Dimanche les Français éliront le Chef de l’Etat. Rarement élection aura été aussi escamotée sous la Ve République. Le sortant en porte une évidente responsabilité, tant il aura tactiquement contribué à cette occultation. Mais sur le fond, cet évitement n’est que le syndrome d’un mal qui vient de plus loin et dont rien ne garantit à ce stade que le scrutin de dimanche puisse apporter la solution.

Voici des décennies maintenant que nous vivons une triple crise du pouvoir, de la représentation et de la cohésion sociale.
Le pouvoir n’est plus à Rome, en quelque sorte : il est ailleurs, ainsi à tout le moins le ressentent nombre de nos compatriotes. Il est à Bruxelles, Washington, voire dans la Silicon Valley mais il est à coup sûr ailleurs et bien souvent invisible. Les populismes de droite comme de gauche honnis des élites se nourrissent de cette déperdition de l’Etat national dont Emmanuel Macron a fait, à demi-mot, l’objectif latent de sa feuille de route au travers du concept de souveraineté européenne.
La représentation politique ne représente plus. Abstentions, non-inscriptions sur les listes électorales, votes populistes signifient une crise qui telle une faille ne cesse de s’élargir au sein même des institutions. La désaffection électorale, la colère civique sont les deux mamelles de la désaffiliation républicaine. Que la candidate par deux fois qualifiée au second tour d’une élection présidentielle ne dispose que de huit députés à l’Assemblée nationale constitue un évident déni de démocratie. La proportionnelle souvent promise, jamais mise en œuvre, ne résoudra pas tout de cette crise de la représentation mais à tout le moins assurera t-elle une représentativité plus équitable.
L’affectio societatis républicain est le dernier étage de ce triple malaise. Et non le moindre. La société se fragmente à proportion que le politique au travers de la République ne répond plus à l’une de ses missions essentielles : la capacité à produire de la mobilité sociale qui est la seule donnée objective permettant de susciter dans chaque citoyen une projection positive de l’avenir et, mutadis mutandis, de solidifier l’appartenance au corps social en tant que corps politique. Toutes les études les plus récentes attestent désormais qu’une majorité de Français estime que les générations à venir risquent d’être exposées à des conditions de vie plus difficiles que les leurs. Ce constat est le dépôt de bilan d’une République qui a failli.
De ces trois crises, magistrales autant que lancinantes, l’élection-matrice de notre régime n’aura même pas effleuré les contours. De ce point de vue le débat de l’entre-deux-tours aura illustré ce non-dit et concentré, sous l’impact du sortant, la technocratisation mortifère de notre vie démocratique. Cette élection présidentielle a tout d’un essoufflement démocratique. La suite est un grand saut dans l’inconnu.
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne