L’accord entre LR et LREM en région PACA n’en finit pas de faire des remous. Et pour cause, à une année de l’élection présidentielle, de telles tractations politiques sur fond d’égarements idéologiques et d’intérêts partisans ne sauraient être neutres. La région Provence-Alpes-Côte d’Azur est ainsi devenue le théâtre d’un jeu de dupes très particulier dans lequel personne n’est dupe.
Résumons : Christian Estrosi et Hubert Falco quittent LR ; Renaud Muselier, pourtant tête de liste, reste. La fédération LR des Alpes-Maritimes dirigée par Eric Ciotti retire son soutien à Renaud Muselier ; les instances nationales maintiennent à l’inverse le leur. Muselier, Estrosi et Falco évoquent une stratégie d’union visant à contrer la liste RN emmenée par Thierry Mariani ; Eric Ciotti répond : « Les sondages donnaient Renaud Muselier vainqueur dans tous les cas de figure avant cet accord contre nature. Depuis, il est donné battu en toutes circonstances. » Même si toutes les cartes sont désormais sur la table, il faut être honnête : l’imbroglio persiste. Pour comprendre, il est nécessaire de remettre ces cartes dans le bon ordre.
Premier point : il n’y a pas une équation politique LR unique, mais deux !
La première est locale ; la seconde nationale. Et les deux appellent des stratégies contraires. C’est pourquoi à la question : Christian Jacob a-t-il eu raison de garder Muselier dans le giron LR au niveau national ?, on peut répondre : Oui. Et à la question apparemment contradictoire : Eric Ciotti a-t-il eu raison d’exclure Muselier du giron LR au niveau local ?, on peut aussi répondre : Oui.
Christian Jacob doit absolument éviter l’implosion de LR, et donc jouer l’apaisement, s’il veut avoir une chance de permettre à ce parti politique de retrouver un souffle, non pas avant mais après 2022, lorsqu’une recomposition du paysage politique à droite sera obligatoire quelle que soit l’issue du scrutin. En revanche, pour que l’arbre ait une chance de bourgeonner à nouveau, il faut absolument sectionner les branches mortes qui l’épuisent sans donner de fruits. C’est le cas en PACA, où LR est devenu, à Nice, à Toulon et au Conseil Régional, une copie de LREM.
Second point : la clef de l’énigme LR-LREM en PACA n’est pas la tête de liste aux élections régionales sur laquelle tous les médias focalisent leur attention. C’est Christian Estrosi.
C’est en effet le maire de Nice qui, en 2015, grâce à un désistement au second tour de la liste PS dirigée par Christophe Castaner, ravit la présidence de région au Parti Socialiste, installé de longue date. Il la cédera en mai 2017 à Renaud Muselier pour redevenir maire de Nice. Il fera de même avec son siège de député, dont a bénéficié sa protégée, Marine Brenier. Maire de Nice, Président de métropole, Président de Région, député, ministre… Christian Estrosi est sans conteste l’homme fort de la région. Or, s’il a été un temps le pourfendeur de la « cinquième colonne » islamiste, il s’est depuis mué en fervent soutien du Président Macron, au point d’avoir été le premier, à droite, à recevoir Emmanuel Macron (dans son bureau du CR de Marseille) avant même le premier tour de l’élection présidentielle ; le premier à lui apporter son soutien au soir de la victoire, taclant au passage – déjà – sa famille politique en lui reprochant une « position ambiguë » durant l’entre-deux-tour ; et le premier à demander, le 31 août dernier, à sa famille politique de passer un accord avec Emmanuel Macron en vue de 2022. Le message politique était, dès lors, on ne peut plus clair. Son positionnement pour les municipales comme pour les régionales, n’est donc pas une surprise.
Troisième point : la force des baronnies.
De nouveau, pour comprendre le sens de cette coupure entre le local et le national en PACA, il faut regarder du côté de Christian Estrosi et de son mouvement La France audacieuse. Le concept ? Une forme de populisme territorial que l’on pourrait résumer ainsi : Ce que les élites politiques nationales sont incapables d’accomplir, nous, élus territoriaux, le pouvons, si tant est que les institutions nationales et supranationales (principalement l’Etat et l’UE) nous délèguent le pouvoir décisionnel nécessaire. Sur cette base, la stratégie de l’édile niçoise consiste à déconnecter les logiques politiques nationales et locales, et à les renverser, afin de recréer une dynamique au sein de laquelle les territoires – c’est-à-dire, selon lui, le lieu du « concret », du « quotidien » des Français, de la « participation citoyenne », etc. – seraient désormais les nouveaux dépositaires de la légitimité politique. C’est ainsi que sa proximité affichée avec Emmanuel Macron ne le conduit pas à inscrire son mouvement dans une dynamique de soutien à la politique du Chef de l’Etat, mais dans une posture de « partenaire » du Chef de l’Etat. Nous sommes bel et bien dans en face d’une logique néo-féodale de constitution de baronnies locales où des élus d’extrême-centre, sous prétexte de girondisme, nient le caractère politique supérieur de la nation au nom de leurs intérêts locaux, comme si l’ensemble des citoyens d’une région ou d’une commune pouvaient à eux seuls reconstituer un « peuple » local. Dans un tel cadre, si le Président de la République est ramené au rang de « partenaire », on imagine aisément où doivent se situer les instances nationales d’un parti politique en perte de vitesse tel que LR…
Frédéric Saint Clair
Ecrivain, politologue