Singulier cher et vieux pays, à la croisée des chemins, usé par cinq années d’épreuves, de faux-semblants et de lent déclin, à dire vrai quinze années de crises si on additionne les difficultés de tous ordres et drames – le sanglant assaut de l’immonde terrorisme islamiste lancé contre la France durant le quinquennat Hollande en particulier- accumulés lors des mandatures précédant l’élection présidentielle de 2017 au cri de désespoir et à la révolte des Gilets jaunes, à la pandémie et à la guerre en Ukraine, voici à nouveau notre Royaume hexagonal, avec ses joyaux outre-mer et la Corse combien maltraités- qui en font pourtant une nation au rayonnement exceptionnel dans le vaste monde -, confronté à une séquence historique de choix déterminant d’une rare intensité, pour ne pas dire gravité, le 24 avril 2022.
Sur les 48,7 millions d’électeurs qui trancheront dimanche à venir entre les deux projets de société sélectionnés à l’issue du premier tour le 10 avril 2022, 15,6 millions de téléspectateurs seulement ont consacré une soirée de leurs vacances de Pâques pour les uns ou de leur semaine de labeur pour les autres, à écouter les deux candidats finalistes défendre leurs propositions et vision très différentes de notre avenir collectif, pendant près de trois heures où finalement, les échos et accents gaulliens n’auront paradoxalement pas été du côté du pouvoir en place, toujours campé dans cette irritante forme d’arrogance technocratique qui aura été sa marque de fabrique cinq années durant, mais in fine plus du côté de celle qui aura mis l’accent sur la souveraineté du peuple, le grand oublié de cette campagne présidentielle où tout aura été fait pour escamoter le débat d’idées si nécessaire pour réparer notre démocratie à la dérive et en péril mortel…
21 avril 2022 : de l’autre côté de la Manche, nos voisins britanniques célèbrent avec émotion et ferveur le 96ème anniversaire de leur bien aimée Souveraine, qui a choisi Sandringham (la résidence où son père, le Roi Georges VI, héroïque et indéfectible soutien de son Premier Ministre, Sir Winston Churchill, artisan aux côtés du Général de Gaulle de la victoire contre le nazisme en 1945, a rendu son dernier souffle) pour passer cette journée particulière. Dans un petit village breton qui arbore par la grâce du printemps les couleurs du drapeau ukrainien à travers le contraste du jaune d’or des fleurs d’ajoncs et du bleu des flots baignant ses plages, c’est l’anniversaire de la Reine Élisabeth II qui semble retenir en premier lieu l’attention des anciens et des vacanciers qui se croisent à la terrasse de l’unique café du bourg, et ensuite, ce sont les derniers développements des combats à Marioupol qui alimentent les conversations, bien plus que les commentaires convenus des médias et de l’oligarchie aux manettes, qui entend ne rien changer à la situation actuelle, sur le duel télévisuel du 20 avril 2022 et leurs pronostics sur l’issue du scrutin…
De quoi relativiser le matraquage du lendemain autour d’un débat qui ne saurait en rien résumer la vie politique et les attentes d’un pays désabusé, désormais clivé en trois blocs difficilement réconciliables au sortir du premier tour…
Ceux qui ne sont rien, les sans dents méprisés ou ignorés par les premiers de cordée et les privilégiés du système en place, les jeunes qui n’ont que la rue à traverser pour trouver un travail, l’immense majorité des Français qui souffrent des difficultés actuelles et voient avec angoisse leur situation se dégrader de jour en jour en terme de pouvoir d’achat et de tranquillité de vie au quotidien, dans un environnement rendu de plus en plus anxiogène par une insécurité galopante et une guerre en Ukraine en passe de dégénérer en conflit majeur au vu des derniers développements sur le terrain des combats, ont jusqu’à présent fait preuve d’une résilience et d’une patience inhabituelles dans l’histoire de France si on en juge par les séquences d’explosions révolutionnaires qui ont ponctué les périodes où la combinaison d’institutions périmées et l’ignorance des signaux émis par le peuple a provoqué l’irrémédiable…
Le jour d’après, au lendemain du 24 avril 2022, pourrait nous réserver d’amères déconvenues si le peuple de France ne retrouve pas rapidement les moyens d’exprimer réellement ce qu’il attend de ceux qui aspirent à conduire sa destinée, à travers la nécessaire révision des institutions et un mode de scrutin plus juste qui reflète mieux ses aspirations, pour en finir avec une représentation nationale de plus en plus coupée des réalités, l’écroulement lamentable des anciens partis de gouvernement et un exécutif s’appuyant sur une caste de technocrates inconscients pratiquant le « oderint dum metuant » des privilégiés responsables des pires révolutions à travers les siècles, celles qui naissent sur les décombres provoqués par leurs erreurs, leur aveuglement dogmatique et leur suffisance sans bornes.
Si on n’y prend garde et que l’on continue à ignorer le besoin profond d’un changement dans la manière de gouverner le pays, les heures et jours qui suivront le 24 avril seront probablement au moment des législatives le prélude d’un troisième tour aux répercussions incalculables pour l’avenir de la France, dans un contexte explosif au vu des tensions accumulées au cours d’une élection présidentielle où toutes les pressions auront été exercées pour ôter au peuple souverain sa liberté de jugement et de choix en toute conscience…
Eric Cerf-Mayer