Au cours de sa carrière, Jacques de Larosière a vu passer de nombreuses crises, d’abord à la tête du FMI, puis comme gouverneur de la Banque de France, ensuite comme président de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement. Aujourd’hui membre de l’Académie des Sciences morales et politiques, il continue à alimenter le débat public. Il a d’ailleurs récemment publié 40 ans d’égarements économiques – Quelques idées pour en sortir aux Éditions Odile Jacob.
Le sujet de cet article porte en lui-même un défi. En effet, le « moteur » de l’économie mondiale semble s’être grippé depuis au moins deux décennies.
Deux constatations corroborent cette assertion.
Un fort ralentissement de la croissance
Le taux de croissance domestique du PIB (final domestic demand), en moyenne de 1,7 % par an pour les pays avancés depuis 2001, est en forte décélération sur la longue période (2,8 % de croissance moyenne au cours de la décennie 1993-2002).
L’investissement productif (non résidentiel) global a diminué de 3 points du PIB mondial de 2000 à 2018.
Ce ralentissement de la croissance est expliqué en grande partie par le vieillissement de la population mondiale.
Pour le monde entier, le pourcentage des plus de 60 ans augmente fortement. Dans les pays développés, il est en train de passer de 19 % en 1996 à 31 % en 2030.
La Commission européenne estime qu’entre 2010 et 2050 la population active de l’Union diminuera de 48 millions alors que la population âgée augmentera de 58 millions.
Or une population vieillissante :
- épargne plus, mais consomme et investit moins ;
- accroît la charge publique (notamment en ce qui concerne le poids des retraites et des dépenses de santé et de dépendance) ;
- l’effet global contribuant à la faible croissance économique.
Quel peut donc être le « moteur » de l’économie de demain sur ce fond de ralentissement séculaire ?
La réponse à cette question est loin d’être évidente.
Certains économistes avancent le spectre d’une économie globale en ralentissement continu avec la menace d’une évolution vers le modèle japonais, caractérisé par une croissance très faible, une épargne surabondante et un déficit budgétaire astronomique.
D’autres pensent que le défi et la transition écologique offrent un nouveau moteur à la croissance de demain.
La transition écologique : moteur de la croissance de demain ?
Les ordres de grandeur de la seule révolution énergétique nécessaire pour réduire les émissions de CO2 en conformité avec l’objectif de ramener à moins de 2 % le réchauffement de la planète, sont d’un ordre de grandeur difficile à imaginer (neutralité carbone en 2050).
« La demande en énergie ne va cesser de croître sous l’effet conjugué de la croissance de la population – 2 milliards d’habitants supplémentaires en 2050 – et du développement du niveau de vie : songeons que 800 millions d’individus n’ont toujours pas accès à l’électricité ! ».
L’Union européenne a évalué le coût de la transition à 11.200 milliards d’euros entre 2021 et 2030, ce qui correspondrait, pour la France, à un coût annuel de 6 % du PIB !
Il est évident que ces chiffres ne sont pas réalistes, mais ils donnent une idée de l’importance des enjeux.
Ce que l’on peut dire sur « la nouvelle donne écologique », c’est que l’on va, logiquement, vers un nouveau modèle de société :
- les dépenses énergétiques ne pourront pas être financées par la monnaie, sous peine d’une inflation hors contrôle ;
- l’énergie sera donc plus chère pour ceux qui l’utilisent ;
- la taxe carbone minimum devra se situer entre 50-100 €/habitant.
Pour que cet effort – qui ne pourra que diminuer notre niveau de vie – puisse s’accompagner d’éléments positifs et donner naissance à un nouveau « moteur » de croissance il faudra veiller, dans un pays comme la France, à faire de ce changement de modèle énergétique une source nouvelle de réindustrialisation.
Dans cet esprit, il est absolument vital pour notre pays d’arrêter la délocalisation de nos activités industrielles, fussent-elles polluantes.
Quelques exemples de projets d’avenir – et d’emploi pour les jeunes à former – :
- augmentation de la part d’électricité dans le mix énergétique pour passer de 25 % à 50 % des besoins en 2050. Ceci suppose des investissements considérables notamment dans les transports, les batteries et la production d’hydrogène renouvelable.
- développement des filières renouvelables (grands parcs solaires) ;
- lancement d’un programme de construction de nouveaux réacteurs nucléaires ;
- économies d’énergie : agir sur la consommation et accroître l’efficacité énergétique…
Une réorientation de l’épargne
Les investissements – porteurs de croissance et d’emplois – devront être financés par l’épargne, abondante, dont nous sommes pourvus.
Mais cette épargne ne s’orientera vers les projets à long terme évoqués ci-dessus que si elle est rémunérée normalement. Il faudra donc abandonner la pratique des taux d’intérêt négatifs qui – comme il a été montré – détournent les épargnants des placements à long terme et favorisent la détention de liquidités à court terme.
Cette ré-orientation de l’épargne vers les emplois à long terme devra s’accompagner aussi d’une réduction de nos dépenses publiques de redistribution au profit d’investissements publics d’infrastructure, de recherche et de formation.
C’est là un vaste programme. Il sera fait de sacrifices (énergie plus chère, taxe carbone, certains relèvements d’impôts sur les gains financiers des plus fortunés), mais aussi d’investissements productifs et de recherche générateurs d’emplois et d’une autre forme (décarbonée) de croissance.
Avant tout, il faudra expliquer à nos concitoyens le pourquoi – vital – de cet effort et l’importance de réindustrialiser notre pays (et non de continuer à délocaliser nos industries) pour accomplir la révolution écologique, faire repartir l’emploi et mettre un terme à notre déclin observé depuis trente ans, évolution qui menace l’avenir même de notre pays.
Jacques de LAROSIÈRE
Ancien Directeur général du Fonds monétaire international et
Gouverneur de la Banque de France