« Plébiscité lors du premier tour du scrutin en Bretagne (32,79 %) » a écrit Le Monde, sur son site en introduction à un article consacré au résultat obtenu par le Président sortant dans cette région ; plébiscité, par 33 % des votants, soit à peine 26 % des inscrits ? Quelle signification doit-on donner au mot dans ce cas-là ? Décidément, ce quotidien jadis réputé pour le sérieux et la rigueur de ses analyses a, lui aussi, glissé sur la pente de la recherche du sensationnel au détriment de la réalité. N’est-ce pas l’une des raisons qui ont éloigné tant de citoyens des urnes ou du choix d’un candidat parmi les douze proposés à leurs suffrages ?
Quel titre aurait-on dû donner au constat brut tiré des résultats de ce premier tour quand on observe, qu’au total, 13 529 371 citoyens se sont abstenus ou ont voté blanc ou nul, alors que les deux candidats qualifiés pour le second tour n’ont recueilli que 9 784 985 et 8 135 456 voix ? Rapporté au total des électeurs – lui même inférieur de 5 à 7 points à celui des citoyens français -, le total des suffrages qui n’ont pas été attribués à un quelconque individu dépasse largement tous les autres…Dans ces conditions, comment s’étonner que des étudiants manifestent leur désarroi en refusant de se prononcer pour l’un ou l’autre des deux sélectionnés ? Tout juste pourra-t-on noter au passage que certains de leurs propos ne sont pas sans rappeler ceux du printemps de 1968, du temps où lycéens et étudiants clamaient : « Élections, piège à c… ! » ; mais seuls les anciens de « Mai 68 » encore en état de voter, se souviennent de cela et regimbent quand on prétend qu’ils ont choisi l’extrême droite, le 10 avril 2022.
Ressorti du magasin des accessoires, comme il était prévisible et comme ce fut le cas en 2002 et 2017, le fumeux « front républicain » serait levé pour s’opposer à l’atteinte aux « valeurs » républicaines qui résulteraient de l’élection de telle candidate.
À cette négation des vrais résultats du premier tour évoqués précédemment, il faut ajouter deux constatations.
D’abord, la majorité présidentielle sortante a établi un triste record dans le mépris des pouvoirs du Parlement, en autorisant la publication de 347 ordonnances mais en n’en ratifiant que 71… soit 20,5 %.1Lors des deux mandats précédents, on avait enregistré des résultats fort différents puisque, de 2007 à 2012, sur 152 ordonnances publiées, 79,6 % avaient été correctement ratifiées et, de 2012 à 2017, pour 271 ordonnances, 61,3 % l’avaient été aussi. Alors que nos textes constitutionnels fondamentaux proclament que « La loi est l’expression de la volonté générale » (DDH art. 6) et que « Le Parlement vote la loi » (Constitution art. 24), car « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice (…) » (C. art. 3), la pratique du Président sortant et de « sa » majorité a donc été toute autre.
Ensuite, selon le préambule de cette même Constitution, «Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946, ainsi qu’aux droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement de 2004. » Dès lors, si un parti prône ouvertement une politique contraire à ces principes, il ne faut pas hésiter à lui interdire l’accès au débat public et aux élections et si tel est le cas, pourquoi ne l’a-t-on pas fait depuis vingt ans à l’encontre du parti d’extrême droite représenté au second tour de l’élection cette année encore ? A contrario, ce serait donc que ce mouvement reste dans les limites des principes républicains et pourquoi donc faudrait-il lui opposer ces derniers pour l’empêcher d’accéder au pouvoir ? Ou bien, pire encore, tout cela ne résulterait-il pas simplement d’un vicieux raisonnement qui consisterait à s’en servir comme repoussoir, afin de garantir une victoire finale autrement bien hypothétique ?
En tout état de cause, l’une et l’autre des ces deux constatations fondamentales suffiraient, à elles seules, à expliquer l’attitude de si nombreux citoyens lassés des dérives de notre vie politique nationale.
Pourtant, l’état de déliquescence politique dans lequel le pays se trouve plongé dorénavant laisse poindre un soupçon d’espoir de renouveau.
La preuve est apportée par les résultats électoraux, que l’élection d’un Président au suffrage universel direct ne suffit plus à mobiliser au moins un tiers des citoyens. Un autre fait patent éclate au grand jour, à savoir que la décevante campagne électorale n’a pratiquement pas porté sur des thèmes relevant de la compétence du Président de notre République. Le même quotidien « du soir » cité en introduction, avait recensé 1 100 propositions présentées par les douze candidats, lesquelles ne portaient pratiquement que sur des sujets relevant de la compétence de la Loi, donc du Parlement. Puisqu’il faut en passer par là, rappelons quelles sont les règles constitutionnelles en la matière : « Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation. Il dispose de l’administration et de la force armée. Il est responsable devant le Parlement dans les conditions et suivant les procédures prévues aux articles 49 et 50. » (art. 20), et « Le Parlement vote la loi. Il contrôle l’action du Gouvernement. Il évalue les politiques publiques. » (art. 24). La pratique de deux « cohabitations » par le passé, a suffisamment montré comment fonctionnent nos institutions dans ce cadre-là. Seulement, la présidentialisation à outrance qui s’est développée depuis les derniers quinquennats a, peu à peu, vidé de sa substance ce subtil équilibre entre pouvoir exécutif et pouvoir législatif, au détriment du second.
Et bientôt va s’ouvrir une autre campagne, celle justement, en vue de désigner les 577 députés, seuls habilités à représenter le peuple français. Si les principales familles de pensée (sic) politique voulaient bien – très vite, maintenant – s’entendre sur la base de programmes précis adaptés au monde dans lequel nous vivons et non pas en fonction de l’ampleur de l’égo de telle ou telle personne, alors le débat public ouvrirait des perspectives prometteuses du bel avenir que notre République mérite encore. Il en est temps et nul ne doute que devant les protestations de respect, voire d’amour, de la démocratie émises par les deux candidats au second tour de la présidentielle, il n’existe aucun risque que le choix du futur Premier ministre par le vainqueur respectera la volonté du peuple exprimée en juin prochain…
Hugues Clepkens
- https://www.senat.fr/controle/le_suivi_des_ordonnances_au_senat.html. ↩