de juillet 2008 fit apparaître dans le paysage institutionnel français un nouveau personnage : le Député des Français de l’Etranger (DDFE). Cette création fut rendue possible par le découpage du monde en 11 circonscriptions électorales de poids approximativement semblable en nombre de résidents Français. Chacune de ces nouvelles circonscriptions élit un DDFE.
Une décennie après l’élection des onze premiers DDFE en 2012, la question se pose de savoir quel doit être le rôle exact du DDFE. Bien entendu, comme les autres députés, il s’occupe de sa circonscription. Mais ne doit-il pas avoir, en sus de ce rôle traditionnel, un rôle spécifique au sein de la Diplomatie parlementaire française -du fait même de l’étendue trans-étatique de la circonscription qu’il représente ?
La Diplomatie parlementaire en France
Diplomatie et politique étrangère ont toujours été le privilège exclusif de l’Exécutif. C’est pour cela, comme le souligne Philippe Péjo, que « rien ne laisse à penser que les Parlements puissent y conquérir une place et, qui plus est, une place dont l’importance s’amplifie progressivement depuis les années 1990 »1
Il est vrai que, malgré une pratique active depuis longtemps, le concept de Diplomatie parlementaire ne fut évoqué en France qu’en 2001.
Il le fut par le Ministre Dominique de Villepin, lors d’un colloque coorganisé par l’Assemblée nationale et le Sénat. Ensuite, nous dit Philippe Péjo, il fallut attendre le Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de 2008, qui plaida « pour un rôle accru du Parlement dans l’action extérieure de la France » et qui souligna que la Diplomatie parlementaire « doit être reconnue comme un élément intégrant de la politique extérieure ».
Pourtant, le cadre institutionnel dans lequel cette forme d’action parlementaire se développe en France est loin d’être négligeable. Passant en revue les modalités au travers desquelles la Diplomatie parlementaire se manifeste dans la vie politique, le Conseiller d’Etat Didier Maus2 différencie les modalités formelles de celles informelles, dans lesquelles l’action du Parlement se déploie à l’international.
Au sein du formel, Didier Maus distingue deux cas où le Parlement intervient dans la politique étrangère du pays : la ratification des traités et les procédures spécifiques prévues par la Constitution pour les déclarations de guerre, les engagements des forces armées à l’extérieur et les questions européennes. Il mentionne aussi les interventions possibles du Parlement dans ce domaine, au cours de son fonctionnement courant : débat budgétaire, motion de censure, etc.
Au sein de l’informel, Didier Maus mentionne les groupes d’amitié avec des pays étrangers, les rencontres et invitations de personnalités étrangères et l’immense domaine de la coopération interparlementaire.
Sur un plan institutionnel, le Parlement est donc lié depuis longtemps à la politique étrangère du pays. Comment son rôle à l’international pourrait-il être encore « accru » selon la recommandation du Livre Blanc de 2008, cité plus haut ?
Diplomatie parlementaire et « Diplomatie 2.0 »
L’analyse de Didier Maus omet un élément de contexte capital : l’émergence de ce qu’on a appelé la « Diplomatie 2.0 ». Cette forme nouvelle de diplomatie va encourager certains Parlements -dont le Parlement français- dans leur volonté de s’intéresser de façon plus active à ce domaine traditionnellement réservé à l’Exécutif qu’est la politique étrangère.
La Diplomatie 2.0 est fondée sur une perspective d’urgence dans les relations internationales. Devant des situations considérées comme graves -massacres de populations, etc.,..- les tenants de cette approche pensent que les appareils d’Etat en charge de la politique étrangère ne sont pas en mesure d’apporter avec rapidité l’aide d’urgence nécessaire. Il faut selon eux agir indépendamment de ces appareils -soit en tant que personne privée, soit en tant qu’ONG- pour apporter l’aide. Quand l’enjeu est trop important, il ne peut être laissé exclusivement entre les mains de l’Exécutif : c’est une nouvelle Diplomatie -la Diplomatie 2.0- qui doit s’en emparer.
L’un des premiers exemples de Diplomatie 2.0 fut celui des actions de médiation entreprises en leur temps par l’ancien président Carter en Haïti et en Ethiopie. Carter agit, dans chaque cas, en totale indépendance -voire opposition- aux politiques que le State Department menait. Un autre exemple de Diplomatie 2.0 devint également célèbre : les accords d’Oslo négociés par des intellectuels privés israéliens avec une délégation palestinienne -en dehors de toute participation du ministère des Affaires étrangères israélien. Par la suite, on vit des ONG se spécialiser sur les questions de conflit -pourtant considérées comme relevant du domaine de la diplomatie d’Etat. Ces ONG interviennent de leur propre initiative dans des situations de guerre (San Salvador, Mozambique, etc.), en dehors de toute participation des Etats. En France, la Diplomatie 2.0 prit la forme, plus modeste, d’actions publiques entreprises par des intellectuels pour activer le soutien du gouvernement en faveur de certaines causes politiques et humanitaires.
Derrière ce développement, il y a une philosophie des relations internationales qui privilégie le fond -porter secours rapidement à ceux qui sont dans une situation conflictuelle- à la forme -laisser l’Exécutif agir dans ce domaine qui est le sien.
La philosophie fait clairement fi de la nécessité pour tout Etat d’agir en tenant compte de l’ensemble des variables entrant en jeu dans une situation. Le stade ultime et caricatural de cette Diplomatie 2.0 fut porté à l’écran dans un film –La guerre de Charly Wilson3– qui mit en scène un député américain mécontent de la politique de son pays en Afghanistan. Le député décide de monter à lui tout seul son opération militaire. Il y réussit grâce au concours financier d’un riche électeur et à l’activation de contacts dont il disposait dans plusieurs pays.
Certes, la Diplomatie 2.0 est peu compatible avec la tradition politique de certains pays, dont la France. L’important est qu’elle a joué un rôle libérateur en ôtant des esprits l’idée que seul l’Exécutif pouvait définir et conduire la politique étrangère d’un pays. Et c’est dans ce contexte nouveau que la Diplomatie parlementaire a pu -et pourra- connaître en France le développement dont parle l’article mentionné plus haut.
De façon surprenante d’ailleurs, il semble qu’on soit allé loin en France dans l’encouragement au développement de la Diplomatie parlementaire. Dans le colloque de 2001, ce fut le Ministre des Affaires étrangères -acteur éminent de l’Exécutif- qui intervint sur le sujet, montrant, peut-être, qu’aujourd’hui il y a, du côté même de l’Exécutif, un besoin de voir une Diplomatie parlementaire plus forte et plus active.
C’est ici que le DDFE pourrait apporter sa contribution.
Le DDFE aujourd’hui
Le DDFE se trouve au cœur d’un dispositif de représentation des Français de l’étranger. Les piliers de ce dispositif sont des acteurs locaux, eux-mêmes Français de l’étranger, apparus récemment avec un nouveau nom et un nouveau mandat : les Conseillers des Français de l’Etranger.
La construction du dispositif fut progressive de 2013 à 2021. Les élections de 2021 furent portées par un dynamisme des candidats -avec, cependant, une participation de l’électorat local des plus réduites. Les programmes des listes s’opposèrent sur plusieurs sujets : emploi, santé, apprentissage, écologie, etc. Au total, 442 Conseillers des Français de l’Etranger furent élus.
Ce succès pose maintenant une question importante : quel sera le rôle du DDFE de demain ?
Avec la présence, dans chaque pays, de Conseillers des Français de l’Etranger -auquel il faut ajouter l’action dynamique des Sénateurs des Français de l’Etranger- comment trouver une additionnalité dans la mission du DDFE ? On peut penser qu’une sorte de principe de subsidiarité sera adopté, le DDFE choisissant de ne pas s’occuper directement des dossiers traités par les Conseillers des Français de l’Etranger locaux et par les Sénateurs -et acceptant ainsi de n’être que le relai des acteurs locaux avec Paris. Mais ne risquerait-on pas alors de voir se reproduire les dérapages qui conduisirent une journaliste à parler en 2020 d’élus « en roue libre »4 ?
L’idée avancée ici est que la mission du DDFE pourrait se voir ajouter une dimension « Diplomatie parlementaire » que l’étendue géographique des circonscriptions permettrait d’accomplir. L’élection du 5 juin prochain verra 11 députés élus par les Français de l’étranger : ils pourraient apporter une aide spécifique et importante à la Diplomatie parlementaire française. Pourquoi ne pas la prendre ?
DDFE et Diplomatie parlementaire
Un DDFE est amené à rencontrer, en tant qu’élu des Français de chaque pays, les Exécutifs et les Législatifs des Etats qui font partie de sa circonscription. Il agit ainsi, informellement, en tant qu’acteur de la Diplomatie parlementaire française. Dès lors, ne pourrait-il pas devenir formellement le point de contact stable de l’Assemblée, pour les pays inclus dans sa circonscription ? Depuis 2012, les DDFE ont déjà agi ainsi dans leur pratique. Il s’agirait de rendre maintenant leur rôle reconnu et encadré comme acteur de la Diplomatie parlementaire française.
Remarquons que les contours des circonscriptions des Français de l’Etranger ont opéré des rapprochementsinattendus qu’une diplomatie, même active, aurait eu du mal à imaginer. Ainsi, la 8eme circonscription englobe 6 pays5 que presque tout devrait séparer dans leurs relations avec la France : Chypre, Grèce Italie, Israël, Malte et Turquie. Le DDFE est là, en position d’aider au développement d’une politique étrangère régionale et « horizontale » où la France jouerait un rôle de catalyseur entre pays de la Méditerranée orientale.
La question de la participation formelle des DDFE à la Diplomatie parlementaire mérite donc une attention nouvelle. Un groupe de réflexion composé de parlementaires engagés dans la Diplomatie parlementaire ne saurait-il pas trouver le meilleur parti à tirer de cette nouvelle situation ?
José Garson
Professeur de géopolitique à l’INSEEC et à l’ILV
- Philippe Péjo, La Diplomatie parlementaire, actrice émergente de communications diplomatiques démocratisées, Hermès 2018/2, pp 73 à 81. ↩
- Didier Maus, Le cadre institutionnel de la diplomatie parlementaire, Revue d’Histoire politique, 2012/1, pp 14 à 36. ↩
- Film sorti en France le 16 janvier 2007. ↩
- Stéphanie Martineau, Le Monde 6 mars 2020. ↩
- La circonscription comporte, de plus, le Vatican et la République de San Marin. ↩