Boualem a été arrêté. Ce n’est plus une rumeur, mais hélas une certitude. Inutile de dire que notre préoccupation est intense, notre inquiétude immense et notre indignation absolue. Boualem Sansal est l’un des écrivains francophones les plus lus et les plus créatifs de ces dernières décennies. Ses romans auscultent avec des fulgurances pénétrantes un monde érodé par une lèpre politico-religieuse, l’islamo-totalitarisme qui gagne du terrain tant dans les pays musulmans dont il s’est assuré pour certains d’entre eux de l’emprise, que dans nombre de nos sociétés européennes, lesquelles développent souvent bien plus hélas des stratégies d’accommodement que de « containment ».
« Il est minuit moins le quart » ne cesse de nous dire en forme d’interpellation le sage de Bourmedes, la ville où il vit à 40 Kilomètres d’Alger. Sage parce que libre, libre parce que courageux, courageux parce que lucide : Sansal est sur la « ligne de front » pour reprendre le mot du journaliste Vincent Hervouet le recevant à l’Académie des sciences d’outre-mer, un soir de 2022. Une ligne de front dont Boualem se moquait tant il pensait indifférer les autorités de son pays dont il ne cessait de dénoncer pourtant les abus en tout genre. Excès de modestie encore une fois de celui qui aimait à dire lorsque l’on s’inquiétait de son audace à vivre en opposant de l’intérieur à un régime sans concession que ce dernier lui ficherait la paix « parce qu’il le prenait, tout compte fait, pour un vieux fou »… Tout compte fait les hiérarques algériens le prenaient in fine au… sérieux parce que le plus sérieusement du monde en dissident génial Sansal décortiquait avec maestria et détermination le système de mensonges qui abritait leur arbitraire. La fois de trop, lui le franco-algérien, ne l’aura pas vu venir lorsque se rendant le week-end dernier en Algérie le piège s’est refermé sur lui.
La Revue politique et parlementaire dont il est l’un des membres et désormais l’honneur sera avec lui, inlassablement, sans crainte, et libre, comme il l’a toujours été, à ses côtés dans ce moment terrible. Le portrait de Boualem sera affiché en une de notre site jusqu’à une libération que nous espérons la plus rapide possible. Aux autorités françaises d’agir en conséquence, sans trembler surtout et avec constance, et en osant dire leur révolte – ce que depuis 24 heures elles semblent, prudence oblige vraisemblablement, taire quelque peu mais dont on espère que de cette tempérance affichée surgira une heureuse issue .
Pour notre part la RPP restera mobilisée , avant-garde d’un combat dont nous mesurons qu’il est celui de la justice, de la liberté et de la démocratie, mais aussi et peut-être par dessus tout de la vérité comme voici plus de 120 ans notre combat fut celui d’un certain capitaine Dreyfus. Autre époque certe , autre rive aussi, mais même conscience de la gravité d’un moment qui charrie quelque chose d’essentiel autant qu’existentiel : une certaine conception de l’homme et de la cité, de l’homme dans la cité. Des pouvoirs publics français, nous espérons une action résolue, et rapide car toute tergiversation ne peut que renforcer la prétention des geôliers qui depuis des années ont donné à leur Etat un tour inéluctablement et plus que jamais autocratique, leur arbitraire s’irriguant que de trop de nos faiblesses. Alors qu’un jeune homme de 75 ans dans la solitude de son cachot se bat pour ce qu’il y a de plus précieux de notre humanité de l’autre côté de la Méditerranée, nouveau Sakharov qui incarne ce que chaque temps a d’exclusif et de singulier, l’engagement pour ce que cet homme dit de l’esprit de lucidité et de liberté ne peut être que totale et sans faille. La revue qui est une revue de la chose publique sera à la pointe de ce combat jusqu’à ce que l’ami Boualem Sansal retrouve la communauté des hommes libres dont il est l’un des éclaireurs les plus authentiques et les moins conformistes. Gageons que ce jour, tel que le professe une vieille réminiscence d’Orient, entrera prochainement dans les jardins de la nuit…
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à Sorbonne-Université