Peu à peu, les grandes figures tutélaires qui pouvaient encore témoigner des épreuves indicibles des deux grandes guerres planétaires du 20e siècle et de la gestation du monde d’après avec la césure symbolique de l’an 2000, mais aussi servir de repères dans une navigation tumultueuse, s’effacent de notre toile de fond collective et nous laissent orphelins d’une conception de l’existence et de valeurs héritées de leur expérience historique que l’on croyait pérennes, battues en brèche par des remises en question idéologiques et sociétales hasardeuses et par l’accélération de la dégradation de nos conditions de survie sur cette terre. A l’orée de l’an neuf, les raisons d’espérer que 2023 soit moins sombre que 2022 reposent plus dans la force de résilience des individus que dans la capacité des dirigeants actuels à maîtriser la somme des difficultés qui assaillent notre « cher et vieux pays » et l’ensemble du monde.
Sur le seuil splendide de la basilique Saint Pierre de Rome au cinquième jour de janvier 2023, l’image du simple et austère cercueil de bois du Pape émérite, qui avait choisi de renoncer à son règne pontifical en s’effaçant de son vivant sous le poids de ses souffrances physiques afin de prier au service de l’humanité pour la paix dans le monde et la gloire de Dieu, restera riche de symboles et porteur d’un message fort dans la tourmente actuelle : la foi transcende tous les artifices et demeure ancre de salut dans notre quête de vérité et d’éternité…
A l’occasion du Noël orthodoxe, l’ordre d’appliquer un cessez-le-feu les 6 et 7 janvier donné par le maître du Kremlin à ses troupes aura revêtu l’aspect d’un fugace signal de trêve, si brève soit-elle, en réponse à l’appel du Patriarche Kirill. Devait-il être rejeté et dénoncé en tant que manœuvre hypocrite aussi rapidement et brutalement qu’il l’a été par les autorités ukrainiennes et leurs alliés occidentaux et européens à ce stade du conflit ? Des deux côtés de la ligne de combat et des frontières qu’en auront réellement pensé les populations concernées victimes de cette guerre qu’on pourrait qualifier de fratricide au regard d’une histoire naguère partagée et d’un combat commun contre la barbarie nazie ? Nul ne saurait le dire dans le contexte actuel d’absence totale de recherche de négociations. Les mêmes qui n’ont pas anticipé le déclenchement de cette guerre, prévisible à partir de la non application des accords de Minsk, spéculent aujourd’hui sur la victoire de l’Ukraine par le biais de l’engrenage d’une fourniture accrue d’armes et un appui inconditionnel au régime de Kiev sans appréhender à sa juste mesure le dangereux point de non retour jusqu’auboutiste de la partie adverse sur ce qu’elle considère comme les garanties de sa sécurité dans une logique de glacis héritée de son passé impérial et soviétique, ni déterminer à quelle échéance et à quel prix pour les économies des membres de l’Union européenne la défaite russe pourrait advenir… Après plus de 315 jours de combats et de destructions, dans moins de deux mois, cette guerre d’attrition aura franchi le seuil d’une année sans perspective d’issue à court terme, avec un cortège d’horreurs qu’on n’avait plus connu en Europe, plus exactement à sa porte, depuis la dislocation de l’ex Yougoslavie.
Sous le poids de cette tragédie à la lisière est d’une Europe désemparée, la France en ce début d’année 2023 est en situation virtuelle de veillée d’armes.
La fracture d’avril 2022 est plus que jamais exacerbée, se reflétant dans une actualité où les motifs de se réjouir relèvent du déni assumé par une poignée d’inconscients au sein de l’appareil d’Etat ou de la cécité intellectuelle dans la partie des médias inféodés à la doxa dominante. Grève des médecins généralistes, boulangers ou restaurateurs étranglés par des factures extravagantes sur fond de crise de l’énergie et d’inflation anxiogènes, dialogue de façade avant le dévoilement du contenu d’une réforme des retraites d’ores et déjà rejetée par les organisations syndicales qui fera probablement l’objet d’un passage par le 49.3, appel à la résurgence du mouvement des Gilets jaunes, la liste des sujets d’appréhension n’en finit pas d’enfler au fil des premiers jours de l’année, à peine aura-t-on oublié les appels au travail et à l’union des vœux pieux et hors sol de l’exécutif : des impératifs sans nul doute louables, qui hélas ne se décrètent pas au cours d’une allocution de début d’année mais se construisent au prix d’efforts longs et d’une adhésion consentie par un pays mobilisé autour de réelles perspectives d’avenir…
A chacun sa place, à chacun sa colère dans cette atmosphère de veillée d’armes qui gagne le pays profond devant une absence d’anticipation et de prévision inscrite désormais dans la durée de deux mandatures, où la communication aura pris le pas sur l’action et la forme sur le fond, à grands renforts de chèques sur l’avenir et de creusement d’une dette qu’il faudra bien honorer un jour.
2023 débute donc sous des auspices plus que contrastés, porteurs d’incertitudes et d’interrogations sur nos réelles capacités de surmonter les difficultés accumulées au cours de l’année précédente, sans échéances électorales majeures dans les mois à venir pour relâcher la pression et les tensions palpables dans la chronique du mécontentement « ordinaire » lié au délitement de tout ce qui faisait jadis la cohésion d’une grande nation fière de ses racines et fondations, en dépit des soubresauts parfois violents de son histoire.
On retiendra également que le 2 janvier 2023, deux juges d’instruction auront prononcé un non lieu dans l’enquête sur le scandale sanitaire de l’usage du chlordécone aux Antilles, dans « l’impossibilité de caractériser une infraction pénale » après trop d’années d’indifférence générale… Il n »y a pas de prescription pour les victimes et cette décision résonnera comme une gifle à travers tout l’outre-mer français dans un contexte national déjà suffisamment préoccupant. Etrange ponctuation au terme des états généraux de la Justice dont on ne cessera pas de nous vanter les promesses de miracles et d’améliorations, comme dans bien d’autres effets d’annonce sur la baisse de l’insécurité ou la maîtrise de l’épineux dossier de l’immigration…
Il faudra une bonne dose de résilience au « cher et vieux pays » pour passer au travers de la crise majeure qui semble poindre si la situation ne s’améliore pas en 2023 sur tous les fronts ouverts dans les limites du Royaume hexagonal et au delà.
Pour l’heure, on ne bat pas encore la générale dans cette atmosphère de veillée d’armes qui prévaut ici et là, dans des températures anormalement douces pour un hiver de sobriété forcée et de coupures de courant annoncées prématurément et c’est tant mieux car il ne faut jamais présager de l’avenir ni renier l’espérance de temps meilleurs.