L’Assemblée nationale a adopté en première lecture à l’initiative du Groupe parlementaire de la Gauche démocrate et républicaine une proposition de loi abrogeant l’obligation vaccinale pour les personnels soignants. Contre son avis, les parlementaires ont mis en minorité le gouvernement qui penchait pour une suspension et non une abrogation.
Une coalition, certes d’opportunités, allant de la NUPES au RN aura pour la circonstance défait l’exécutif, tout juste quelques jours après la rentrée parlementaire, démontrant s’il le fallait, alors que ne cessent de se faire sentir les répliques « sismiques » du conflit sur les retraites, l’extrême fragilité d’une législature orpheline de facto d’une authentique majorité.
Mauvais perdant pour le moins , le Ministre de la santé aura crié au complotisme, argument désormais aussi éculé qu’indigent de tous ceux qui dés lors qu’ils sont contrariés démocratiquement en viennent ainsi à disqualifier leurs contradicteurs. En d’autres temps, Sartre pouvait écrire que « tout anticommuniste est un chien »; aujourd’hui, évidemment dans un autre registre et sans étincelles conceptuelles, tout partisan du pouvoir tend à assimiler nombre de ses opposants à des ennemis de la rationalité, des « lumières », de la « vérité »…
Mais là sans doute n’est pas l’essentiel même si cette prétention, coté de nos gouvernants et de leurs soutiens, à incarner en toute circonstance le camp de la « raison » ou de l’intérêt général frise une forme d’outrecuidance « intellectuelle » dont le caractère présomptueux le dispute à une forme de faiblesse argumentative.
Le problème par-delà le diktat narratif est ailleurs. Le vote de ce jeudi témoigne de l’impossible quinquennat dans lequel le pays est en train d’entrer alors que le mouvement de contestation contre l’allongement de l’âge légal de départ en retraite est loin d’être éteint.
Ce coup de semonce du Parlement pourrait être le premier d’une longue série, au moment où plus que jamais peut-être il apparaît que c’est une minorité « absolue » qui gouverne le pays, bien plus même qu’une majorité relative. Absolue parce qu’en lieu et place du principe majoritaire c’est bien la première des minorités, la plus organisée sociologiquement surtout, dans un champ de minorités agissantes et en concurrence qui gouverne en « absolutisant » une infime qu’aussi infirme prééminence arithmétique… Car si infirmité il y a dans cette législature, n’est-ce pas d’abord parce qu’elle ne saurait offrir de possibilité majoritaire au Président autrement que par d’hypothétiques combinaisons dont la durabilité apparaît d’ores et déjà fort compromise.
La réalité est cruelle à ceux qui se refusent de la voir mais elle est inaltérable.
La majorité est l’arlésienne de ce second quinquennat d’Emmanuel Macron ; tout le monde en parle, soit pour en vanter de manière incantatoire une fugace existence, soit pour en déplorer l’absence, mais personne ne la voit, si ce n’est que dans des jeux de miroirs déformants. Dans cet interstice improbable de la XVI ème des législatures de la V ème République, tout est possible, certes, mais la force renversante de l’ordre politique n’y a jamais été aussi opérationnelle. Le 8 juin prochain à l’occasion de la niche parlementaire du Groupe LIOT, le gouvernement de Madame Borne, confronté à une proposition de loi visant, là aussi, à une nouvelle abrogation, cette fois-ci celle des toutes nouvelles dispositions à peine promulguées quant à notre régime de retraites, pourrait en faire l’amère expérience. A gouverner en délégitimant le réel, le réel pourrait finir par délégitimer le gouvernement.
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne