Le succès évident de la première journée de mobilisation contre le projet de réforme des retraites fait entrer le pays dans une nouvelle séquence. La thèse de la léthargie citoyenne propulsée par certains analystes a été infirmée, le doute sur la capacité mobilisatrice des syndicats a été contredit.
La journée du 19 janvier constitue depuis 2017, année d’accession d’Emmanuel Macron à l’Elysée, sans doute quantitativement le moment socialement le plus mobilisateur de l’ère macroniste. C’est une première que les chiffres du ministère de l’Intérieur confirment, en-deçà vraisemblablement de la réalité du mouvement comme c’est très généralement le cas à l’occasion de toute manifestation…
Toute la question est de savoir quelles sont les suites sociales et politiques qui peuvent se dessiner après ce premier temps de démonstration populaire, inattendu pour l’exécutif et bien des observateurs, trop enclins au conformisme de leur pensée mainstream.
Si la parole présidentielle est celle qui donne le tempo de la parole du pouvoir, les mots répétés mécaniquement par le Chef de l’Etat depuis l’Espagne ne sont pas de nature à éponger la grogne.
Préempter son élection d’avril comme un gage de soutien des Français à sa réforme des retraites est contre-productif doublement : tout d’abord parce que c’est factuellement faux et qu’ensuite cette facticité ne peut qu’exacerber, de par sa grossièreté argumentaire, et irriter les opinions publiques les plus déterminées à refuser le projet gouvernemental. L’élément de langage se transforme, quant à lui, en provocation lorsque l’élection législative est convoquée pour certifier la présumée acceptabilité alors que la XVIe législature est l’expression d’une souveraineté qui n’a pas voulu conférer à l’Elysée une pleine liberté d’agir.
Ce Président que les Français ont voulu placé sous contrôle en ne lui octroyant pas de majorité au Palais-Bourbon sur-interprète dans un sens qui l’arrange un résultat électoral qui ne lui donne pas le mandat qu’il imagine être le sien.
Pourtant il entend aller jusqu’au bout car la réforme à laquelle il s’accroche tient lieu de viatique pour nourrir son image de Président volontaire qui ne reculerait pas face à l’épreuve de la rue et pour éviter de la sorte que son quinquennat soit de facto encalminé et quasi-achevé.
Ce faisant, il prend un triple risque : le risque d’abord de fournir un carburant supplémentaire à des syndicats qui en optant pour une prochaine journée de mobilisation le 31 opère avec une habileté tactique redoutable permettant à leurs troupes de souffler, à l’opinion de rester solidaire de leur action collective et aux mobilisations futures d’amplifier la vitamine anti-macroniste qui traverse de nombreux pans de la société française ; le risque ensuite de créer, sur les ailes d’une amplification potentielle du mouvement, les conditions d’un blocage avec des organisations syndicales qui, en gérant avec sagesse la temporalité du moment qui s’ouvre, estiment non sans raison qu’elles en ont encore « sous le pied » pour filer une métaphore sportive ; le risque enfin de ne plus trouver, mobilisation maintenue et amplifiée d’un côté, soutien de l’opinion de l’autre, la martingale parlementaire indispensable à l’adoption d’un texte dont la symbolique est sur le fond bien plus explosive que le contenu. A l’épreuve des turbulences à venir, la communication présidentielle ne laisse pas présager à ce stade que l’Elysée ait pris réellement conscience du caractère fortement aléatoire d’une situation qu’il aura contribué à rendre instable par la sous-estimation du danger et la sur-estimation de sa vista…
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne