La guerre du pain aura-t-elle lieu ? Les factures énergétiques des boulangeries symbolisent le moment, par-delà les difficultés qu’elles génèrent pour les intéressés. La question n’est plus tant de savoir comment nous en sommes arrivés là, mais plutôt comment nous pourrions en sortir.
A ce stade le gouvernement, paniqué sans doute à l’idée d’assister à la formation d’un front commun des mécontentements, a fait le choix de communiquer en manifestant sa solidarité communicante à l’adresse des secteurs les plus exposés à cette envolée des prix de l’électricité. Le problème c’est que la réponse de l’exécutif reste pour le moins incertaine, voire en-deçà de ce que subissent commerçants et artisans, à commencer par ceux qui comme les boulangers sont tributaires au premier chef du coût de l’énergie pour parvenir à produire.
Le ministre de l’Economie est monté verbalement au créneau : « L’Etat est aux côtés de tous les boulangers de France, a martelé le patron de Bercy, et nous ne laisserons tomber personne ». Et pour preuve de sa détermination, Bruno Le Maire, renforcé pour la circonstance par la Première ministre, a annoncé la possibilité du report de paiement des cotisations ainsi que des impôts, tout en rassurant les entreprises sur la facilité qui leur était octroyée afin de résilier immédiatement et sans frais les contrats auprès de leurs fournisseurs d’électricité. Quelques heures plus tard, le Président de la République, en personne, a demandé à ces mêmes fournisseurs d’en finir avec la pratique des contrats excessifs. Pour autant on ne traite pas une maladie en s’en tenant aux seuls symptômes, si l’on ne regarde pas en amont ce qui a présidé à la survenue de la pathologie.
Encore une fois dans cette affaire comme dans d’autres les lanceurs d’alerte n’auront pas été entendus.
Ce sont deux facteurs qui ont contribué à notre défaillance énergétique et tous les deux sont indissociables d’une gestion politique désastreuse : la remise en cause de notre modèle nucléaire, mis à mal sur l’autel de la bien-pensance électoraliste et l’obstination idéologique au tout marché qui prévaut à Bruxelles, laquelle a contribué à pénaliser la souveraineté de la France au profit d’une Allemagne empêtrée dans des choix stratégiques aussi absurdes qu’électoraux, tout en favorisant la rapacité des traders de l’énergie que feint de découvrir désormais le chef de l’État en France.
C’est en quelque sorte la quadrature du fameux cercle de la raison, si cher aux partisans de la « pensée unique », qui est ici atteinte en plein cœur puisque ceux-là mêmes qui sont les initiateurs du techno-libéralisme qui domine dans les institutions européennes sont dès lors confrontés à la démonstration de la faillite de leur doxa.
Tout le problème désormais n’est pas tant dans le constat que dans le déni qui consiste à persister malgré la démonstration de l’impasse.
Alors qu’Espagnols et Portugais ont pris leurs distances avec un marché scélérat de l’énergie, la France continue à s’accrocher à un paradigme qui consume jour après jour de nombreux pans de notre économie. L’interrogation est de savoir jusqu’à quand… Car au moment où l’inflation érode le pouvoir d’achat des classes moyennes et populaires et où le gouvernement entend mener jusqu’à son terme une réforme des retraites qui exacerbe jusqu’aux plus modérés des syndicats réformistes, le risque politique n’est pas mince de voir s’agréger des secteurs sociaux qui jusqu’à présent ne convergeaient pas séquentiellement dans leurs mécontentements.
Des Gilets jaunes nostalgiques de l’automne 2018 aux professions indépendantes du commerce et de l’artisanat, des fonctionnaires en souffrance aux entrepreneurs en difficulté, des partisans de la ligne dure syndicale aux réformistes, de la France d’en bas à celle du milieu, la fenêtre d’opportunité du serpent de mer de la coagulation jusqu’à présent impossible n’a jamais été aussi entrouverte. L’exécutif parie sur l’apathie… et sur le pis-aller d’une comparaison internationale qui jouerait en faveur de la situation française. A voir…
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire