Ne nous y trompons pas et allons à l’essentiel : la loi Avia, adoptée en deuxième lecture à l’Assemblée nationale ce mercredi est un texte qui met à mal les principes de la démocratie libérale. C’est un texte de régression et de recul de la liberté d’expression.
Sous couvert de lutter contre les propos haineux, le dispositif n’a d’autre objectif que de verrouiller l’espace d’expression sur Internet. Générant une censure a priori, hors de contrôle du juge par ailleurs, il délègue à des opérateurs privés, souvent étrangers au demeurant, la tâche d’appréciation et d’évaluation des contenus sans autre définition préalable que celle que ces mêmes opérateurs seraient ainsi habilités à déterminer en fonction bien plus d’une ambiance morale dominante que de critères objectifs.
L’initiative recèle en germes toutes les dérives propres à l’inquiétante montée d’une forme d’autoritarisme qui ne dit pas son nom, mais qui ne cesse depuis des mois de se profiler sous prétexte d’assainissement du débat public.
Loin d’assainir, on visse surtout. La loi contre les fake-news transférant au juge des référés l’appréciation et la définition de la « vérité » avait inauguré cette séance illibérale. La tentative avortée, voici quinze jours, d’une plateforme gouvernementale prétendant traquer les contenus douteux circulant sur le Covid-19 s’inscrivait dans le même esprit. Dans un contexte de limitation des libertés publiques, urgence sanitaire oblige, c’est une atmosphère de préconditionnement à un état post-libéral qui, chemin faisant, détourne implicitement de son plan de vol la trajectoire nominale du régime démocratique.
Progressivement la liberté s’installe, rognée tous les jours un peu plus, comme un état d’exception alors qu’elle doit être la règle.
À pas de loup, sous prétexte de « bons sentiments », chemine tranquillement une entreprise de domestication de l’homme émancipé, sans même forcément que ses instigateurs en soient conscients.
Ce climat orwellien se diffracte par petites touches pointillistes. Ainsi une fiche mise en ligne par le ministère de l’Education nationale le 4 mai entend sensibiliser les enseignants à la parole des enfants qui tiendraient des propos jugés « inappropriés » sur la situation sanitaire. Une convocation des parents par le personnel pédagogique pourrait s’ensuivre.
Au nom d’une « bienveillance » aussi sirupeuse qu’implicitement malveillante, se développe ainsi un faisceau d’atteintes désormais soutenues au libre-arbitre, préemptant les consciences, s’arrogeant le droit de nous dire comment penser et nous conduire.
La loi Avia intervient dans ce contexte, apportant une pierre supplémentaire à un édifice de surveillance qui s’immisce toujours plus dans l’espace public et privé. Elle rompt avec la tradition française de liberté d’expression qui stipule, loi républicaine sur la presse, qu’il n’existe pas de censure préalable et préventive tout en transférant aux plateformes, sous menaces de sanctions financières, le soin de déterminer ce qui sépare le licite de l’illicite, tâche réservée jusque là aux tribunaux.
Cette monstruosité juridique adoptée dans des conditions politiques, pour le moins discutables, d’une crise sanitaire loin d’être à son terme préjuge mal du « monde d’après ».
Ce sont là des « serpents qui sifflent sur nos têtes », pour reprendre le vers magistral de Racine. Reste à espérer la censure du Conseil constitutionnel, dernier rempart avant la promulgation d’une loi dangereuse et inadaptée, signal inquiétant de l’entrée du cheval de Troie illibéral à l’intérieur des cités libres… À défaut, nous entrerions progressivement dans une nouvelle « nuit cruelle ». Faisons en sorte que la guerre de Troie de nos libertés n’ait pas lieu.
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef