Le paradoxe français s’installe. Tout juste légitimé à nouveau par les urnes, Emmanuel Macron serait déjà contesté. Une majorité de Français, selon plusieurs sondages, souhaiterait imposer au Président reconduit une cohabitation. D’aucuns s’étonneront avec raison de ce qu’il leur apparaîtra comme l’expression d’une saisissante inconstance. Certes rien n’interdit à la logique institutionnelle d’envoyer dans quelques semaines au Palais Bourbon une majorité législative orthogonale de celle issue du scrutin présidentiel. La cohérence politique en première intention voudrait néanmoins qu’en si peu de temps les deux majorités coïncident. À voir néanmoins, tant le fossé entre le champ de la représentation politique et la société n’a cessé de s’élargir.
Pour autant deux facteurs à ce stade jouent a minima en faveur d’Emmanuel Macron : le premier, essentiel, tient à la disjonction entre le fond de l’air qui demeure certes majoritairement anti-macroniste et la réalité partisane qui ne dégage aucune offre susceptible d’opérer une alternative efficiente. Ceci était vrai durant la présidentielle où le sortant a su parfaitement instrumentaliser l’insuffisance de l’attractivité des oppositions et cela pourrait l’être encore une fois demain dans la perspective du renouvellement des députés. Le désir de cohabitation est une chose, sa possible traduction politique en constitue une autre. Le second paramètre est plus lié de son coté à l’enjeu de la participation. En effet, le passé récent nous enseigne qu’entre compétition présidentielle et législatives un effet d’éviction participatif ne manque jamais de se produire et qu’il est plus accentué en règle générale au sein des oppositions défaites que parmi les formations en soutien du Président élu ou réélu.
Il n’en demeure pas moins que la démocratie a ses raisons que la raison du moment peut ignorer. Les deux mois séparant la double consultation sont une vallée incertaine parce qu’ils laissent entre autres au temps le soin de corroder le peu d’élan dont pourrait bénéficier le vainqueur du 24 avril. Le choix du futur Premier ministre de ce point de vue sera décisif : il dira tout à la fois la nature du combat qu’entend mener le Président à l’occasion des législatives, mais aussi l’orientation du mandat qu’il compte conférer à son quinquennat commençant. Selon qu’il privilégie le tribord ou le bâbord, Emmanuel Macron indiquera le sillon du navire présidentiel. Ce sera aussi l’une des clefs de la tournure de l’épreuve électorale qui commence.
Impossible sur sa droite, la cohabitation pourrait hypothétiquement l’être sur sa gauche, dans une forme de remake inattendu de 1997. C’est tout le pari du leader de LFI, Jean-Luc Mélenchon, qui voit dans ce troisième tour l’occasion du grand soir électoral dont il ne cesse de rêver. A moins que l’échéance à venir ne débouche sur une autre configuration, une majorité à la cote mal taillée, fruit de combinaisons d’appareils, un retour sous une forme amodiée du vieil esprit IVe République qui, par la grâce du feu « nouveau monde », prendrait sa revanche sur le gaullisme. Une souveraineté affaiblie pour des institutions molles en quelque sorte…
Arnaud Benedetti Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne