L’inflation est désormais source de polémiques entre les spécialistes du chiffre. L’économiste ne voit pas le même phénomène que l’expert-comptable ou que le commissaire aux comptes que la dégradation financière de ses clients conduit à déclencher son droit d’alerte. L’inflation mérite donc réflexion autant que compassion vis-à-vis des victimes qu’elle charrie tel un torrent de montagne.
Le 3 Janvier 2023, dans ses colonnes, la situation d’alors avait conduit à rédiger ce paragraphe.
L’inflation mal appréhendée
” À rebours d’une approche intuitive, l’inflation n’est pas encore totalement intégrée dans l’indice des prix ( +6,2% sur un an ) car les producteurs n’ont pas – selon les secteurs – répercutés des hausses fort substantielles ( supérieures à 20% ) qu’ils subissent.
Autrement dit, les sources Insee sont fiables mais ne peuvent prétendre faire apparaître, au temps t 0, la pleine ampleur de l’inflation qui saute, comme la puce du chien, d’un secteur à l’autre. “
L’Insee et le syndrome du sirop d’érable
Depuis, le dernier chiffre communiqué par la statistique publique est 5,9%.
Autrement dit un reflux, doux comme du sirop d’érable là où les organismes et associations de consommateurs concluent unanimement à un approfondissement de l’inflation.
Respecter l’institution Insee et ses collaborateurs ne dispense pas d’un regard interrogatif voire d’un doute aussi rugueux que la matière d’une pierre-ponce.
Quid du prix d’un paquet de pâtes ? d’une cartouche d’encre toner ? d’un litre de diesel ? L’année 2023 sera une année de vérité pour l’Insee qui devra ajuster ses séries et ses paniers de référence.
Le poison de la notion d’inflation sous-jacente
Bien des communications de l’Exécutif mettent en avant la notion d’inflation sous-jacente : voir Banque de France (https://publications.banque-france.fr/un-nouvel-indicateur-possible-pour-mesurer-linflation-sous-jacente-en-zone-euro)
En clair, cette mesure vise à prendre en considération la tendance à long terme de l’inflation et à se départir de sa dimension conjoncturelle.
Certains trouveront élégante cette distinction, je n’y vois qu’un poison déconnecté du réel.
Le prix de l’andouillette chère à Édouard Herriot se paye au comptoir, pas découpée des variations saisonnières. Idem le prix de l’énergie, fluctuant comme chacun sait, ne peut être dissocié du montant nominal explicite de l’inflation.
En France, il y a des ministres – et non des moindres – pour proclamer que notre inflation est la plus basse de l’Union européenne mais ils oublient de préciser que 5% d’inflation ont été occultés par les boucliers et autre chèque énergie qui ont, par ailleurs, engagé plusieurs dizaines de milliards accentuant ainsi, encore davantage, la dégradation de nos Finances publiques.
Entre le chiffre de l’Insee et la réalité ( énergies incluses ) il y a un rapport de près de 1 à 2. Le reste est littérature et saine polémique face à un tour de passe-passe.
Le pic de l’inflation se situera à la mi-2023
Dominique Schelcher, dans une récente interview sur LCP ( ” Politiques à table ” ) a exposé posément au nom de l’enseigne Système U que les revendications des industriels étaient presque toutes ” à deux chiffres ” et que l’inflation allait faire un bond en Mars 2023 par-delà les efforts des distributeurs.
Sur France 2 et autres médias, Michel-Édouard Leclerc a parlé d’une hausse ” fulgurante ” et même d’un ” tsunami ” à compter du printemps.
Nous voilà prévenus par deux grands professionnels qui ne se gargarisent pas avec la notion d’inflation sous-jacente.
L’un et l’autre estiment, en l’état actuel de leurs connaissances, que le pic de l’inflation ( promis par plusieurs économistes en dernier trimestre 2022 ) ne sera atteint qu’à l’été 2023.
Il n’est pas absurde de valider cette affirmation sous la réserve majeure d’une relance massive des hostilités en Ukraine qui ne manquerait pas d’exercer une pression haussière sur les prix de l’énergie.
La Shrinkflation ou l’inflation masquée
Les campagnes publicitaires insistantes des distributeurs où la notion de panier à prix bloqué ne visent que quelques têtes de gondole à l’opposé du reste où se niche parfois la pratique de l’inflation masquée : même prix pour le produit mais contenu diminué.
L’inflation frappe inégalement les classes sociales et autres
Si un ménage a pour revenus mensuels la somme de 10.000 Euros, sa sensibilité n’est pas la même, en termes d’évolution des prix, que si les revenus du couple sont de 2.500 Euros. Pardon pour ce rappel qui devrait inspirer l’action publique.
La pression sur les loyers, sur l’énergie, sur le panier alimentaire est d’autant plus forte si le consommateur se situe en-deçà du revenu médian proche de 1800 Euros.
L’inflation est un Opinel qui tranche le fond du porte-monnaie des Français soumis au déclassement social analysé notamment par Camille Peugny.
L’énergie est un incinérateur de marges pour les artisans et singulièrement pour les boulangers. Ces professions qui participent de surcroît à l’harmonie des territoires risquent de subir une hausse vertigineuse de leurs taux de défaillances d’entreprises. À l’aune des profits des énergéticiens et de cette négociation européenne qui ne cesse de palabrer au lieu d’agir comme le demande, faits à l’appui, l’ancien président de GDF : Loïk Le Flock-Prigent.
L’inflation d’origine monétaire
Enfin, il est avéré que l’injection de sommes spectaculaires ( ” quantitative easing ” ) a fini par déboucher sur un niveau excessif de liquidités en circulation. ( 11.000 Mds ).
Sinon comment expliquer le retournement de la FED puis désormais de la BCE.
Le ” Whatever it takes ” du président Draghi est comme le ” Quoi qu’il en coûte ” du président Macron, il faut y recourir avec parcimonie et surtout savoir trouver le consensus technique permettant d’en sortir. Idem pour l’arrivée à échéance des PGE ( prêts garantis par l’État ) qui lamine la trésorerie des PME voire de certaines ETI.
Comme il est insolite ce silence de bien des économistes sur ce trio de points cruciaux.
Jean-Yves Archer
Economiste et membre de la Société d’Economie Politique