C’est reparti… comme en 2017 ! La finale de la présidentielle rééditera l’affiche d’il y a cinq ans. Emmanuel Macron en rêvait, Marine le Pen aussi dans une moindre mesure.
Le résultat du premier tour aura d’abord certifié la colère : les scores cumulés de Marine le Pen, de Jean-Luc Mélenchon et d’Eric Zemmour, additionnés, vont au-delà des 50 %. Avec plus de 26 % d’abstentions, le scrutin du 10 avril confirme défiance et désaffiliation. Emmanuel Macron peut toujours exciper 28 %, il n’en demeure pas moins que l’apparence confortable du chiffre ne saurait dissimuler ce qui s’apparente à une trouble impression d’impasse.
Cette campagne évaporée a signifié trois éléments : la consolidation du vote Macron chez les seniors comme si « les vieux Romains » avaient trouvé dans les jeunes Marcheurs la procuration idéale à la « boomercratie » dont ils constituent le vecteur idéologique et électoral ; le renforcement du vote des actifs en faveur de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon qui témoigne que la France du travail est profondément marquée par un double sentiment d’inquiétude et de déclassement ; la coupure entre la France des grandes métropoles, de leurs banlieues et de la France rurale, péri-urbaine, la première s’adonnant au macronisme ou au mélenchonisme, la seconde se vouant au marinisme. Ces traits dominants se redistribueront pour une part et se répéteront d’autre part au second tour, validant pour l’essentiel néanmoins la matrice de Jérôme Sainte-Marie voyant dans l’affrontement « bloc élitaire « / » bloc populaire » la nouvelle clef de voute de la vie politique nationale.
Sous les oripeaux d’un « front républicain » aussi factice qu’aléatoire, le conglomérat du sortant entend désormais réactiver la mythologie de la démocratie en danger, après avoir passé cinq années à ériger son adversaire en meilleure opposante à son pouvoir. Le stratagème, nonobstant son obsolescence avancée, pourrait à nouveau opérer, quand bien même serait-il usé jusqu’à la corde, tant pour une large partie de l’opinion désormais la République n’est pas plus menacée par une alternance que cette alternance n’en viendrait à résoudre comme par magie les problèmes de la France et des Français.
Au rabais ce « front républicain » est un objet de marketing de dernière heure. Il joue d’abord sur l’émotion et les affects, bien plus qu’il ne développe une argumentation de raison. De « front républicain », celui-ci pourrait être dans tous les cas le front de trop : non seulement parce qu’il est un affront à l’intelligence des citoyens dont il mésestime « la compétence morale » pour reprendre l’expression de Raymond Boudon, mais surtout parce que vainqueur il précipitera la Nation dans un monde inconnu de frustrations ou parce que vaincu il n’aura par son existence même que contribuer à une victoire qui aura pris ses racines dans le sentiment que perdurerait en fin de compte un système dont la vocation consisterait principalement à se survivre. La République n’a pas besoin d’un barrage qui à proportion qu’il se reproduit a tout du « barrage contre le Pacifique » ; elle exige un débat, une confrontation à armes égales, et non pas l’énième dramaturgie du mauvais théâtre des manichéismes les plus éculés.
Il reste à souhaiter que cette ultime semaine de campagne rétablisse les conditions d’une compétition sereine et dépassionnée… mais sans doute est-ce peut-être un vœu pieux.
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne