De médical et scientifique, le débat autour du Professeur Raoult est devenu politique. Il l’est devenu parce que la France est sans doute une terre où tout est politique, mais parce que surtout la vision d’une opinion publique sensible aux propos du chercheur marseillais a suscité chez certains une forme de haut-le-cœur de classe.
Si le Professeur, Grand Prix INSERM 2010, est aujourd’hui au cœur d’une controverse qui déborde de partout les frontières du seul champ académique c’est d’abord parce qu’il a transgressé les canons de la communication scientifique à un moment où celle-ci suivait son sillon routinier alors que la crise sanitaire montait au point d’enfermer la société dans le huis-clos de son intimité. Raoult a eu l’audace de proposer une offre de solution quand les élites politiques, scientifiques, sanitaires appelaient toute la cité à se refermer sur elle-même parce que leur doxa politique pour les uns, épistémologique pour les autres était malmenée par l’incertitude d’une situation qu’ils ne maîtrisaient pas. La force de Raoult est d’avoir porté un message de sang-froid, de volonté, de maîtrise dans un monde où les élites de tout bois étaient gagnées par la panique.
Alors que le débat scientifique fait rage, et que rien n’infirme pas plus qu’il ne confirme l’efficience de l’hydroxychloroquine, les opposants à ce traitement ont accéléré la politisation du débat en s’appuyant sur une étude du Lancet, épistémologiquement orthogonale du protocole préconisé par le professeur marseillais, pour enfermer ce dernier dans la figure d’un savant mi-fou, mi “populiste”. Par cette ultime imprécation, les détracteurs de Didier Raoult ont opté pour une com’ de stigmatisation, parfois sans précaution, du chercheur marseillais. De facto ils s’attaquent bien plus à son image, épouvantail pré-construit par des a priori socio-médiatiques, qu’au contenu de sa position médicale et scientifique dont on voudrait considérer de manière sans doute prématurée, “Lancet” oblige, qu’elle est désormais démentie.
La réalité est bien plus complexe. Tout d’abord parce que l’étude précitée est orthogonale, comme l’était l’essai Discovery, dès pré-requis proposés par Didier Raoult ; ensuite parce que le champ de la recherche est traversé aussi par son propre instinct de conservation qui n’est pas forcément toujours celui de la connaissance mais parfois celui du maintien de ses pouvoirs institutionnels ; enfin parce qu’il n’est pas exempt, principalement dans le domaine biomédical, d’une porosité avec des intérêts privés.
Quoiqu’il en soit, il y a un phénomène Raoult. Ce chercheur internationalement reconnu est devenu un signifiant de cette crise. Il en révèle le trait structurant : quand un pays doute, qu’il ne croit plus en sa classe dirigeante, il se cherche un sauveur, une providence ; quand des élites ne croit plus en leur peuple, elles se claquemurent, se font “injonctives”, et dénigrent le sentiment populaire en y voyant un risque pour la démocratie qu’elles confondent souvent avec la défense de leurs seules positions de pouvoir. L’épreuve sanitaire de ce point de vue n’est qu’un symptôme de plus de la coupure sociale qui gangrène “l’état des mœurs” démocratiques. Elle perpétue ce que la crise des “gilets jaunes” avait souligné : un fossé grandissant d’incommunication collective, moteur de toutes les désunions civiles qui depuis des années ne cessent de se sédimenter, approchant dangereusement du point de non-retour.
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef