Jean-Yves Archer, économiste et membre de la Société d’Economie Politique, revient pour la Revue Politique et Parlementaire sur les conséquences économiques de l’épidémie de coronavirus.
Les séquelles de la grande crise de 2008 sont encore présentes à travers plus d’un indicateur, à commencer par le niveau des endettements publics en Europe ou au Japon voire par notre taux de chômage national.
Or, tel un cygne noir, le coronavirus fait son apparition planétaire et induit un cortège d’incertitudes. Taux effectif de létalité ? Populations concernées ? Durée de la pandémie ? Tous ces facteurs d’interrogation ont sérieusement affecté les indices boursiers qui ont dévissé de près de 15 % dans le monde. A Paris, la CAC a chuté de -12,11 % entre le 31 décembre 2019 (5978,06) et le 28 février 2020 (5299,26). Sur la même période le Dow Jones s’est inscrit en repli de -12,36 %.
Dans la mesure où les places boursières avaient connu une euphorie haussière depuis des mois, on pourrait être tenté de sous-estimer le repli précité. Mais ce serait une double erreur. D’une part, la spirale négative n’est pas terminée et de puissants mouvements de vente vont se mettre en œuvre. On retrouve là ce que l’on nomme le mimétisme des marchés que Patrick Artus (Natixis) a analysé depuis des années. Puis, il serait absurde de nier qu’il y a transmission de l’économie financière à l’économie dite réelle. En clair, quand les marchés dévissent dans de telles proportions, il y a un choc pour la croissance mondiale qui était déjà altérée par l’unilatéralisme des États-Unis et ses répercussions sur la dynamique du commerce international.
Tant le FMI, l’OCDE et mezza voce la BCE ont explicitement envisagé un tassement de la croissance du PIB en Europe qui est particulièrement maillée aux chaînes de valeurs transnationales.
Nul ne doit oublier que la sino-dépendance manufacturière de l’Europe est d’abord le fruit de notre volonté !
Nous avions, en bon disciples de David Ricardo, évaluer les avantages comparatifs et tirer la conclusion qu’il fallait produire loin mais à bas coûts. Les charges financières et environnementales de cette option maximaliste nous apparaissent soudain comme un boomerang et bien des secteurs sont dans la crainte de césures d’approvisionnement qui ne manqueraient pas de porter atteinte à nos capacités ultimes de production.
Ainsi, ce satané virus est une plaie pour l’humanité et les futures victimes et concomitamment un vrai revers pour nos capacités d’assemblage. Il y a donc un choc d’offre incontestable que l’on peut estimer, pour la France, dans une fourchette entre -0,1 % à -0,2 % de PIB. Ce chiffre paraîtra excessif à d’aucuns mais il doit être mis en perspective. La France a enregistré un recul de son PIB global de -0,1 % lors du troisième trimestre 2019. A l’intérieur de ce repli, la consommation des ménages avait subi une contraction de -0,3 % pour le seul mois de décembre. Or, le chiffre de janvier rapporte un repli de -1,1 %.
Autant dire que notre pays connaît un choc de la demande qui va, de toute évidence, s’agréger au choc d’offre précité.
Pour reprendre la métaphore usuelle, ce sont deux boosters de la fusée croissance qui vacillent sans hésitation analytique possible.
Reste alors le sujet des investissements. Il serait prématuré de tirer des conclusions de données parcellaires mais les exemples du secteur du luxe, du tourisme et du secteur automobile enseignent que les investissements jugés non-prioritaires sont soumis à report sine die. Chaque filière voit ses champions réduire la voilure au détriment des sous-traitants souvent plus fragiles.
Choc d’offre manifeste, tassement de la demande, propension à investir en repli sont trois coups durs pour notre croissance.
Le Gouvernement avait prévu +0,3 % d’essor du PIB pour le T1 de 2020. La Banque de France a annoncé qu’elle situait son hypothèse de travail en repli. Quant à l’Insee, elle affiche un chiffre de +0,2 %.
C’est alors qu’il faut garder comme du lait sur le feu les considérations domestiques qui obèrent peu ou prou la croissance. Qui pourrait oublier les mouvement sociaux de janvier et de février qui ont nuit à l’efficacité de notre appareil productif au prorata de l’impasse que propose l’Exécutif au pays ? Je considère qu’ils expliquent, pour une part, le repli du PIB au dernier trimestre et – sauf erreur de parallaxe – il ne me semble pas que la date du 29 février 2020 (recours à l’article 49-3) va apaiser ce foyer d’externalités négatives.
Si le mois de mars est le mois du stop & go manufacturier, de la diffusion significative du coronavirus et d’une relance de la contestation sociale, alors ne soyons pas surpris si les chiffres du premier trimestre sont médiocres au point d’inscrire un nouveau repli du PIB dans le marbre de notre histoire collective. En ce cas, la France répondrait factuellement à la définition statistique de la situation de récession.
Jean-Yves Archer
Economiste
Membre de la Société d’Economie Politique