L’épisode illustre ainsi pour la énième fois le durcissement au quotidien d’un régime qui refuse toute parole critique. La pensée libre a manifestement de moins en moins sa place dans un pays bouillonnant de jeunesse et perclus par des réflexes où l’autocratie domine.
Pour autant, il serait illusoire de penser que les hiérarques algériens se sentent exclusivement faibles et que la radicalisation de leur exercice du pouvoir est d’abord le syndrome d’un quelconque sentiment d’affaiblissement. Certes, ils craignent leur peuple, dont ils savent le mécontentement, la colère, l’irritabilité. Certes, la situation économique du pays est un ferment d’exaspération dont ils n’ignorent en rien qu’il est susceptible à tout moment d’enflammer leur société. Pour autant ils sont suffisamment sûrs d’eux pour entrainer toujours plus leur régime sur les voies du durcissement et de la répression. Ils comptent tout d’abord sur le soutien de l’internationale qui hors de l’Occident, de la Russie à la Chine en passant par la Turquie, leur sert de point d’appui, notamment dans leurs relations avec l’ancienne puissance coloniale française. Ils parient enfin sur la pusillanimité de cette dernière, ou tout au moins sur le complexe de ses dirigeants dont ils connaissent tout de la psyché et des divisions de la vie politique, dès lors qu’il s’agit de se positionner par rapport à Alger. Alors qu’une once de dialogue semblait timidement s’amorcer depuis la visite du ministre français des Affaires étrangères auprès du Président Tebboune, l’arrestation sur demande du Parquet national anti-terroriste d’un agent consulaire algérien impliqué dans la tentative d’enlèvement d’un opposant sur le territoire national est venu enrayer l’hypothèse du rapprochement. La réaction algéroise ne s’est pas faite attendre, l’indépendance du Parquet français étant perçu comme un acte délibérément dirigé politiquement et non comme une procédure judiciaire activée en dehors de toute intervention de l’exécutif. En expulsant par rétorsion 12 de nos agents, tous issus du ministère de l’Intérieur, Alger pariait encore une fois sur la mollesse de Paris qui néanmoins, dos au mur, n’a eu d’autre choix que d’appliquer la réciprocité en expulsant à son tour 12 agents algériens.
Depuis, la propagande du régime d’Alger ne cesse de voir dans cette remontée de tensions la main de ceux qui à Paris prônent une politique de fermeté, le parti des « nostalgiques de l’Algérie française » pour reprendre l’antienne usée et caricaturale des dignitaires algériens. Le récit n’a d’autre objectif que de ré-assigner Paris à son complexe post-colonial en vu de relégitimer son pouvoir en réactivant le ressentiment anti-français et de continuer par ailleurs d’autre part à disposer d’une politique de visas avantageuse, variable indispensable pour ne pas désespérer un peuple jeune qui rêve d’horizons meilleurs afin d’échapper à des conditions de vie tous les jours un peu plus difficiles.
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à Sorbonne-Université