Le 1er juillet 2019 le gouvernement japonais décide de restreindre certaines exportations de haute technologie destinées à la Corée du Sud. Léo Keller, directeur du blog géopolitique Blogazoi, revient sur les relations complexes entretenues par les deux pays depuis l’occupation de la péninsule coréenne par l’armée impériale japonaise de 1910 à 1945.
Le comportement de la soldatesque nipponne n’a pas laissé de si bons souvenirs dans la région où l’Empire japonais souhaitait établir sa sphère de co-prospérité.
Jusqu’à ce jour les femmes « de réconfort », ainsi désignées par l’hypocrisie japonaise de l’époque, en fait les femmes coréennes violées ainsi que les Coréens travailleurs forcés se rappellent toujours à nous et viennent ramener la fureur de l’histoire au cœur de la géopolitique asiatique actuelle.
Ce douloureux et ignoble épisode poursuit et envenime jusqu’à aujourd’hui les relations bilatérales entre le Japon et la Corée du Sud et partant de l’ensemble de l’équilibre de la région. La poursuite infernale ne se joue pas seulement au cinéma. La poursuite infernale se joue depuis l’année 2018 et connait son acmé début juin 2019 à Tokyo lorsque le gouvernement japonais décide de restreindre ses exportations de haute technologie, semi-conducteurs, hydrogène fluoride, etc. à destination de la Corée du Sud.
Sans aller jusqu’au conflit armé, cette situation ubuesque est gravissime.
Nous nous permettons, bien humblement, de rappeler aux deux protagonistes de cette tragédie – au véritable sens étymologique du terme – ce que la statue du Commandeur, sous la plume de Molière, prédisait, il y a déjà quelques années de cela. « –Don Juan, l’endurcissement au péché traîne une mort funeste, et les grâces du ciel que l’on renvoie ouvrent un chemin à sa foudre. »1 Déjouer cette prédiction est certes complexe mais pas impossible. Et l’on ne voit pas Trump faciliter une solution. Nous nous proposons donc dans un premier temps de rappeler les faits qui en déroulent le scénario et l’ensemble des causes qui ont autorisé son surgissement puis les leçons à tirer. Si nous ne le faisons pas les dangers et modifications stratégiques dans la région seront annonciateurs de tous les dangers.
Les faits
Le 1er juillet 2019 le gouvernement japonais décide de restreindre certaines exportations de haute technologie destinées à la Corée du Sud qui sera également retirée de la « White list » qui autorise les exportations sans licence.
Ces dispositions prendront effet au 1er août 2019. Pour autant, il est utile de rappeler que cette initiative vient après la décision d’une Cour de justice sud-coréenne condamnant Nippon Steel et Heavy Mitsubishi à payer des dommages au titre des femmes « de réconfort », plus de 70 ans après les événements.
Bien que le Traité de Paix de 1965, liant les deux pays, contenait explicitement les conditions de réparation japonaise et l’extinction des revendications sud-coréennes, la Cour constitutionnelle sud-coréenne a enjoint en 2011 au gouvernement de Lee Myung Bak de réouvrir les discussions et donc de réactiver la querelle. En 2017 la Cour suprême de Corée a pris des décisions contre ces deux sociétés japonaises. Elle autorise en outre la saisie de leurs biens en Corée.
À ce stade l’on voit déjà apparaître les premières mercuriales. Le Japon reproche à la Corée du Sud de revenir sur le Traité de 1965. Pacta sunt servanda ! Cette dernière argue pour sa défense que le gouvernement Shinzo Abe, lui aussi, n’avait pas respecté antérieurement par sa visite au sanctuaire de Yasukini et ses revendications sur les îles contestées de Dokdo/Takeshima, l’esprit du traité.
Le Japon, quant à lui, proteste qu’il s’agit là d’une volonté délibérée du gouvernement sud-coréen pour envenimer leurs relations afin de conforter leur position dans d’autres négociations. Ce à quoi le gouvernement sud-coréen se drapant fièrement – mais mal à propos – derrière le principe de la séparation des pouvoirs, affirme ne pas avoir la prépotence lui permettant d’intervenir dans des décisions de justice.
Dans cette escalade verbale, la Corée du Sud affirme que le Japon a pris cette mesure de restriction des exportations en réponse à la décision de la Cour de justice et qu’elle n’était pas motivée par d’autres raisons. Le Japon affirme, quant à lui, dans un premier temps – mais dans un premier temps seulement – que cela n’a rien à voir et que cette mesure ressort uniquement de la sécurité nationale. Pour autant ses propos démontrent le contraire. Ainsi début juillet 2019 « We did not intertwine historical issues with trade issues »,« The issue of former Korean laborers is not about a historical issue but about whether to keep the promise between countries under international law… and what to do when the promise is broken. » Abe va jusqu’à parler de « both a lack of trust and unspecified security concerns. »2
Cette situation de crise est tout sauf nouvelle. Les braises ne demandaient qu’à s’enflammer. Les relations nippo-coréennes sont émaillées de tels incidents. L’on avait tout simplement refusé de les analyser à leur juste dimension tant les problématiques chinoise et nord-coréenne occupaient le devant de la scène.
Les analystes occidentaux ont cru que grâce à leur exceptionnelle réussite économique, à leur vrai régime démocratique et par ailleurs chacune étant liée – mais séparément – aux USA, l’on pouvait négliger leurs rivalités et leurs ressentiments « dans le site de leur ancienne grandeur. »
Une œuvre de Berthe Morisot explique ce phénomène. Considérons le tableau où figurent un père et son enfant dans un jardin. Celui-ci est occulté pour mettre en exergue les liens exceptionnels unissant le père à son enfant. Pourtant le jardin est bien présent. Il en va de même dans les relations nippo-coréennes. Les rancœurs, même en arrière-plan, demeurent.
Parmi les signaux qui auraient dû nous alerter, figure la crise de février 2015 lorsque le Japon a mis fin au swap currency agreement qui l’unissait à la Corée du Sud. Accord interrompu après la visite du Président sud-coréen Lee-Myung Bak (aujourd’hui incarcéré pour corruption – pratique très courante chez les présidents sud-coréens) dans les îles contestées de Dokdo/Takeshima. L’on peut certes se poser la question de savoir ce que ce dernier allait faire dans cette galère ? Il n’empêche ces accords, tout en aidant la Corée du Sud après la crise systémique asiatique, l’ont humiliée.
La situation, est tel un volcan, dont la lave est prête à s’écouler. Certes des mesures palliatives sont prévues pour limiter les dégâts et éviter le pire. Mais en décembre 2018 un cap a été franchi. Un incident militaire advint entre les deux pays. Ce n’était pas la première fois. Mais ce qui était nouveau, c’est la publicité qui lui fut donnée, alors qu’auparavant les deux pays cantonnaient ce type d’incident au niveau diplomatique. Or en décembre 2018, le ministre japonais de la Défense affirme qu’un navire sud-coréen a bloqué son contrôle radar de mise à feu automatique sur un avion japonais qui se livrait à un exercice de sauvetage. Les choses, en sont restés là ; cette fois-ci.
Lors du sommet du G20 d’Osaka, Shinzo Abe et Moon se sont à peine adressé la parole ; les réunir sur une photo a relevé de l’exploit.
Depuis quelques semaines, à Séoul, des grands magasins affichent des banderoles appelant au boycott des produits japonais comme étant « made by war criminals. »
Enfin le 19 juillet un sexagénaire s’est suicidé devant l’Ambassade du Japon à Séoul.
Depuis quelques semaines, Tokyo qualifie les décisions des Cours de justice coréennes, contre Mitsubishi et Nippon Steel, comme étant en réalité des représailles et « des actes de guerre économique. » Moon qui n’est pas en reste, qualifie cette crise de « unprecedented emergency »3 et déclare : « We can’t rule out the possibility that the situation would be prolonged, despite our diplomatic efforts to resolve the issue. »4 Moon a donc appelé les sociétés coréennes à se préparer à une dispute prolongée et les a averties que le « Framework of Economic Cooperation » a été cassé. Pour autant des conversations bilatérales devaient être engagées à Tokyo le 12 juillet.
Tout cela était tellement prévisible !
Examinons les raisons de cet imbroglio qui met face-à-face deux alliés liés – séparément – par un traité militaire aux États-Unis. La troisième puissance économique face à la onzième. Deux démocraties. Le contexte est surprenant. Il n’est pas sans rappeler le conflit chypriote de 1974 à trois kappi près. À Chypre, la Turquie et la Grèce étaient membres de la même alliance, elles n’étaient ni des démocraties ni des puissances économiques.
Selon la focale utilisée, l’on privilégiera tantôt les intérêts économiques antagonistes, tantôt les représentations historiques et bien sûr leurs différences d’approches avec la Chine et la Corée du Nord. Déterminer quelle est la mère des raisons aujourd’hui nous semble aléatoire, même si historiquement les chocs culturels sont chronologiquement les premiers.
Une fois de plus, laissons guider notre réflexion par notre cher Thucydide. Sa grille d’explication Phobos, Kerdos Doxa, demeure plus que jamais lumineuse dans ce triangle Washington-Séoul-Tokyo. Ecoutons-le pour notre plus grand plaisir : « Notre alliance avec Athènes a été conclue au moment où vous vous êtes retirés de la guerre contre les Mèdes, tandis que celle-ci restait pour continuer la lutte. Quand nous avons contracté cette alliance, nous n’avions certes pas l’intention d’apporter la servitude aux Grecs. Il s’agissait pour nous de les libérer du Mède. Tant que les Athéniens dirigèrent la coalition en nous traitant en égaux, nous les suivîmes de grand cœur. Mais, lorsque nous les vîmes mettre moins d’ardeur à combattre le barbare, il s’efforçait au contraire d’assujettir leurs alliés, nous commençâmes à nous sentir inquiets. »5
En fait tout les oppose et tout les indispose.
Le pays du soleil levant a toujours volontiers aimé réveiller –brutalement – et perturber le pays du matin calme !
Chocs de cultures, chocs de représentations historiques, chocs de réinterprétations de leur histoire.
Cette tension est palpable, même si toujours courtoise et parfaitement policée (nous sommes en Asie) entre Coréens et Japonais. Nous l’avions nous-même ressenti lors d’une visite auprès de dirigeants économiques coréens à Panmunjom, il y a plus de 30 ans où l’attitude agressive envers leurs concurrents japonais transparaissait clairement. Nous l’avons également éprouvé récemment lors d’une rencontre d’universitaires et responsables asiatiques lorsque le représentant japonais s’exclama : nous sommes le seul peuple de la région à n’être entouré que par des ennemis. Le visage du Coréen était de fureur tout contenue.
La Corée eût droit elle aussi au privilège des traités inégaux imposés par le Japon en 1876 qui s’empara de la ville de Pusan. En 1905 le Japon occupe la Corée à laquelle le lie pourtant un traité d’alliance militaire signée en 1894. Sans doute, s’agissait-il d’une répétition japonaise de Pearl Harbor.
Pour parfaire ces griefs : les femmes « de confort » ou « réconfort » ; c’est selon. Nous avons déjà évoqué ce problème et il est de plus fort connu.
En fait et c’est probablement une des raisons les plus vigoureuses, c’est leur interdépendance économique qui, peu à peu, s’est muée en rivalité puis en véritable guerre économique.
La Corée a ainsi détrôné le Japon dans de très nombreux domaines qui autrefois avaient concouru à sa puissance et à sa renommée. On ne compte plus désormais, ceux où la Corée est devenue le numéro un mondial. Or le Japon a précisément restreint les exportations qui permettent à la Corée de maintenir et d’accroître leur supériorité. Sous couvert de perte de confiance dans le domaine militaire, les sanctions s’expriment dans un langage on ne peut plus subtil. De là à vouloir punir Samsung de ses insolents succès !
Toujours dans le champ interne, on observera que Shinzo Abe, Premier ministre nationaliste, se sert du non-respect du Traité par les Sud-Coréens pour asseoir sa popularité et flatter les instincts les plus bas de son électorat conservateur. Un sondage révèle que 67 % des Sud-Coréens approuveraient un boycott des produits nippons. Chacun va re-nationaliser son passé. Ainsi une statue représentant les femmes « de confort » a été érigée juste devant l’Ambassade japonaise à Séoul ; au cas, horresco referens, où la pomme de discorde aurait été oubliée.
Chaque dirigeant s’arcboute sur un passé mythifié, magnifié mais tronqué.
Dans cette course à l’échalote, le Président Moon, par ailleurs progressiste dans bien d’autres domaines, cède lui aussi aux sirènes nationalistes. De cette boite de Pandore nul ne sait ce qui en sortira.
La visite de Shinzo Abe au sanctuaire de Yasukuni était inutile et dangereuse. L’excursion du Président coréen à Takeshima était absurde. Laisser une Cour constitutionnelle réouvrir le dossier des femmes « de confort » revenait à agiter une muleta à la face à des Japonais qui n’ont aucun sens de l’humour. C’est le mérite de l’Europe d’avoir su transcender les remugles du passé.
Si l’on change de focale pour envisager ce conflit sous l’angle de la géopolitique l’on s’aperçoit que les intérêts de Séoul et Tokyo divergent profondément.
Sur la Corée du Nord, Tokyo soupçonne, et vraisemblablement à raison, que Séoul aimerait faire cavalier seul et qu’il privilégie la réunification à la dénucléarisation. Mais soyons juste, l’on peut aussi parfaitement concevoir l’anxiété nipponne sur ce point précis, le Japon ayant eu le privilège d’être le seul pays, à ce jour, à avoir expérimenté l’arme nucléaire sur son sol, dans sa chair. Le narratif japonais est marqué de façon indélébile à ce sceau indélébile qui façonne chaque évolution de sa politique étrangère. De cette béance qui chantourne son souvenir. Ainsi il n’est pas exagéré de qualifier son attitude lors des discussions des Six Party Talk de névrosée.
Tokyo redoute également, beaucoup plus que Séoul, des concessions de Trump à Kim.
Et pas seulement en raison de l’arme nucléaire nord-coréenne mais parce que les plus vieux otages au monde sont japonais et que cela n’a pas été le principal sujet soulevé par Trump lors de ses rencontres avec Kim.
Symétriquement, Tokyo s’est montré beaucoup moins inquiet et surtout moins récalcitrant que Séoul face à la diminution – suppression pour l’année 2009 – des exercices militaires communs entre la Corée et les USA. Quand bien même Séoul désire ardemment ou modérément la réunification, bien plus fortement que le Japon. On imagine les affres du Japon ayant à lutter contre la technologie coréenne servie par une des mains-d’œuvre les moins chères au monde.
Sur la Chine leurs positions divergent également.
Certes il y eut une brouille passagère entre Beijing et Séoul à propos de l’installation du système antimissile THAAD, mais elle fut de courte durée. Et la cour appuyée et intéressée que Xi Ji Ping fit à Moon a repris de plus belle. Tokyo, lui, a eu droit en 2010 à un embargo de la part de la Chine sur les terres rares après le clash aux îles Senkaku revendiquées par la Chine et par le Japon.
L’hostilité chinoise envers Tokyo remonte à des temps immémoriaux. Séoul n’a jamais été traité de diable ou de chien. Il n’a jamais été non plus qualifié d’ennemi de l’intérieur. Séoul n’a jamais eu le redoutable honneur d’être la cible d’un jeu vidéo officiel consistant à tuer les diables japonais (daguizi). Séoul n’a jamais été l’objet d’une telle vindicte car la culture coréenne n’a jamais laissé des stigmates aussi violents en Asie. Tokyo oui ! Et Tokyo l’a manifesté et envers la Chine et envers la Corée.
Des deux protagonistes, c’est la Corée qui doit se rapprocher le plus de la Chine à cause de sa quête du Graal : la réunification. Enfin cerise sur le gâteau qui n’en demandait certes pas tant : leur querelle sur la composition des 16 participants au UN Command en Corée. Choc de deux volontés, la Corée du Sud refuse de voir des troupes japonaises stationnées sur leur sol même sous drapeau onusien.
Ces dissensus ont été parfaitement résumés par Evans Revere, ancien Ambassadeur adjoint aux affaires de l’Asie de l’Est en 2012 lors d’un colloque où participaient des Nord-Coréens : « One rarely mentioned reason for the current level of Japan-Korea tensions is that Tokyo does not believe that South Korea is as dedicated to the cause of denuclearization as Japan is, and that (South Korea) may be prepared to tolerate a nuclear-armed North Korea, while Japan will never accept this. » « It is widely believed among Japanese experts and officials that Seoul prioritizes reconciliation over denuclearization, a view that is also shared by many American expert. »
Nous avions évoqué au début de l’article les grâces du ciel. En cette affaire le deus ex machina est l’Amérique. Hélas pour notre malheur, pour celui des Coréens et pour celui des Japonais ; il n’a désormais rien d’un dieu omnipotent. Il n’est même pas sûr qu’un Bismarck eût pu trouver une solution. Alors Trump ! But this by the by ! Anything goes ! Reconnaissons toutefois qu’Obama n’a guère fait mieux. Il avait cependant réussi à organiser un premier face-à-face en 2014 entre Shinzo Abe et Park Geung-Hye (elle aussi désormais en prison). Obama avait tenté en outre avec Anthony Blinken des négociations trilatérales à La Haye. Le succès ne fut pas au rendez-vous.
Vers l’Asie compliquée la diplomatie s’envole
Voyons donc l’état des lieux. Le 14 juillet un diplomate américain s’est rendu à Séoul pour appeler à une résolution rapide de la dispute. À l’heure actuelle on ne sait toujours pas ce qu’il en est résulté. David Stillwell, nouveau secrétaire d’Etat adjoint pour l’Asie de l’Est et du Pacifique s’est entretenu à Séoul avec Kang Kyung Wha ministre des Affaires étrangères coréennes : « The U.S., as close friends and allies to both, will do what it can to support their efforts to resolve [the situation] » Stillwell a ainsi déclaré à la NHK : « he doesn’t plan to mediate or engage, other than to encourage both sides to focus on the key issues in the region, especially with North Korea. »
Les USA envoient également Matt Pottinger, haut responsable du Conseil national de sécurité pour rencontrer les deux protagonistes ensemble. Le ministre des Affaires étrangères sud-coréen accueille donc favorablement cette initiative. Et il déclare le 17 juillet « It certainly helps to have an interlocutor who can really play a role of a bridge and communication channels between the two sides. »
La situation continue donc de s’envenimer ; un officiel sud-coréen de haut rang avertit Stillwell que cette querelle pourrait impacter les relations trilatérales si le Japon persistait dans sa résolution de retirer la Corée de la « White list. » Il declare à la presse sous condition d’anonymat :« That would be a very, very significant act, » « If that happens, it will cause a tremendous amount of problems and it would definitely put a strain on Korea, Japan, U.S. trilateral cooperation.» 6 Pour autant la porte n’est pas fermée ; il espère que cela sera résolu à travers : « a constructive dialogue with Japan. »
Alors bien sûr, ni les canons ni même les sabres ne sont d’actualité, ils ont été remisés au musée de leur propre passé. Coréens et Japonais sont gens trop bien élevés.
Outre la personnalité de Trump, les USA souffrent de plusieurs handicaps pour trouver une solution :
- Il n’y a pas d’alliance trilatérale. Juste une juxtaposition d’intérêts.
- Trump n’est pas en harmonie avec eux, il continue à ferrailler sur les droits de douane. Ce n’est surement pas le meilleur moyen de peser sur les événements. Et on ne le voit pas non plus céder d’un pouce sur ses revendications pour réconcilier deux partenaires dont il se plaint régulièrement.
- La potestas militaire américaine demeure certes prégnante. Jusqu’à quand en imposera-t-elle au parapluie économique chinois ?
Dans sa tentative brouillonne de négociations avec Kim, il a desserré la prise sur ses deux alliés pour des mirages échoués sur les plages touristiques de la Corée du Nord. En quelque sorte il a inversé le paradigme de Kissinger sur les alliances… « Dans les systèmes d’alliances, les membres les plus faibles ont de bonnes raisons de croire que le plus puissant a un intérêt primordial à les défendre ; il s’ensuit qu’ils n’éprouvent plus le besoin de s’assurer son soutien en souscrivant à sa politique. »7
C’est désormais les USA qui troquent le système des alliances pour d’illusoires « bargains. »
Ce faisant Trump laisse ainsi deux alliés centraux suivre leurs instincts les plus nationalistes. L’unilatéralisme devient la règle dans la région.
Il n’y avait pas d’alliance trilatérale. Juste la gestion des intérêts stratégiques. Alors quid si ce bel échafaudage s’écroule ? Quid si Tokyo et Séoul font passer leur animosité et leurs aigreurs avant tout, et favorisent eux aussi à leur tour un protectionnisme commercial.
Quid de l’Inde ? Autant de questions sensibles dont nous n’avons pas toutes les réponses.
Ce qui est sûr, c’est que la région où la course aux armements est la plus forte au monde deviendrait vite une poudrière. Les jours de Taiwan commenceraient à devenir réellement problématiques, les USA étant occupés sur d’autres fronts.
David Sneider, expert américain des relations Japon-Corée à l’Université de Stanford a parfaitement résumé la situation: « If you have a really serious breakdown of relations between Japan and South Korea, it has a real impact on the ability of the United States to fulfill its national security obligations in the region. » « The United States military relationship with Japan and the (military) base structure in Japan are an essential part of the defense of the Korean Peninsula. So to the extent to which our two allies are not cooperating with each other, including very important day-to-day cooperation, it undermines our security deterrence for South Korea. »
Que Trump échoue dans cette négociation et c’est le triangle Washington-Séoul-Tokyo qui risque de s’effondrer et donc de fragiliser tout espoir de négociations avec la Corée du Nord.
Dans cette costille qui agite Séoul et Tokyo, on distingue une fois de plus deux vrais gagnants : la Chine et la Corée du Nord. C’est la conclusion à laquelle est arrivé Evans Revere: « The evident erosion of Seoul-Tokyo cooperation, dialogue, and summitry has damaged the close policy synchronization that once characterized trilateral cooperation against North Korea. The ultimate beneficiary of this is North Korea. » Car ne nous leurrons pas nous sommes au bord de bouleversements stratégiques si nous n’y prenons garde.
Le Japon a fixé une dead line à la Corée pour soumettre avant le 18 juillet à un tribunal arbitral leur litige qui punissait Mitsubishi et Nippon Steel. Dans ces pays, et nous l’avons éprouvé à nos dépens, on ne badine pas avec la fierté. Il n’est pas bon de perdre la face.
En août 2018, Séoul avait averti que des compagnies sud-coréennes avaient importé illégalement du charbon nord-coréen. En 2019 Séoul a relâché deux bateaux sud-coréens qui se livraient au transbordement de pétrole de bateau à bateau pour la Corée du Nord, violant ainsi les sanctions onusiennes. Plaidant la bonne foi et l’ignorance, le ministre des Affaires étrangères sud-coréen a convaincu l’ONU d’accepter ces explications.
Mais ces deux faits doivent être colligés avec la réaction violente et tout sauf amicale de Shinzo Abe. Qu’on en juge. Le 30 août 2018 Shinzo Abe avertissait les médias que Séoul pourrait tricher et violer les sanctions onusiennes. Tokyo use de cet argument pour justifier désormais les restrictions imposées à Séoul au motif que ces produits de haute technologie militaire pourraient atterrir en Corée du Nord. Un officiel sud-coréen de haut niveau déclare ainsi le 8 juillet : « Suspicions raised by a senior Japanese official should be demonstrated with specific évidence. »8 Pour autant il prend bien soin de ne pas désigner nommément Shinzo Abe. Le 7 juillet Shinzo Abe reconnaît implicitement le lien qui unit les restrictions à la décision de la Cour de justice. « La Corée du Sud « may claim it is regulating trade in compliance with North Korea sanctions » but just as « Seoul is not abiding by international commitments on the wartime labor issue », it is likely « not regulating trade » in accordance with sanctions. »9
Il est urgent d’éteindre l’incendie avant qu’il ne se propage à grande échelle dans la région. Ce que Séoul et Tokyo ont réussi à grand-peine à maintenir risque cette fois-ci de s’embraser. Il ne faudrait pas que la poursuite infernale se joue désormais comme un règlement de comptes à OK Corral.
Il est une leçon collatérale que nous voulons tirer. Aucune satisfaction économique n’arrive à bout et ne l’emporte sur les fiertés nationalistes. Cette leçon vaut aussi pour le « Dialogue de Paix » que les États-Unis et Nétanyahu rêvent d’imposer au Moyen-Orient au mépris des plus élémentaires leçons de géopolitique. Souhaitons que ce qui s’est déjà largement avéré un échec ne se répète pas dans cette partie du monde ; les enjeux y sont infiniment plus importants. L’immense William Shakespeare disait : « Il faut se hâter d’exécuter cette tâche, car les dragons de la nuit fendent à plein vol les nuages et les ombres. »
Toute solution passera par la sagesse de nos ancêtres romains : Perpetua oblivio et amnistia.
Léo Keller
Directeur du blog de géopolitique Blogazoi
Professeur à Kedge Business School
- Molière, Dom Juan, acte V scène VI. ↩
- Associated Press July 3/2019 Déclaration Shinzo Abe lors de l’ouverture de la campagne électorale. ↩
- Rencontre de Moon le 10 juillet avec 30 chefs entreprise Corée. ↩
- rencontre de Moon le 10 Juillet avec 30 chefs entreprise Corée. ↩
- Thucydide in La Guerre du Péloponnèse, Livre III, La Pléiade p. 869. ↩
- In Council on Foreign Relations July 17 by William Gallo. ↩
- Henry Kissinger in Pour une nouvelle politique étrangère américaine, p. 56. ↩
- UPI July 8. ↩
- UPI July 8. ↩