Boualem, mon ami, mon frère, quinze ans déjà que notre parcours commun a commencé. C’était au temps où le souvenir des attentats du 11 Septembre demeurait encore vivace dans les mémoires. Et depuis, le monde n’a jamais cessé de chavirer comme ces nefs des fous qui divaguaient dans le brouillard au temps jadis. Ton immense culture, ton sens de l’écoute, ta curiosité boulimique font, comme j’aime à le dire, qu’une fois s’être entretenu avec toi, on ressort plus lucide et plus déterminé.
Ta connaissance de l’islam, — je me rappelle avec quelle virtuosité et surtout avec quelle simplicité tu m’avais parlé d’Ibn Kaldhoun — et ta vision d’un monde ankylosé par notre confort matériel et intellectuel demeure des repères pour chacun de nous. Pour toi l’islamisme n’est pas je ne sais quelle théorie complotiste, mais une mémoire vive dont les braises toujours fumantes attisent aujourd’hui comme hier ta formidable volonté d’en découdre avec les totalitarismes, qu’ils soient religieux ou militaires.
Les mots que tu as imprimés dans nos consciences ne sont pas vains. C’est en leur nom, que nous appelons à ta liberté inconditionnelle et non négociable. Tu as été de tous les courages, jusqu’à ce voyage historique que tu as effectué en Israël en 2008 et que les dictateurs algériens n’ont toujours pas digéré.
Tes multiples aller-retour entre Alger et l’Europe, la France particulièrement, ne sont pas des visites touristiques. Sollicité de toute part, tu n’avais jamais une minute à toi tant ton envie de donner aux autres est grande.
Ton arrestation arbitraire provoque une véritable levée de boucliers en France mais aussi à l’étranger. Nous ne baisserons pas la garde car tu sais mieux que personne que la Liberté est une valeur précieuse qui, à tout moment, risque d’être bafouée même dans le pays de Voltaire. Athée mais très attaché à la spiritualité tu places l’Homme au-dessus de tout. En Algérie, l’Homme est au-dessous de tout. Comme tu le dis souvent, mieux vaux vivre ailleurs que mourir ici.
Nous ne savons toujours pas où tu es détenu et dans quelles conditions se passe ta détention, certainement très éprouvante et plus encore quand on a 75 ans. Aujourd’hui, alors que tu es entre les griffes d’un État voyou, tous tes lecteurs, sont vent debout car ils sont tes amis. Car ils sont tes frères.
La Cour Pénale Internationale baisse la tête et ferme les yeux : aucun mandat d’arrêt contre Tebboune, le dictateur algérien, aucune mandat d’arrêt contre Khamenei, le tyran iranien, aucun mandat d’arrêt contre les assassins talibans, aucun mandat d’arrêt contre Kim Jong-Un, le psychopathe nord-coréen. On marche sur la tête : le Qatar curieusement membre de la commission des droits de l’Homme de l’ONU, laquelle n’est plus que jamais un Machin aux ressors rouillés.Tu cesses de nous prévenir pourtant : les valeurs humanistes sont des actions résolument en baisse.
Rappelle-toi cette phrase dans le Livre de Job que tu aimes tant : « Veilleur où en est la nuit ? Je sais que du fond de ta prison tu cries « il est minuit sur le monde »
Michel Dray