La question de la maîtrise des dépenses publiques fait rentrer le Premier ministre dans une zone de grande incertitude politique. L’objectif annoncé par François Bayrou de trouver 40 milliards d’économie en vue du budget 2026 est sans doute nécessaire ; la question consiste à savoir si en l’état il est politiquement réalisable au regard des équilibres parlementaires dont est tributaire l’actuel gouvernement.
De la suppression de l’abattement fiscal de 10 % pour les retraités, à la contribution différentielle sur les hauts revenus, de la réforme de l’assurance chômage à la réduction des dépenses des Collectivités, toutes les pistes envisagées comportent un risque politique, soit de potentielle dislocation de la coalition gouvernementale, soit d’agrégation des oppositions dans la perspective d’une motion de censure. L’équation budgétaire est d’autant plus insoluble que l’équation politique l’est encore plus.
La Ve République avait une vertu : elle permettait de gouverner, bien ou mal, sur la durée. C’était son esprit et sa force que de gager la gouvernabilité sur la stabilité et le cas échéant si le Prince était avisé de conduire avec vista et profit les affaires de la Nation. Au fur et à mesure des décennies, les Princes étant moins avisés, la manoeuvrabilité du char de l’Etat s’avéra plus aléatoire, l’efficacité des politiques publiques s’en ressentit, les institutions en furent progressivement affectées au point de sortir de leur lit. Nous y sommes depuis la dissolution du printemps 2024, confrontés structurellement à une situation qui ne permet pas de répondre avec énergie aux immenses problèmes de la société française : du régalien au budgétaire, le pays ne peut, faute de majorité et à moins de deux ans maintenant de l’élection présidentielle, espérer se redresser.
La démarche louable du Premier ministre n’y peut rien. Pas plus que son prédécesseur qui avait essuyé les plâtres de la configuration improbable issue des législatives, François Bayrou ne dispose des marges pour mener une action de réforme qu’il appelle de ses voeux mais dont il pressent sans aucun doute qu’elle est hypothéquée par l’Assemblée impossible avec laquelle il lui faut composer. Dès lors le pays est en proie à la malédiction des dilemmes, c’est-à-dire au choix exclusif de mauvaises solutions : immobilisme d’un côté, instabilité de l’autre, à savoir une ligne de crêtes qui ne peut qu’alimenter en ressentiments la longue crise démocratique qui n’en finit pas de s’étirer. Le noeud gordien de ce malaise est à l’Elysée. Loin de l’âme de la Ve République le Président escompte durer ainsi cahin-caha jusqu’à épuisement du mandat et mutadis mutandis de la France et des Français. Est-ce bien raisonnable ?
Arnaud Benedetti Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire Professeur associé à Sorbonne-Université