Deux élections européennes et nationales ont bouleversé un paysage politique figé depuis 2017. Trois blocs équivalents s’affrontent désormais à l’Assemblée Nationale, marquée par une extrême gauche et une extrême droite qui n’ont jamais été aussi puissantes et une coalition de modérés et de républicains sous la houlette de Michel Barnier. Rudes batailles en perspective avec comme horizon une éventuelle dissolution dans moins d’un an et une présidentielle en 2027.
Une droite républicaine forte d’un Premier Ministre mais faible d’un groupe parlementaire très réduit et de l’absence de leader présidentiable.
Des écologistes et des socialistes sous emprise Mélenchoniste n’osant pas une rupture morale et politique avec le leader du Nouveau Front Populaire, complètent ce tableau d’une classe politique où l’intérêt partisan des partis est supérieur à l’intérêt général de la Nation.
Le PS, dominant sous François Mitterrand, s’est fait dépouiller de ses électeurs sous « François Hollande en abandonnant les classes moyennes et populaires au profit des » minorités », en abandonnant les valeurs républicaines au profit du sociétal. Choix perdants qui ont nourri l’extrême gauche et la droite identitaire.
Quant aux écologistes, en ces temps de suprématie du nucléaire, l’éolien et le photovoltaïque ne suffisent plus à leur crédibilité, largement plombée par le discours » hors sol » d’une Sandrine Rousseau ou le discours d’une écologie punitive de Marine Tondelier.
Notre vie politique se distingue par » la pauvreté programmatique et charismatique » des leaders de partis et la médiocrité et l’inculture de nombreux parlementaires, notamment dans le camp de LFI.
Pas de désir, pas d’élan, pas de vision, une similitude de propositions marquées par la distribution d’argent à différentes catégories sociales pour éteindre les colères ou éviter les grèves. Où sont les projets de société, les valeurs, l’humain…où sont le rêve et l’espoir ?!
La dernière campagne électorale nous en a dit beaucoup de l’état de la France, des français, de leurs peurs, de leurs angoisses, de leurs désirs, souvent contradictoires. La guerre en Ukraine n’a fait qu’amplifier ce phénomène d’abandon et de déclassement généralisés.
Certes, nous vivons dans un monde de plus en plus complexe, une démocratie de l’immédiateté, assiégée par le wokisme et les populismes au niveau national, par l’impérialisme culturel américain et les impérialismes militaires de la Russie et de la Chine au plan international.
Un individualisme forcené, accentué par l’addiction aux nouvelles technologies, a dissous le lien social, amputé les solidarités et nourri les incivilités.
L’effondrement civique et moral d’une partie de nos concitoyens égarés par les réseaux sociaux, les complotistes et les populistes, ces fossoyeurs de notre République ne font qu’amplifier la défiance des français à l’égard des politiques.
L’affrontement entre un socialisme en déclin et un libéralisme arrogant nous conduisait déjà, depuis les années 2000, à une guerre civile oratoire.
Ne faut-il pas craindre que l’on passe prochainement de l’oral à la pratique ?
Un socialisme qui n’est plus synonyme de fin des inégalités et de défense des plus défavorisés et un libéralisme qui, s’il est toujours synonyme de liberté, est devenu le symbole de la destruction de la valeur travail et de la disparition de l’ascenseur social, parlent de moins en moins au peuple et de ce fait ne sont plus des référents idéologiques d’avenir.
Face à ce vide intellectuel et programmatique, n’est-il pas temps de réactualiser une doctrine qui puisse revivifier la réflexion et l’action politique ?
Pourquoi pas le solidarisme ?
Théorisé par Léon Bourgeois, homme fort de la IIIème République où il y occupa divers postes au cours desquels, il conduisit de nombreuses réformes : création du Baccalauréat, lois sur les dispensaires d’hygiène sociale, lois sur le repos hebdomadaire, sur les assurances du travail, sur le salaire des femmes mariées, sur les associations, les coopératives et le mutualisme, mis en œuvre de l’impôt sur le revenu et les retraites ouvrières.
En 1920, il crée, avec l’américain Wilson, la Société des Nations (SDN), l’ancêtre de l’ONU, dont il préside le Conseil. Pacifiste, promoteur du droit et de l’arbitrage comme instruments de régulation des relations internationales, il reçoit le Prix Nobel de la Paix.
Mais, au-delà de l’action politique et ministérielle, sa grande œuvre ne fut-elle pas de fonder le solidarisme à travers un livre « solidarité » paru en 1896. Il y proposait une troisième voie entre le collectivisme socialiste et l’individualisme libéral ; c’est la solidarité, seule à même de résoudre les problèmes sociaux et de créer des mécanismes d’organisation de la société. Pour lui, « l’individu isolé » n’existe pas car il y a interdépendance de chacun avec la collectivité. Suivant cette doctrine, chaque personne hérite à sa naissance d’un patrimoine social, et ne peut s’épanouir que grâce aux ressources collectives, intellectuelles ou matérielles que la société met à sa disposition. En échange, l’individu a un « devoir social », une « dette social » à l’égard de la collectivité.
Le solidarisme devient la doctrine du parti radical créé en 1901 et va irriguer la politique sociale de la IIIème et de la IVème République.
En quoi, ce solidarisme répond-il aux temps présents ? Il est étonnant de constater que le Radicalisme n’a pas fait un meilleur usage de la doctrine de Léon Bourgeois et que l’homme qui disait que »la politique c’est de penser aux autres » soit resté si méconnu…Une nouvelle génération de radicaux s’emploie à « réenchanter » cette doctrine qui peut-être le socle d’une Social-démocratie revisitée…
Plus que jamais, les idéologies en panne, les partis fracturés, notre démocratie fatiguée et notre politique sociale obsolète nécessitent une réalité doctrinale modernisée. Le solidarisme répond aux défis de notre temps, notamment celui de replacer enfin l’homme au cœur de tout.
N’est-il pas temps d’inventer un nouveau modèle économique ? Le solidarisme unit quand le socialisme associe et le libéralisme individualise ; les français ne veulent plus ni d’une idéologie, le socialisme, qui égalise et collectivise, ni d’une autre, le libéralisme qui égoïse et divise.
La Solidarité des générations, des classes sociales, des territoires, voilà le socle d’une « République éclairée».
Notre société est marquée par la dilution du lien social. Depuis 50 ans, on a primé l’individualisme sur le collectif, la politique spectacle sur la culture citoyenne, l’égoïsme sur la solidarité, le citoyen-consommateur sur le lien social.
Si l’on veut sauver la démocratie, il faut conforter les classes moyennes. Constatons que la précarité, l’insécurité, la consommation narcissique ont remplacé la dignité par le travail, la solidarité et le lien social comme l’écrivait Éric Boucher dans « Échec à la barbarie ». Engager le reclassement de la classe moyenne nécessite un nouveau modèle du capitalisme, un « capitalisme à visage humain » contre le « fast capitalisme américain » qui a sacrifié, en trente ans, la valeur travail au profit de l’actionnaire.
Recréer le lien social est l’urgence car la solidarité combat les inégalités, conforte les libertés, cimente l’unité nationale et, naturellement renforce ce lien social sans lequel aucune société ne peut ni survivre, ni prospérer.
Le Solidarisme c’est le » vivre ensemble » « tous avec tous » quand la mondialisation c’est « tous contre tous.
Pierre Mendes-France n’écrivait-il pas qu’à « problèmes nouveaux, réponses radicales ».
Michel SCARBONCHI