Les oppositions parlementaires et quelques députés de la majorité ont critiqué la présentation du budget pour 2022 en le présentant comme un budget à « trous », un « brouillon ». Le haut conseil des finances publiques (HCFP) que la loi charge d’émettre un avis sur celui-ci, écrit qu’il « n’est pas en mesure de se prononcer sur la plausibilité de la prévision de déficit public », parlant d’ « information lacunaire ». De quoi s’agit-il ?
Plusieurs mesures significatives annoncées par des ministres ne se trouvent pas dans le projet de budget et devraient être intégrées par amendements gouvernementaux lors de la discussion au Parlement. On citera le plan d’investissement de 30 Md€ ou encore le revenu d’engagement estimé à 2 Md€. Ainsi, la réalité du déficit mais aussi de l’impact attendu en matière macroéconomique de ces mesures ne sont pas intégrés à la prévision, au budget que l’on demande d’examiner. Par ailleurs, le HCFP a relevé une sous-estimation de la masse salariale et des recettes afférentes…
La dernière fois que le HCFP avait émis un avis aussi dur était pour le budget 2017, année d’élection présidentielle également… D’ailleurs, la Cour des Comptes estimera ex post que le budget 2017 était « insincère », le mot fatidique était lâché suscitant des commentaires de Tartuffe. Mais ne nous y trompons pas, avant la création du HCFP en 2012, à chaque nouvelle majorité présidentielle, un comité d’audit venait donner la vérité des prix : ce fut par exemple le cas en 1997 et 2002 par deux hauts fonctionnaires, Philippe Nasse et Jacques Bonnet, dont le jugement fut sévère et impartial sur la réalité du budget de l’Etat. Il est avéré que depuis la création du HCFP, les prévisions macroéconomiques des budgets ont été sincérisées, autrement dit sont devenues proches du consensus forecasts, mais cela n’empêche pas de se tromper, car commele dit le Gouverneur de la Banque de France : « prévoir est facile, c’est prévoir juste qui est une gageure ».
La sincérité semble juridiquement définie, ses conséquences moins.
Le principe constitutionnel de la sincérité budgétaire implique l’exhaustivité, la cohérence et l’exactitude des informations, formalisé dans l’article 32 de la loi organique sur les lois de finances : « la sincérité des lois de finances s’apprécie compte tenu des informations disponibles et des prévisions qui peuvent raisonnablement en découler ».
Admettons que le Conseil Constitutionnel juge insincère le budget, il doit être censuré – au moins pour partie – et un nouveau doit être présenté, ce qui serait bien le moins. Mais le risque absurde dans ce monde judiciarisé, est de traduire des ministres devant la Cour de justice de la République pour ce grief d’insincérité, or ce n’est vraiment pas l’objectif, ni l’esprit de la Constitution.
La sincérité politique devrait être un préalable démocratique.
Si on croit à la démocratie représentative, le débat parlementaire doit se fonder sur des éléments solides. Or, le budget 2022 paraît fragile à double titre : il y manque des mesures discrétionnaires dont l’impact, au surplus, sur le revenu des ménages ou l’investissement public et privé sont importants. Ne pas les mettre dans le budget est insincèrecar délibéré et significatif. Mais il s’agit plus d’une attitude politique marquant à la fois l’indécision gouvernementale et un certain mépris des parlementaires – parfois victimes consentantes par soumission ou par souhait d’opposition !
Et voilà la limite de la mission du HCFP qui n’a pas à exprimer d’opinion politique mais un avis que le Gouvernement l’empêche de rendre ! On pourrait alors parler de la sincérité limitée… mais ce serait faire porter le débat non sur le fond mais sur la sémantique, quoiqu’un avis s’écrit avec des mots choisis, pesés : c’est aussi la limite de l’indépendance du HCFP qui ne veut pas dire car il n’est pas sûr de pouvoir l’écrire… ou l’inverse !
En conclusion, le budget 2022 est sincère lato sensu, insincère stricto sensu.
Jérôme Bascher