En compagnie du Chancelier allemand et du Président du Conseil italien, Emmanuel Macron s’est rendu en Ukraine. D’aucuns considèreront que c’est trop tard, d’autres que l’agenda n’est pas dénué d’intentions électorales à l’heure où la France vote pour renouveler son Assemblée nationale.

A vrai dire et au regard de ce qui se joue à l’Est, peu importe le timing. L’important est dans le contenu de cette visite. Le triumvirat a voulu manifester le soutien de l’UE à l’Ukraine et à son Président ; la symbolique du déplacement collectif a bien évidemment valeur de message.
Elle se double d’une réaffirmation des trois dirigeants de voir Kiev intégrer l’Union européenne.
Elle s’accompagne évidemment d’images qui veulent historiciser le moment mais seul le recul nous permettra à nous autres, à nos enfants et petits-enfants de mesurer la patine ou non historique de l’instant.
La forme capte l’œil de l’immédiat ; elle ne saurait pour autant évider le fond. La forme ce sont des promesses, des incantations diront certains, des poses devant les caméras aussi pour les médias et autres réseaux sociaux. Le fond est ailleurs, lui : après la sidération éprouvée au moment de l’offensive russe, puis l’admiration pour la résistance ukrainienne, voici venu le temps long de la durée d’une guerre dont nonobstant la lecture occidentale il faut convenir qu’elle nous a fait basculer dans un autre monde et dans une autre époque.
Poutine a installé son agenda, son tempo, son rapport de forces.
Force est de reconnaître que le fil que la diplomatie française continue de maintenir avec Moscou, au risque parfois de mécontenter Kiev, acte cette situation.
Les avancées russes dans le Donbass, malgré le soutien américain et européen, traduisent la détermination d’un Poutine qui a imposé l’idée de la durée mais également qui peut compter sur une indulgence évidente d’une grande partie de la scène internationale : la Chine bien sûr, l’Inde aussi, l’Afrique et de nombreux bastions sud-américains également. Que cela nous plaise ou non, tout se passe comme si la Russie incarnait la contestation de l’ordre occidental, plus précisément américain et que le prix du sang qu’elle faisait payer aux Ukrainiens ne suscitait pas partout cette même charge émotionnelle dont les Occidentaux avaient fait preuve, notamment au début de la guerre. Reste à savoir justement si avec le temps les opinions occidentales, elles-mêmes, resteront solidaires de leurs dirigeants ; les conséquences économiques et sociales d’une guerre rappellent entre autres que les sanctions infligées à Moscou ne sont pas sans impacts, loin s’en faut, pour le reste du monde, à commencer notamment pour les Européens.
La realpolitik désenchante, c’est un fait, mais elle pourrait s’imposer dans l’hypothèse d’une persistance du conflit aux opinions avant qu’elles ne se diffusent à leurs gouvernements.
Cette anticipation à n’en pas douter est intégrée dans les calculs du Kremlin. Non seulement l’homme occidental n’entend pas vraisemblablement mourir pour Kiev, mais il n’est pas forcément prêt à accepter les sacrifices collatéraux dont cette guerre est porteuse sur le plan de son quotidien. C’est dans tous les cas à cette possible configuration que les dirigeants de l’ouest doivent se préparer, dans un monde qui par ailleurs ne se réagence pas nécessairement selon leurs pré-requis.
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne