« Le Général de Gaulle est mort. La France est veuve » : le 9 novembre 1970, il y a 53 ans, celui qui avait restauré l’honneur et la place du “cher et vieux pays” et permis qu’il figure dans le rang des vainqueurs de la Deuxième Guerre mondiale au sein du concert des nations, entrait dans la légende universelle. Son exemple devrait continuer à nous inspirer et nous éclairer mais il n’en est rien tant la fracture est profonde, insondable et tant les clivages de plus en plus irréparables divisent une société française desservie par des dirigeants et un personnel politique qui, pour une partie d’entre eux non négligeable, a perdu le sens de toute dignité et de l’intérêt commun, en ne respectant ni leurs fonctions ni l’esprit des institutions voulues par celui qui pensait que le salut de la France passait entre autres par l’abolition du régime des partis et l’exercice réel d’une souveraineté nationale par le peuple à travers ses représentants élus ou la voie du référendum…
Depuis quelque temps, la France est secouée par le passage des tempêtes, abîmée par les inondations, nombre de ses départements de l’ouest et du nord sont en demande de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, comme si ces désastreux aléas climatiques répondaient en écho au délitement généralisé et illustraient de manière sinistre l’atmosphère crépusculaire qui prévaut un peu partout dans le monde depuis la catastrophe du 7 octobre 2023 en Israël. Les masques tombent les uns après les autres, révélant l’ampleur d’un naufrage que peu de responsables politiques plus soucieux de communication nombriliste que d’action auront vu venir, perdus dans leur perpétuelle fuite en avant, leur refus de nommer et s’attaquer aux racines des maux clairement identifiés rongeant le pays depuis des décennies, leur déni de la gravité de la situation interne et leur cécité devant leur impuissance sur la scène internationale, dans un monde qui tourne le dos au peu qui reste encore debout des valeurs occidentales. Il n’y a plus ni souffle ni vision et la barque oscille au gré des vents sans aucune hauteur de vue – celle qui aura caractérisé les combats du Général de Gaulle tout au long de son parcours au service de la France – ; la navigation se fait à la godille du “En même temps”, sans grandeur, dans la tambouille des calculs partisans comme ceux auxquels on assiste autour du projet de loi sur l’immigration et notamment de son article 3 au Palais du Luxembourg. C’est auprès du Grand Orient, à l’occasion du 250e anniversaire de cette loge maçonnique érigée en temple/refuge ultime des valeurs démocratiques dans la tempête de l’heure, que la République viendrait rechercher de quoi conforter ses principes fondateurs souvent perdus de vue depuis longtemps (et lesquels à dire vrai, cette laïcité à géométrie variable en fonction des rapports de force fluctuants opposant héritage chrétien ancré de mémoire séculaire ou religion importée récemment (au gré des flux migratoires de la deuxième partie du XXe siècle à l’échelle de la saga nationale) aux tenants de la séparation des Eglises et de l’Etat ? D’autres vérités révélées aux initiés plus éclairés, qui échapperaient au vulgum pecus des électeurs ? ) ou bien trouver l’inspiration pour une loi sur la fin de vie… Qu’en aurait pensé le Connétable, l’homme de l’appel du 18 juin 1940, qui plaçait la France en juste perspective dans l’intégralité de sa longue et remarquable construction au fil des siècles au dessus de tout ? C’est sans doute à l’aune de ce qui compose aujourd’hui l’ordinaire d’une actualité nationale d’une insigne médiocrité face au tragique de l’histoire en ce mois de novembre particulièrement sombre, que l’on mesurera le chemin parcouru dans la conduite du destin d’un pays comme la France, qui a traversé tant de tempêtes et en est sorti grandi, toutes les fois où son peuple se reconnaissait encore dans ceux qui le guidaient en réussissant à bâtir ou reconstruire la cohésion nationale… On pourrait se croire revenu au temps de la IIIème République à la veille de la Deuxième Guerre mondiale par certains aspects des débats qui agitent la macronie pour tenter vainement de masquer ce qui mine le second quinquennat en le vouant à l’échec, ses propres divisions de plus en plus criantes, internes entre son aile gauche transfuge du parti socialiste naufragé de l’ère Hollande et sa composante “attrape-tout” venue de la droite et du centre mou, prête à toutes les compromissions pour entretenir la fiction d’une France gouvernée au milieu, et une majorité relative précaire qui n’a plus que l’arme à double tranchant du 49.3 pour imposer une politique gouvernementale sans adhésion véritable de l’opinion publique dans la plupart des domaines. Illustration de tout ce qu’aurait viscéralement rejeté le Général de Gaulle, l’histoire de la première mandature a commencé par la démission d’un Garde des Sceaux, promoteur de la grande illusion de 2017 sur un renouveau de la vie politique française, empêtré dans une sombre affaire d’assistants parlementaires européens ; celle de la prolongation en deuxième mandature restera dans les annales avec la comparution d’un de ses successeurs, Ministre en charge d’une des plus prestigieuses fonctions régaliennes, devant la Haute Cour de Justice, imprudemment maintenu en fonction bien que mis en examen dans un règlement de comptes pour conflits d’intérêts l’opposant à des magistrats, peu susceptible de restaurer la confiance du public dans un domaine qui ne devrait souffrir en principe d’ aucune suspicion de partialité. Le fait est peu courant et demeure probablement spécifique à la France au sein des pays membres de l’Union européenne. L’histoire jugera si une telle péripétie est digne d’une démocratie comme la France ou porte la marque de son affaissement : elle laissera des traces et ne grandira personne, quelle qu’en soit l’issue…
La violence et la haine qui éclatent et enflent de jour en jour à travers les débats parlementaires au Palais Bourbon sont le symptôme additionnel d’une démocratie française malade, incapable d’union, contrairement à d’autres pays dans le monde, quand la montée des périls exigerait un minimum de cohésion et un “cessez-le-feu” autour de ce qui pourrait encore rassembler une population désemparée et inquiète pour son avenir comme cette marche contre l’antisémitisme initiée par le Président du Sénat et la Présidente de l’Assemblée nationale, prévue au lendemain des célébrations du 11 novembre, un mois après la sidération et l’effroi provoqués par l’attaque terroriste du Hamas contre en grande majorité des civils Israéliens et qui a ôté la vie à 40 de nos concitoyens de manière barbare et contraire à toute règle humanitaire, en renvoyant le monde aux horreurs traumatiques du passé.
Il y a 85 ans, la bête immonde de l’antisémitisme récurrent à la fin du XIXe siècle en Europe, réveillée et instrumentalisée en Allemagne par le régime nazi pour asseoir son pouvoir, trouvait une de ses incarnations annonciatrices, à travers le pogrom de la nuit de Cristal, le 9 novembre 1938, de l’horreur indicible de la Shoah, l’extermination des Juifs d’Europe, un des grands marqueurs de la folie criminelle des artisans hitlériens de l’apocalypse de la Deuxième Guerre mondiale. Dans l’Allemagne de 2023, il se trouve des êtres assez abjects et veules pour envisager sérieusement de débaptiser une crèche pour enfants du nom d’Anne Frank – une sorte de deuxième mort et de renvoi au néant sous des prétextes irrecevables-, et dans les rues de Paris une femme au visage déformé par une haine pathologique pour arracher une affiche représentant un des otages (240 !) du Hamas, signe que la lâcheté avec son corrolaire, la stupidité, et l’ignominie ne connaissent aucune date de péremption et renaissent indéfiniment de leurs cendres en période de bascule imminente dans le chaos, pour le plus grand malheur de l’humanité. Dans la France de 2023, une polémique probablement incompréhensible hors du pré carré hexagonal mais révélatrice d’une absence totale de la mesure de ce qui est en train de se jouer avec l’importation en Europe du conflit en passe d’embraser le Proche-Orient et bien au delà, enflamme la scène politique et médiatique. Il est question d’établir un cordon sanitaire autour du Rassemblement national dans cette louable marche contre l’antisémitisme, qui connaît une recrudescence inouïe, proportionnelle à l’emprise inquiétante de l’islamisme radical sur notre territoire et au dévoiement de la cause palestinienne par l’extrême de la gauche à des fins condamnables parce que mensongères. La macronie affiche là une singulière conception de la notion du “faire nation”, appuyé par l’ensemble des partis censés eux faire corps dans un arc républicain qui exclurait de facto les millions de Françaises et de Français ayant voté pour Marine Le Pen dans l’hexagone et l’outre-mer lors de la dernière élection présidentielle, crachant ni plus ni moins sur leur choix : pourquoi ne pas leur imposer le port d’une rouelle symbolique afin de se prémunir de la peste qu’ils pourraient représenter aux yeux des autres marcheurs pendant qu’on y est dans cette polémique surréaliste au vu des circonstances ? Elle finit par légitimer implicitement le refus de ceux de la LFI qui s’excluent du corps de la nation en s’obstinant à ne pas nommer le vrai danger et reconnaître la source réelle de l’antisémitisme dans notre pays en 2023. En “diabolisant” et en taxant d’insincérité les intentions de sa principale opposante, au lieu de se féliciter ou (sans en attendre autant !) sobrement constater l’évolution des esprits dans une composante désormais inscrite durablement dans la vie politique française par la sanction du vote et des résultats au sortir des urnes en régime démocratique, le pouvoir joue la carte de l’anathème dangereux et d’une ambiguïté contreproductive dans sa tentative de retournement de l’opinion à des fins électorales qu’il risque de finir par payer au prix fort tôt ou tard, affichant un calcul qui n’est pas à la hauteur de la tempête traversée par la France. Ce qui importe plus le 12 novembre 2023, c’est le nombre de celles et ceux qui descendront dans la rue pour témoigner leur solidarité à la communauté juive de France, certainement pas le renvoi à des positions condamnées par la justice d’un homme politique qui s’est retiré de la scène politique depuis suffisamment longtemps pour ne pas servir d’alibi au vrai scandale qui consisterait à ne pas combattre l’antisémitisme sous sa forme d’aujourd’hui et la haine des valeurs universelles de recherche de paix, masquée derrière le refus d’éradiquer le terrorisme sous toutes les formes perverses qu’il peut revêtir à la lumière de ce qu’il s’est passé le 7 octobre 2023. Et dans cette boue nauséabonde remuée à travers toute cette agitation dérisoire, on pourrait aussi, pour accélérer la décomposition qui nous menace, convoquer les trop nombreux fantômes des zones d’ombre du passé – de René Bousquet à Maurice Papon pour ne singulariser que ceux-là…- et rouvrir des plaies douloureuses qui affectent les composantes de la vie politique française dans son entièreté, de la gauche à la droite de l’échiquier ? Sans pour autant les oublier, que va-t-on y gagner si ce n’est le rappel de nos divisions et errements tragiques des heures les plus sombres de notre histoire au moment précis où il faudrait anticiper et prévenir toutes les attaques à venir ?
Dans les crises les plus graves, ce passage des tempêtes où l’on reconnaît la vraie valeur des capitaines, le Général de Gaulle était toujours à son plus haut niveau. Le “cher et vieux pays” mériterait qu’il en soit de même en ce qui concerne les détenteurs actuels du pouvoir et que la France réussisse à s’extraire des querelles de caniveau dans lesquelles elle perd de son âme et se défait chaque jour un peu plus…
Le 12 novembre 2023, en marchant pour lutter contre l’antisémitisme qui n’a pas sa place en France, il est vital et il en va aussi de notre dignité collective que chacun, en son âme et conscience, garde à l’esprit les 40 compatriotes fauchés par une mort sans justification possible à la suite du déclenchement du “déluge d’Al Aqsa” et l’exigence du retour inconditionnel de tous les otages détenus par le Hamas, prix non négociable aujourd’hui par Tsahal d’un cessez-le-feu humanitaire dans la bande de Gaza…
Éric Cerf-Mayer