Le Président communique, c’est un fait ; le Premier ministre communique aussi, c’est un fait ; les ministres communiqueront également, c’est encore un fait et il leur sera demandé d’aller sur le terrain, à la rencontre, de se faire voir et de le faire savoir. Tout plus que jamais dans la phase dans laquelle nous sommes entrés en ce début 2024 relève de la communication : ce remaniement risqué car inscrit dans un agenda qui pourrait se retourner contre l’exécutif est dopé à la sursaturation médiatique. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles le Président a « chassé », pour reprendre une formule de DRH, Madame Dati dont nous mesurerons dans peu de temps si le recrutement a un quelconque effet sur le côté droit et populaire de l’opinion. A voir, car à sortir de son couloir d’opposante « punchline » à Madame Hidalgo , la nouvelle ministre s’expose à tout ce que l’anti-macronisme suscite d’allergies à droite comme à gauche.
A y regarder de près cette course communicante a une fonction exclusive : capter, voire accaparer le récit médiatique, quand bien même elle se heurterait à une indifférence mi-dubitative, mi-colérique de la plus grande masse des Français.
Ainsi, nonobstant un intense teasing et une mobilisation des médias digne de l’ORTF des années 60 (pas moins de six chaînes de télévision ont relayé l’exercice présidentiel), les chiffres d’audience, un peu plus de 8 millions et demi d’auditeurs, ont de quoi décevoir sans doute l’Elysée. C’est vraisemblablement l’enseignement majeur à retenir d’une conférence de presse qui aura souligné la performativité très relative de la parole excessivement roborative du Chef de l’Etat. Ce creux, en soi, est significatif mais il n’obère pas pour autant, encore une fois, l’intentionnalité de cette communication tous azimuts qui consiste à opérer une manœuvre de contournement du réel afin de faire la démonstration que l’exécutif est en contrôle des événements, en action et qu’il n’a pas perdu la main, en traitement à la racine et en perspective des problématiques majeures de la société française. Cette visée ne peut cependant dissiper cette impression générale que les gouvernants qui depuis 2017 président aux destinées de la Nation découvrent une réalité que nos compatriotes ont largement de leur côté identifiée, tout simplement parce qu’ils la vivent : faillite d’entreprises, inflation, insécurité, déclassement des systèmes éducatifs et sanitaires, fractures sociales et fractures territoriales, crise civique et démocratique, perte de souveraineté, État bien plus intrusif que protecteur, on en finirait pas d’égrener la liste des maux que nos compatriotes ont largement relevés depuis des années sans que l’on ait besoin pour une énième fois de s’adonner devant eux à un nouveau « grand oral » dans la plus plate tradition énarchique.
Le jury suprême que demeure le peuple en démocratie pourrait bien finir par en être « indisposé » car parler aux médias, faut-il le rappeler, n’est pas forcément s’adresser au pays.
On ne dupe pas impunément ce dernier; la communication a ses limites, sa contre-productivité même quand elle est l’antithèse du quotidien auquel nos compatriotes sont confrontés.
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne