A peine constitué, déjà en proie aux polémiques. Le gouvernement dirigé par Elisabeth Borne ne disposera pas d‘un début d’état de grâce, pas plus au demeurant que le Président de la république reconduit.
C’est ainsi mais cela confirme que la fonction régénératrice propre au cycle électoral n’opère plus, comme si la société ne trouvait plus dans l’outil démocratique un moyen de se revivifier. Le désenchantement est là, produit d’une longue sédimentation de déceptions et de renoncements. Emmanuel Macron a beau vouloir nous promettre un mandat nouveau, un peuple nouveau aussi, rien n’y fait. Tout se passe comme si déjà une atmosphère de fin de règne imprégnait l’aube du quinquennat qui commence.
Emmanuel Macron n’en porte pas la responsabilité exclusive, il aura même essayé à force de communication énergisante de restaurer une certaine idée du volontarisme politique, mais là aussi rien n’y fait. C’est ainsi. Par-delà les éléments de contexte immédiat, comme l’incapacité des oppositions à ériger une alternative suffisamment attractive à la majorité sortante, l’inaptitude toute aussi criante du pouvoir actuel à «se réinventer »comme il prétend y parvenir à intervalles réguliers, les germes de cette situation sont à rechercher dans des phénomènes plus profonds et lourds : une globalisation qui percute cet imaginaire français dont la Revue politique et parlementaire explore les alluvions dans son tout dernier numéro, une technocratisation accrue de la conduite des affaires de la cité, une individualisation croissante des comportements indissociable du consumérisme dominant, etc…
Le moment est à l’anomie, d’autant plus que les perspectives économiques demeurent préoccupantes et que la guerre sur le sol européen rebat les cartes du monde post-guerre froide, dont les élites européennes avaient cru imprudemment qu’il s’installait durablement dans la stabilité, tout au moins sur le vieux continent.
Les élections législatives dans les jours prochains interviennent dans cette phase de dépression sans qu’elles ne parviennent à susciter un regain d’attention civique, quand bien même la gauche, sous la férule de Monsieur Mélenchon, s’efforcerait de réactiver le mythe d’une « illusion lyrique » qui a oublié néanmoins que la question sociale ne peut se traiter si elle n’est pas indexée sur la question nationale – ce qui historiquement est au fondement de la matrice de ce bord politique et que paraît ignorer la NUPES dans la dynamique qu’elle tente de mettre en mouvement. Pour autant, ce sont trois paramètres qu’il faudra observer à l’issue du scrutin à venir : celui de la participation, dont on a pu voir voici cinq ans qu’elle avait atteint les eaux les plus basses pour une élection de ce type sous la Vème République, celui de la nature de la majorité qui s’exprimera à l’occasion de la consultation, celui enfin du rôle à venir de la future assemblée.
Un regain de mobilisation électorale, par rapport à 2017, pourrait témoigner à coup sûr que la présidentielle tout juste soldée n’a pas épuisé, loin s’en faut, la dispute démocratique, les attentes contradictoires qui ne cessent de se manifester dans l’opinion, le noeud gordien de la volonté générale qui se manifeste bien plus par défaut que par adhésion. Dans cette hypothèse, la représentation nationale retrouverait pour une part sa matrice créatrice. A rebours, un énième reflux confirmerait les processus de désaffiliation institutionnelle à l’œuvre depuis de nombreuses années.
A ce premier indicateur se greffe un second en forme de question : quelle majorité pour la future assemblée ? A ce stade, les projections sondagières dessinent une chambre à venir macroniste, pariant sans doute sur une logique politique propre aux caractéristiques du quinquennat qui postule une homothétie entre majorité présidentielle et majorité législative.
Reste à savoir si cette prime aux candidats estampillés par l’Élysée jouera ou non cette fois-ci en faveur d’un scénario qui pourrait néanmoins être corrigé par le sentiment d’inachevé, et même d’insatisfaction, à laquelle donne lieu la réélection d’Emmanuel Macron.
L’hypothèse d’une majorité relative, voire d’une absence claire de majorité n’est pas à exclure tant la parcellisation partisane ne cesse de s’accentuer d’une part, et tant le scrutin par circonscription est tributaire de facteurs locaux qui peuvent, cumulés, impacter le résultat national.
Last but not least, le contour de la majorité dira quelque chose de la relation du corps électoral aux institutions et à l’équilibre des pouvoirs. Absolue, cette majorité permettrait au Président de revendiquer, y compris nonobstant une forte abstention, une marge de manœuvre d’une amplitude telle qu’il pourrait prétendre être en possession d’un mandat clair et explicite. A l’évidence, cette lecture résulterait d’un effet d’optique mais au prisme du fonctionnement institutionnel, elle serait néanmoins paradoxalement légitime mais également porteuse d’incertitudes, car tout dans la sociologie fractionnée du pays dit le hiatus approfondi qui s’est installé entre le pays profond et sa classe dirigeante. Relative, cette majorité impliquerait pour l’exécutif de mettre en application sa promesse de changement de pratique du pouvoir, sauf à rentrer dans une zone turbulente d’ingouvernabilité. Quoi qu’il en soit, de ce précipité législatif dépendra la suite du quinquennat dont rien ne dit qu’il est écrit non seulement politiquement – ce dont personne ne doute – mais aussi institutionnellement, tant le climat est imprégné d’une lancinante atmosphère de pré-crise de régime…
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne