Pour autant rien ne permet à ce stade de dire si ce round de discussions sera en mesure de déboucher sur des pistes permettant de sortir de la profonde crise démocratique que traverse le pays. On peut raisonnablement et sans forcer le trait en douter. Tout se passe à vrai dire comme si cette « initiative majeure », pour reprendre la formulation avec laquelle le Chef de l’Etat entend désigner son entreprise, installait une forme d’attente oscillant entre indifférence des opinions et scepticisme avéré des oppositions. A tout le moins l’exécutif poursuit sa stratégie dont la finalité consiste à gagner du temps là où la société demeure socialement éruptive, l’Assemblée nationale fortement rétive, l’économie on ne peut plus contrastée, nonobstant les satisfécits que le pouvoir tente de s’accorder et les finances publiques grevées, entre autres, par les conséquences de la pandémie dont on a insuffisamment évalué jusqu’à maintenant la gestion aléatoire. A ce tableau incertain se surajoute une tectonique géopolitique qui, avec la guerre en Ukraine et ses répliques africaines, ne peut être nécessairement sans effet sur la situation nationale.
C’est dans ce contexte qu’Emmanuel Macron, comme à son habitude, mène cette guerre communicante, incessante et de mouvement dont il a fait au plus fort des difficultés son arme privilégiée.
Tenir : il lui faut tenir en multipliant les récits, quitte à les dupliquer, sans autre forme d’originalité qu’en renouvelant leurs définitions. Du Conseil national de la Refondation, réminiscence d’un autre CNR d’une toute autre facture celui-ci, aux « cents jours » décrétés au soir de la promulgation de la loi relative aux retraites, dénomination pour le moins étrange pour prétendre surmonter l’adversité, le Président, conscient des limites de son activisme communicant, n’a manifestement d’autres issues que de produire de ces vignettes médiatiques dont l’objectif politique consiste d’abord à s’économiser les solutions auxquelles il répugne car elles acteraient à l’évidence sa défaite. D’où cette « initiative » abusivement qualifiée d’ampleur, annoncée à grands renforts de publicités, et qui a tout des consultations d’un Président d’autres républiques à la recherche désespérée d’équation de compromis.
L’Elysée s’évertue de susciter l’illusion de la maitrise, alors qu’il demeure immobile, engoncé dans sa seule obsession résumée à se survivre, à perdurer, autant que les circonstances le lui permettront.
De ces dernières, l’habileté présidentielle se joue à coup sûr, mais elle n’est pas à leur hauteur.Sur tous les sujets, dette, immigration, sécurité, international, et bien d’autres encore, le compte à rebours a commencé : force est de constater que 12 heures d’échanges avec les formations politiques représentées au Parlement apparaitront insuffisantes pour recréer de la confiance et de la vision. Au mieux auront-elles pour un laps de temps fugace piégées ou inhibées des oppositions, nourries des analyses immédiates sans perspective et profondeur, renforcées le sentiment de l’impuissance du politique à l’heure où il est plus que jamais nécessaire. La rentrée ne fait que commencer, mais elle étire un paysage familièrement monotone mais tout autant anxiogène, un « désert des tartares », pour reprendre le titre du roman de Dino Buzzati, où ne peut qu’advenir le moment venu un retour cruel du réel, loin des opiacées politiciennes et communicantes.
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne