C’est à un jeu pour le moins périlleux auquel s’adonne l’exécutif au Parlement, plus précisément à l’Assemblée nationale en voulant bloquer le débat autour de la proposition de loi du groupe LIOT.
Déjà critiqué pour sa gestion parlementaire de la réforme des retraites, le gouvernement va à l’évidence empêcher la discussion à venir autour de l’initiative des députés conduits par le centriste Bertrand Plancher. En activant vraisemblablement l’article 40 de la Constitution relatif à l’irrecevabilité financière, alors même que le bureau qu’elle préside s’était bien gardé de le faire au moment du dépôt du texte, la Présidente de l’Assemblée se dédit et se contredit en un laps de temps tel qu’il ne peut que renforcer le doute sur la constance de l’expression publique.
C’est là une donnée qui n’est malheureusement pas exclusivement imputable à Madame Braun-Pivet mais qui aujourd’hui s’inscrit de manière souvent très décomplexée dans le comportement des acteurs politiques.
Il s’agit de l’un de ces éléments qui participe à la corrosion du pacte républicain. Ces retournements instantanés ont toujours existé, certes, mais encore cherchaient-ils à s’argumenter – ce qui manifestement n’est plus le cas. Le changement de pied est comme lui-même contaminé par l’immédiateté de notre temps. Tout se passe comme si le « en même temps » présidentiel justifiait également tout ce qui par le passé eut été considéré comme une incohérence au mieux, un reniement au pire.
Pour autant, l’enjeu central de la période va bien au-delà de ces revirements browniens. La question qui se pose est bien celle de la nature de l’exercice du pouvoir par Emmanuel Macron. On aurait tort non seulement de nier la crise démocratique que nous traversons mais également de la relativiser. François Mitterrand avait, Président, coutume de dire « Les institutions étaient dangereuses avant moi. Elles le seront après moi ». Encore faut-il considérer que jusqu’à maintenant les institutions furent opérées par des dirigeants dont la conscience politique était profondément imprégnée par la fragilité démocratique de notre régime. Tout se passe comme si la fulgurance de l’accès d’Emmanuel Macron à l’Elysée avait affranchi le macronisme de cette conscience. De toutes les démocraties libérales, la démocratie française est sans conteste, comme le rappelait cette semaine dans Le Figaro Benjamin Morel, celle au sein de laquelle le Parlement est le plus contraint. Il n’en demeure pas moins que république sociale et usage du référendum amodiaient cette déficience parlementaire.
Emmanuel Macron en bousculant le dialogue social, en se gardant de tout recours à la procédure référendaire aggrave l’angle mort de l’hypertrophie présidentielle.
Cette asphyxie démocratique alors que de l’autre côté des Pyrénées le Premier ministre espagnol, après une défaite aux municipales et aux régionales, convoque de nouvelles élections, contraste avec le fonctionnement récurent de nombre de démocraties libérales, renforçant la perception progressivement justifiée d’une forme d’anomalie française…
Arnaud Benedetti Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne