Dans un petit village breton, entre deux coups de vent et sous l’influence d’un radoucissement inhabituel, les commentaires vont bon train le jour du marché hebdomadaire. Sans surprise, ils reflètent la résilience et la lassitude du pays profond face aux rebondissements d’une campagne électorale qui ne renvoie plus à un réel débat sur une recomposition autour des idées et non des partis, ce qui devrait constituer l’essence de cette joute capitale, l’élection à la présidence de la République (un quasi sacre si on se réfère à la longue histoire du royaume hexagonal) mais qui s’apparente à la reprise d’un mauvais spectacle et à une surenchère de communication de moins en moins contrôlée et filtrée. Les dérapages fréquents de plus en plus nauséabonds revêtant une connotation identitaire ou sexiste entre candidats déclarés, le recyclage permanent d’un personnel politique usé, vestige en grande partie du quinquennat précédent, qui s’autocongratule à l’envi sur le bilan plus que discutable de la séquence finissante, les annonces quotidiennes de ralliements, départs, trahisons, reniements de transfuges qui ne défendent rien de plus que leur survie à défaut de convictions profondes, achèvent de détourner les Français de cette campagne dégradée par l’état de décomposition généralisé de pans entiers de la société et l’effondrement des formations de partis classiques suite au tour de passe-passe de 2017. Les déclarations teintées d’une morgue de caste hors sol et d’un mépris souverain qu’ on ne prend même plus la peine de voiler à l’encontre d’opposants aux mesures gouvernementales notamment à l’occasion du départ du convoi de la liberté (qui ont valu au pays l’image de véhicules blindés sur les Champs-Elysées pour conjurer le souvenir brûlant du désespoir et de la colère des Gilets jaunes…) – ou encore les propos bêtes et offensants visant récemment un pays voisin et ami, la Suisse en l’occurrence, à propos de la crise ukrainienne – (marque de fabrique du régime ou absence de prudence élémentaire dans un contexte volatile ?) contribuent également à la dégradation du débat public qui pourrait finir par trouver un exutoire bien moins encadré que des élections si on n’y prend pas plus garde…
Pour l’heure, le tumulte des jours a pour effet de faire que la dérision l’emporte sur la gravité du sujet tant ce débat s’éloigne des réelles préoccupations animant le quotidien des « sans dents » et de ceux qui ne sont rien ou pas grand chose aux yeux de la caste en exercice censée administrer et « éclairer » la cohorte échappée ou non des ronds-points qui résiste et lutte patiemment contre le délitement et ce déclin enduré jour après jour depuis bien trop longtemps désormais.
Et pourtant, les thèmes sont clairement identifiés et partagés : pouvoir d’achat qui s’effrite au fil de la réapparition de l’inflation et des hausses du carburant, en particulier quand le litre de gazole atteint 1,70 €, insécurité qui ronge non plus uniquement les métropoles et leurs franges mais qui s’étend comme une lèpre en territoire rural dans une proportion grandissante avec l’apparition de phénomènes jusque là marginaux comme la consommation et le trafic liés à la drogue, immigration perçue comme une menace pour des modes de vie bousculés et confrontés à l’irruption d’autres visions de la société incompatibles avec une aspiration à la stabilité dans un monde hors de contrôle voire de portée, pour ne retenir que ceux qui reviennent le plus souvent dans les conversations après l’évocation de l’évolution de la pandémie… Dans les allées du petit marché breton exposées à la bruine, paradoxalement pour le moment, rares sont ceux qui ont abandonné le port de ces masques qu’ils ont eu tant de mal à obtenir au moment où ils en avaient le plus besoin, en dépit des annonces claironnantes des autorités sur l’amélioration de la situation sanitaire, car la plupart ont perdu toute confiance dans la parole publique et préfèrent rester prudents sans présager d’un avenir où l’apparition d’un énième variant reste toujours une possibilité… Une chose en revanche est certaine qui revient dans les conversations, c’est l’aspiration générale à l’abandon rapide du pass vaccinal dont l’utilité est de moins en moins évidente au vu de la contamination en traînée de poudre à laquelle très peu n’ont pas été directement ou indirectement exposés, pourtant vaccinés dans leur grande majorité. Mais nul n’est dupe du calendrier annoncé ni de l’opportune manoeuvre électorale qui consisterait à lever cette contrainte de plus en plus impopulaire quelques jours seulement avant la convocation aux urnes…
Ainsi en va-t-il pour un échantillon de cette France qui, au retour de ce petit marché breton, va apprendre que sa présence militaire au Mali, ce pays évoquant pour certains d’entre eux les falaises de Bandiagara au cœur du pays dogon ou la mythique cité de Tombouctou, va prendre fin, après 9 années de lutte contre l’hydre terroriste au Sahel… Un désengagement de ce vaste territoire sur lequel 53 soldats compatriotes ont fait le sacrifice de leurs vies, connu naguère sous le nom de Soudan français, qui sonne le glas d’une époque révolue dans la relation particulière entretenue par notre pays avec cette partie du continent africain dans un partage allant bien au delà du divorce actuel, de longues années après la décolonisation… Ce départ n’est pas sans grande tristesse et laissera un souvenir amer – redéploiement à venir réussi ou pas dans les pays voisins et parties au dispositif actuel- dans le cœur des anciens, ceux qui sont voués à s’effacer en silence devant le monde nouveau qu’on promet aux plus jeunes d’entre nous à la mémoire suffisamment malléable pour qu’on puisse leur vendre un échec pour un succès, communication en période électorale oblige… Dans le tumulte des jours, la junte malienne a fait le choix de faire appel à la milice Wagner et l’ombre de la Russie achève de nous ramener à nos limites. Sans doute est-ce là ce que ressentent aussi les Français devant la partie de poker diplomatique qui se joue entre les dirigeants de deux Empires, maîtres des horloges, l’un à portée de Kiev, l’autre oublieux de la lointaine Kaboul agitant la menace de l’imminence d’une guerre aux portes de l’Europe, sans que l’on n’y comprenne grand chose dans notre marasme de pré élection présidentielle…
Churchill a écrit que la Russie était un rébus enveloppé de mystère au sein d’une énigme mais peut-être y avait-il une clef… Et cette clef, c’était l’intérêt national russe.
Une formule originale et autrement plus pertinente que bien des commentaires actuels pour tenter de comprendre ce qu’ il se trame à l’heure où la Douma (la chambre basse russe) appelle le Président Poutine à reconnaître l’indépendance des républiques de Lougansk et Donetsk dans le lointain Donbass en sécession. Pour l’heure, celui que Washington désigne à l’opprobre de l’Union européenne a retiré une partie de ses troupes des abords de l’Ukraine dans sa partie occidentale et il rebat ses cartes comme le joueur avisé qu’il a pu se révéler pour parvenir à ses objectifs de sécurité nationale russe en Crimée et les sanctions exercées en rétorsion par l’Union européenne n’y ont rien changé…
Que pèseront nos péripéties électorales dérisoires et terriblement triviales dans le contexte international périlleux des semaines à venir, du poids de notre dette qui s’élève à 120 % de notre PIB et de tant d’autres dangers qui guettent le « cher et vieux pays » ?
Qui pourrait le dire avec certitude et quelle incarnation la France choisira-t-elle pour faire entendre sa voix dans le tumulte des jours qui enfle, crise après crise ? On nous prédit le croisement des courbes, des surprises et coups de théâtre pour raviver l’intérêt des Français dans une campagne décevante et tenter de leur faire retrouver le chemin des isoloirs pour renouer avec leur destin contrarié par la pandémie et surtout le reprendre en main… Qui sait ? Il n’est peut-être pas encore trop tard en cherchant d’abord le Royaume et la justice ?…