L’annonce de l’envoi aux Français d’un manuel de « kit de survie », à l’instar d’initiatives de même nature en Suède et en Finlande il y a quelques mois, illustre le désir maladroit du gouvernement de resouder une opinion publique contre une menace existentielle de guerre débordant potentiellement du périmètre russo-ukrainien des combats et au passage de regagner des points dans une cote de popularité en berne. Qui est réellement dupe dans une situation où tout se délite inexorablement sous pression d’une accélération des plus inquiétantes et ce pratiquement dans tous les domaines ?
Dans le bras de fer opposant Alger à Paris, on vient d’apprendre les réquisitions du parquet algérien à l’encontre de Boualem Sansal, préconisant de lui infliger une peine inique de 10 ans de prison, pour « crime » de liberté d’opinion, autant dire, si elle était retenue et appliquée à cet immense écrivain au soir de sa vie alors qu’il est atteint d’un cancer, ni plus ni moins une condamnation à mort ! C’est une situation éminemment dramatique et intolérable qui touche un compatriote, et cela deviendra une tâche sur l’honneur de la France si nos autorités ne parviennent pas à obtenir sa libération du Président Tebboune dans les meilleurs délais. Au delà de l’invraisemblable anomalie du traitement de la question des OQTF pour les Algériens en situation irrégulière sur le territoire français et de l’impératif de réviser de fond en comble tous les accords régissant les relations entre deux pays qui ne devraient plus être redevables de quoi que ce soit l’un vis à vis de l’autre 63 ans après avoir choisi des destins séparés au terme d’une guerre d’indépendance suffisamment douloureuse pour qu’on laisse à l’histoire seule le soin de la juger, la cacophonie qui caractérise le traitement au plus haut niveau étatique d’un faux dilemne – le respect d’obligations mutuellement consenties ou pas pour de mauvaises raisons – n’a que trop duré. La peur de la réaction des Français d’origine algérienne équivaudrait de facto, si c’est l’argument mis en avant pour justifier l’inaction actuelle, à cautionner les thèses de l’impossible intégration de toute communauté exogène et en tout état de cause elle signerait en soi un terrible aveu d’impuissance à assurer le maintien de l’ordre dans la société francaise de la part de ceux qui sont en charge des domaines régaliens. Sur cette « question algérienne », on pourrait retrouver un écho de l’effondrement de la 4e République, tant le gouvernement Bayrou se trouve sur le point d’imploser parce qu’au fond plus personne n’est dupe de sa cohésion ni ne croit à sa longévité au vu de sa paralysie grandissante. Sa composante de droite « classique » est en train de compromettre sa crédibilité et de brûler ses vaisseaux dans la perspective de 2027 si elle n’arrive plus à faire valoir ses convictions comme on a pu l’observer encore récemment sur la question du voile dans le sport, face au déni de la menace bien réelle de l’entrisme islamiste dans la société française…
Combien de temps restera-t-on dupe de la fiction de gouvernance à laquelle l’absence de majorité réelle a condamné le pays ? Combien de conclaves pour repêcher une réforme Borne des retraites ratée et incapable à terme de résorber un déficit qui contribue à une dette publique abyssale (on le savait pertinemment à sa promulgation…), de conventions citoyennes toutes plus vaines les unes que les autres, et Dieu sait quels autres expédients pour esquiver les réalités faudra-t-il encore subir avant de pouvoir tourner la page de l’échec récurrent de la macronie sur deux quinquennats à trouver une voie de salut et de redressement dans ce pays qui s’enfonce ?
Une partie de la classe politique, principalement à gauche et dans le magma du « En même temps », gaspille le peu de crédit qui lui reste et se ridiculise hors Europe dans une dénonciation obsessionnelle de tout ce qui se passe de l’autre côté de l’Atlantique depuis l’élection de Donald Trump, sans s’occuper de l’état déplorable dans lequel sa propre impéritie a précipité la France ni s’atteler aux innombrables défis à relever pour nous sortir de l’ornière actuelle. Démocratie « illibérale », tyrannie, comparaison avec Hitler, rien n’est trop caricatural pour les Cicérons et les tribuns du déclin français qui réclament le retour en France de la statue de la Liberté, en égrenant une doxa wokiste éventée dans les médias tristement convenus comme détenteurs et défenseurs de la vérité, une pensée unique dont plus personne n’est dupe. Rien sur les problèmes au quotidien du commun des Francais, rien d’autre qu’une diversion en continu sur la moindre déclaration ou décision d’un Président américain qui lui déroule son programme et met visiblement tout en œuvre pour atteindre ses objectifs sans se soucier plus que de raison de critiques stériles et aux effets probablement limités sur ses électeurs, en provenance du vieux Continent…
Malheureusement, ces fantassins de la défaite avant la bataille ferment délibérément les yeux sur la montée, entre autres menaces mortifères, de l’antisémitisme, la violence au quotidien sous forme de couteaux et de tous les excès, dérives d’une polarisation qui finiront par déboucher sur une forme de quasi guerre civile si collectivement on ne se ressaisit pas et si on reste aveugle devant des drames et coups de force loin d’être anodins comme celui advenu à Crépol ou l’occupation indue par de jeunes migrants pendant des mois de la Gaîté lyrique au cœur de Paris.
Mais qui reste encore dupe de leurs coupables complaisance et déni devant les ferments de décomposition qui nous minent sans relâche ?
La marche organisée par le bloc d’un « peuple de gauche » qui n’a d’uni que les apparences, prévue le 22 mars contre le racisme et l' »extrême droite », précédée par le scandale d’affiches haineuses plaçant des cibles sur des personnalités politiques et médiatiques dont on souhaite l’éradication (jusqu’à quelle extrémité ?) en riposte à l' »offensive réactionnaire internationale » constituera un test redoutable pour le pouvoir actuel. Elle est terriblement symptomatique du degré de division et de haine atteint aujourd’hui dans notre « cher et vieux pays ». Elle est aussi le fruit de l’échec patent d’une illusion néfaste de dépassement du clivage traditionnel entre des conceptions de l’avenir de la France désormais de moins en moins conciliables, portée au pouvoir en 2017 et reconduite en 2022 en grande partie grâce à l’instrumentalisation de la guerre en Ukraine.